Des difficultés de combattre la méfiance des Japonais envers la Chine

Dans un billet précédent, j'avais décrit de façon optimiste la croissance du tourisme chinois au Japon et ses effets positifs sur l'image de l'archipel dans le Royaume du Milieu. Il est cependant nécessaire  de compléter cette analyse en s'intéressant à l'évolution de l'image de la Chine au Japon. Il est difficile de trouver ici les mêmes signes d'amélioration que l'on peut observer en Chine.

 

Dégradation progressive et multiples chocs

Vers la fin de la Guerre Froide, les Japonais avaient beaucoup d'affinité envers la Chine, mais cette image positive n'a pas survécu aux chocs successifs des années qui ont suivi. Le premier de ceux-ci fut bien sûr la répression des manifestations étudiantes sur la Place Tienanmen. Cet incident fit perdre à beaucoup de Japonais la vision excessivement romantique qu’ils avaient de la Chine communiste, même s’ils restèrent bien plus disposés que les Occidentaux à continuer de coopérer avec le régime. Vinrent ensuite la crise du détroit de Taïwan en 1996 (ainsi qu'un essai nucléaire peu de temps auparavant), puis de grandes et parfois violentes manifestations anti-japonaises dans de nombreuses villes chinoises en 2005, dues notamment à la candidature du Japon à un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies.

La dispute autour des îles Senkaku (Diaoyu pour la Chine) ces dernières années, enfin, a fini d'épuiser le réservoir de bonne volonté des Japonais, et c'est maintenant environ 90% de la population qui affirme avoir une image négative du pays voisin. Malheureusement, des relations économiques toujours plus étroites et l'afflux de touristes chinois au Japon ne sont pas parvenus à inverser la tendance.

 

Choc culturel

On peut tout d’abord attribuer ce fait au comportement des touristes chinois au Japon. Comme tout visiteur peut le constater, les Japonais sont très à cheval sur les bonnes manières, que ce soit dans les trains où il est interdit de parler au téléphone et où on ne peut discuter qu'à voix basse, dans les sources thermales où il faut faire très attention à ne pas mettre en danger la pureté et la propreté du bain public, ou de manière générale dans les espaces publics où il est important de ne pas déranger autrui ou détériorer un environnement toujours très soigné.

Les visiteurs chinois, au tempérament bien différent (imaginez le contraste entre le nord de l’Allemagne et le sud de l’Italie), ont parfois un peu de mal à s'adapter à cet environnement très policé, loin de l'atmosphère de ruche humaine tourbillonnante que l'on ressent dans les grandes villes chinoises. Nombre d'histoires scandaleuses circulent donc, de touristes bruyants et sans gêne, dérangeant par exemple la tranquillité des autres visiteurs des sources thermales en plongeant à grands éclats dans le bain commun ou – comble de l'horreur – en se lavant dans celui-ci et non au préalable dans l'espace dédié à cet effet.

 

Il ne faut bien sûr pas trop dramatiser la situation. La plupart des touristes chinois se comportent tout à fait correctement, et les Japonais sont en général extrêmement accueillants, tolérants à l’égard du « manque d'éducation » de tous ces étrangers (Chinois ou autres)  peu habitués à la complexité des codes sociaux nippons, et heureux et reconnaissants de l'intérêt grandissant du reste du monde pour la beauté de leur pays. L'impact du tourisme chinois reste donc au final très positif, et les Japonais en sont tout à fait conscients.

 

Des nouvelles toujours négatives

La raison principale de la persistance de l'opinion négative envers la Chine au Japon est en réalité l'omniprésence de nouvelles négatives. Les histoires que l'on retrouve le plus souvent dans les médias japonais concernent la pollution qui traverse fréquemment la Mer de Chine de l’Est pour voiler le ciel de Kyushu (la grande île du sud de l'archipel nippon), les scandales autour de la qualité de la nourriture (parfois contaminée) ou d'autres produits défectueux – scandales qui sont d'ailleurs une raison importante pour laquelle les touristes chinois dépensent autant à l'étranger, notamment pour des produits de consommation (lait en poudre, produits de beauté, etc.), ou encore  les actions agressives entreprises par la Chine envers ses voisins sous prétexte de disputes territoriales.

En conséquence, lorsqu’on évoque la Chine, de nombreux Japonais y associent d'abord l'idée de danger, d'insalubrité ou d'insécurité. Cependant, en raison sans doute des récents signes de rapprochement diplomatique entre la Chine et le Japon, et aux visites de haut niveau de plus en plus cordiales, le nombre de citoyens de l’archipel affirmant cette année avoir une impression positive de leur voisin a faiblement augmenté (de 6,8 à 10,6% selon une enquête récente), même s’il reste extrêmement bas.

 

La Chine doit travailler sur son image

On ne peut qu’espérer que la détente entre les deux pays va continuer, mais cela ne suffira clairement pas à convaincre les Japonais de regarder la Chine avec plus de bienveillance. Pour ce faire, c’est avant tout au gouvernement chinois d’augmenter ses efforts de relations publiques. L’appréciation pour la culture (et la cuisine) chinoise dans l’archipel nippon reste fortement ancrée, et le sentiment d’affinité qui régnait jadis entre les deux pays reposait sur les bases solides d’une histoire pré-moderne partagée et d’une tradition millénaire d’échanges économiques et culturels forts.

Ces bases existent toujours, et le gouvernement chinois dispose donc d’un terrain favorable pour présenter un visage plus souriant à son voisin. Il s’agit donc d’en faire bon usage et de tenter de séduire le public nippon en organisant et en promouvant événements culturels, expositions, tournées d’artistes, et festivals culinaires en tout genre. Des visites de bonne volonté par des membres hauts placés du gouvernement chinois ne seraient également pas de trop. Tant que les disputes autour des questions territoriales et historiques ne seront pas résolues, et tant que le Parti Communiste continuera de se reposer sur la répression politique de la population pour maintenir son pouvoir, améliorer l’image de la Chine au Japon restera une tâche extrêmement difficile, mais le gouvernement chinois pourrait clairement faire plus d’efforts.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.