Historique, le sommet Sino-taïwanais ?

Nombre de journaux autour du monde ont qualifié d’historique la rencontre du week-end dernier entre Xi Jinping et Ma Ying-jeou, les leaders de la Chine et de Taïwan. Pour la plupart des jeunes Taïwanais, cependant, l’événement était tout sauf heureux ou digne de célébration,  comme j’ai pu m’en convaincre à travers mes conversations avec des amies originaires de l’île. En effet, les sentiments qui dominent là-bas en ce moment, particulièrement parmi les jeunes gens de ma génération, sont ressentiment et même colère envers une entrevue organisée dans un secret total par un président très impopulaire, contre la volonté d’une majorité de la population.

 

Un gouvernement au comble de l’impopularité

Pour ceux qui trouvaient que le rapprochement économique et diplomatique entre Taïwan et la République populaire de Chine orchestré par M. Ma était allé trop loin, trop vite, la rencontre du week-end dernier n’est qu’une insulte de plus à la volonté populaire. Le ressentiment des jeunes Taïwanais envers leur gouvernement se vantant de relations toujours plus étroites avec le continent – relations qui ne semblent avoir en rien atténué les difficultés grandissantes des jeunes diplômés à trouver un emploi stable et bien payé – avait déjà explosé en mars 2014, lorsque des étudiants avaient pendant plusieurs semaines occupé le Parlement pour empêcher la ratification d’un accord de libre échange négocié par Pékin et Taipei.

Le week-end dernier, un groupe de protestataires a de nouveau tenté d’occuper le Parlement, sans succès cette fois. Qu’importe cet échec, le Kuomintang (KMT), le parti de M. Ma, est voué à perdre sa majorité parlementaire – et la présidence – aux élections de janvier prochain.

 

Résignation au statu quo

Le mécontentement général envers la politique du gouvernement de M. Ma semble être particulièrement aigu chez les jeunes taïwanais. Ceux-ci n’ont en effet pas pour le continent l’affinité nostalgique que pouvaient avoir leurs parents et grands-parents auxquels on avait longtemps promis que la réunification de la nation chinoise serait imminente. Ayant grandi dans un pays farouchement démocratique et dans une société libre, diverse et vibrante, ils ne se reconnaissent en aucun cas dans l’image de la Chine propagée par le gouvernement de Pékin. « Devenir chinois » n’a donc aucun attrait pour eux.

M. Ma avait été élu en 2008 sur une plate-forme de meilleures relations avec la Chine, non pas grâce à un soudain regain d’enthousiasme pour la réunification, mais plutôt parce que l’attitude conflictuelle de son prédécesseur, Chen Shui-bian, avait créé des tensions telles que le futur de Taïwan en était devenu dangereusement incertain. L’attitude inflexible de Pékin face aux demandes démocratiques des étudiants de Hong Kong l’année dernière a rendu encore moins attrayante la promesse du régime communiste d’offrir à Taïwan un statut similaire à celui de l’ancienne colonie britannique au sein de la nation chinoise.

 

Une déclaration d’indépendance formelle est également hors de portée, puisque Pékin n’a jamais abandonné sa menace d’invasion dans un tel scénario. Certes, le Parti communiste lui-même espère bien éviter un conflit, qui s’avérerait sûrement désastreux, et est pour le moment totalement concentré sur le développement pacifique des liens économiques et sociaux avec Taïwan, mais les habitants de l’île ne peuvent ignorer les centaines de missiles qui restent pointés vers eux, et qui ne font que renforcer leur antipathie pour le gouvernement chinois.

 

Coincés entre le rejet de la réunification et l’impossibilité de soutenir trop ouvertement l’indépendance, les Taïwanais se sont donc résignés au maintien du statu quo et à la stabilité de leurs relations avec la Chine. Cette résignation est cependant sans enthousiasme. Elle est au contraire douloureuse. Comme me l’a dit une amie, « c’est dur de ne pas avoir son propre pays ».

 

Quel consensus?

Durant leur entretien, MM. Xi et Ma ont tous deux souligné que la stabilité des liens entre la Chine et Taïwan repose sur le « consensus de 1992 », selon lequel il n’existe qu’une seule Chine, dont chaque gouvernement se prétend être le seul représentant légitime, mais accepte de fermer les yeux sur l’interprétation de l’autre. Or à Taïwan, seul le KMT accepte ce consensus. Le Parti Démocrate Progressiste (DPP), dont la candidate Tsai Ing-wen est la probable prochaine présidente de l’île, nie qu’un tel accord existe entre les deux parties. Cette position semble être en accord avec l’opinion des citoyens du pays, ou du moins des plus jeunes d’entre eux. Selon mes amies, le consensus fait l’objet d’une risée général, et est considéré comme une manœuvre politique de Pékin, détachée de la réalité et sans base réelle.

L’empressement de M. Ma à suivre son homologue chinois dans l’insistance sur le respect du consensus de 1992 ne va donc certainement pas améliorer les chances électorales de son parti. En réalité, il se peut que la rencontre du week-end dernier soit bien historique, mais pour une toute autre raison. Il se peut en effet que M. Ma soit le dernier président taïwanais prêt à adopter une politique aussi prochinoise. Les citoyens de l’île sont de plus en plus attachés à leur identité distincte de la Chine, et bien plus tournés vers le Japon ou l’Occident comme partenaires et sources d’inspiration. Les politiciens taïwanais ignorent cette réalité à leur péril, et il se peut qu’aucun futur président ne puisse être élu sur une plate-forme similaire à celle de M. Ma.

Quels que furent les objectifs du gouvernement de Pékin lorsqu’il accepta de rencontrer le président de Taïwan, ses espoirs pour des relations toujours plus étroites menant à une réunification pacifique avec l’île risquent fort d’être déçus. On ne peut qu’espérer qu’il ne se tournera pas alors vers des moyens plus extrêmes.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.