La crise des réfugiés vue par le Japon

La crise des réfugiés syriens en Europe a été un des grands sujets d'actualité de cet automne tout autour du monde, et le Japon ne fait pas exception. On pourrait s'attendre à ce que le pays, 3e économie mondiale et membre du G7, doive s'apprêter lui aussi à accueillir un certain nombre de réfugiés du Proche Orient, mais il n'en est rien. En réalité, la politique du Japon en matière de réfugiés et de l’immigration en général est extrêmement restrictive.

Certains chiffres souvent cités dans la presse sont frappants. En 2014, le Japon a reçu environ 5000 demandes d'asile (venant principalement de Turquie, du Népal, de Birmanie et du Sri Lanka), mais n'en a accepté que 11. En octobre, seulement 60 Syriens vivaient au Japon, dont la moitié environ avait obtenu l'autorisation de s'installer dans le pays à long terme. Il n'est donc pas étonnant que le Japon soit l'objet de vives critiques pour son accueil très froid des gens dans le besoin. Comment expliquer cette attitude ?

 

Porte fermée, portefeuille ouvert

Le gouvernement japonais justifie sa politique stricte en invoquant le soutien massif apporté au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) et aux pays comme la Turquie, le Liban ou la Jordanie qui accueillent encore l'énorme majorité des réfugiés syriens. Il est vrai que le Japon est l'un des pays les plus généreux dans son aide financière à l'action humanitaire internationale. En 2014, il a donné plus de 181 millions de dollars à l’UNHCR, et, durant l'Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2015, le Premier Ministre Shinzo Abe a promis 1,6 milliard de dollars en aide aux réfugiés  syriens et iraquiens dans leurs pays et dans les pays voisins et en soutien aux efforts de maintien de la paix au Proche Orient.

M. Abe a alors souligné l'importance d'aider la majorité de réfugiés restant dans leur région d'origine et de résoudre les conflits qui sont la cause  première de la crise actuelle. Tout cela est fort louable, mais n'explique ni justifie pas le fait que le Japon ferme ses frontières aux réfugiés, et aux immigrants de manière plus générale. Cela est d'autant plus vrai que l'archipel, qui fait face à un rapide vieillissement de sa population et à la baisse du nombre de travailleurs, aurait tout intérêt, économiquement parlant, à accueillir de la nouvelle main d'œuvre potentielle.

M. Abe avait présenté en septembre la politique de son gouvernement en termes de démographie, insistant sur la nécessité de parvenir en premier lieu à augmenter le taux de natalité des Japonais et le taux de participation économique de la population du pays avant d'accueillir plus de réfugiés et d'immigrants. Cet argument peut sembler étrange et déplacé, mais il touche au cœur de la mentalité japonaise en matière d'immigration.

 

Préserver l'harmonie sociale

Comme dans de nombreux pays européens, il existe ici une mouvance d'extrême droite xénophobe à l'impact non négligeable. Elle est très active sur internet et à travers un réseau d'associations militantes organisant des actes de protestations contre les habitants d'origine coréenne et chinoise (les plus larges communautés étrangères du Japon). Son soutien populaire est cependant très faible, bien plus par exemple que celui du Front National français ou de Pegida en Allemagne, et son impact politique est limité par la domination du Parti Libéral Démocrate (LDP) qui englobe l'ensemble de la droite japonaise et dilue, grâce à la diversité et au nombre massif de ses membres, les vues radicales des plus extrêmes d'entre eux.

La méfiance envers l’immigration est cependant répandue bien au-delà de cette frange d'extrême droite. Elle est liée à l'attitude insulaire de nombre de Japonais et à leur peur qu'une arrivée massive d'étrangers vienne endommager la paix sociale à laquelle ils sont tant attachés. Un événement récent est révélateur de cette façon de pensée. Durant la campagne électorale turque du mois dernier des nationalistes turcs et kurdes en étaient venus aux mains devant l'ambassade de leur pays à Tokyo, et la police avait dû intervenir pour rétablir l'ordre. Une réaction très courante parmi les internautes japonais avait alors été de voir dans cet incident la preuve du danger d'accepter davantage d'immigrants, jugés prompts aux conflits et à la violence, et peu enclins à préserver l'ordre public. Le gouvernement japonais, avec sa peur de voir trop augmenter la proportion étrangère des habitants du pays, reflète cette attitude.

 

Quid du rôle du Japon sur la scène internationale ?

Cette crainte du changement éprouvée par de nombreux Japonais est en un sens compréhensible. On ne peut en effet qu'apprécier le sentiment de sécurité qui règne ici, et les efforts que font tous les citoyens pour toujours marquer ses égards à autrui et préserver des relations sociales les plus cordiales possibles. Il serait profondément triste de voir tout cela disparaître.

L'attitude conservatrice de nombreux Japonais s’accorde cependant peu avec l'esprit plus ouvert des jeunes générations, même si l’aversion pour la violence est universellement partagée. Elle est également en contradiction avec l'ambition louable du gouvernement de renforcer le rôle du Japon comme membre actif de la communauté internationale, prêt à promouvoir ses idéaux pacifistes autour du monde et à offrir plus d'assistance aux pays en développement.

Il est difficile de prétendre à ce rôle de pays responsable et en même temps de fermer la porte aux personnes les plus vulnérables, dont la vie a été détruite par la guerre. Pour son propre bien autant que pour celui des victimes des divers conflits qui continuent de faire rage de par le monde, le gouvernement japonais se doit donc d'adopter une attitude plus ouverte et d’expliquer à la population les bienfaits que cette ouverture pourrait apporter au pays.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

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