Un départ de mauvaise augure pour Tokyo 2020

Lorsque Shintaro Ishihara, alors maire de Tokyo, annonça en 2011 que la capitale de l’archipel nippon allait à nouveau postuler pour accueillir les Jeux Olympiques en 2020 (après avoir perdu face à Rio de Janeiro pour 2016), la réaction des Japonais fut un haussement d’épaules collectif. Mon impression à l’époque fut celle d’un désintérêt total, voire d’un mécontentement certain face à un gaspillage de temps et d’argent programmé.

La campagne de publicité du comité de candidature, soutenu très activement par Shinzo Abe dès son retour au pouvoir en 2012, a cependant connu un succès surprenant, et le public japonais s’est progressivement enthousiasmé pour des Jeux qui ont été présentés comme l’occasion de montrer au monde la résilience du pays face à l’adversité (ie. le séisme de mars 2011 et ses conséquences).

L’engouement du public est devenu tel que de nombreux Japonais ont suivi les débats de la session du Comité Olympique International de 2013, durant laquelle Tokyo fut définitivement choisie, en direct à la télévision malgré le fait que cette session se déroulait ici au milieu de la nuit. Certaines de mes connaissances ont même enregistré celle-ci pour pouvoir ensuite regarder tranquillement le moment de triomphe du Japon (le Premier Ministre lui-même avait fait le déplacement).

 

De catastrophe en catastrophe

Il est donc d’autant plus déplorable que cet enthousiasme initial se soit depuis transformé en dégoût et colère face au spectacle d’un comité d’organisation des Jeux incompétent et enchaînant les bourdes en tout genre. La plus récente a été la décision prise la semaine dernière de retirer le logo des Jeux de 2020, présenté en grande pompe en juillet seulement, en raison des multiples accusations de plagiat auxquelles fait face son créateur, un jeune artiste japonais nommé Toshiaki Endo.

Ce faux pas pâlit cependant face à la débâcle autour du design et de la construction du nouveau stade olympique. La décision initiale de raser complètement l’ancien stade avait déjà été très controversée, mais cela ne fut qu’un prélude aux événements de cet été. En effet, alors qu’il avait déjà les mains pleines avec la controverse autour de sa nouvelle politique sécuritaire, Shinzo Abe a dû intervenir personnellement et ordonner que le processus de sélection et de construction du nouveau stade soit repris à zéro après que son estimation budgétaire eut presque doublé, et cela avant même le début du chantier. Seule (faible) consolation, le design initialement choisi faisait l’objet de moqueries pour sa forme de « casque à vélo ».

 

Collusion au sommet

Ces deux mésaventures ont couvert de ridicule le comité d’organisation des jeux et mis en lumière certains aspects déplorables du système politique et économique du Japon. Deux d’entre eux méritent une attention particulière. Le premier est une certaine propension à nommer à des postes à responsabilité (tels que la direction du comité en question) non pas des experts ou bureaucrates compétents, mais des opérateurs politiques souvent d’âge avancé (plus de 60 ans en moyenne dans le cas qui nous occupe) et choisis grâce à leurs connections en hauts lieux plus qu’à tout autre critère.

Un autre élément important de la débâcle autour du stade olympique est la collusion entre grandes compagnies de construction et politiciens. En effet, comme c’est trop souvent le cas, le contrat de construction du nouveau stade a été alloué en coulisses et sans compétition ouverte. Tout aussi grave, les sociétés choisies n’ont dû présenter une estimation de coûts qu’une fois le design choisi et le contrat signé, et non avant. Il est donc peu surprenant que les chiffres initialement présentés par le comité d’organisation se soient révélés complètement fictifs.

 

Quelles retombées politiques ?

Sans surprise, les partis d’opposition, les médias et le public sont pour le moins mécontents de la situation et demandent que des têtes tombent. Pour l’instant, seul un bureaucrate inconnu de tous a été choisi comme bouc émissaire. Le candidat au couperet le plus souvent cité est le Ministre de l’éducation, de la culture et du sport, Hakubun Shimomura, qui était chargé de la supervision des Jeux. Celui-ci est cependant un allié politique et idéologique très proche du Premier Ministre, lequel ne donne aucun signe d’être prêt à sacrifier son ami.

A la place, Shinzo Abe promet maintenant de prendre lui-même en charge la supervision de l’organisation des Jeux, et de faire en sorte qu’aucun nouveau scandale n’ait lieu. Cette tactique est cependant dangereuse, puisque tout nouveau faux pas mettrait encore plus dans l’embarras un gouvernement dont la popularité est déjà en baisse.

En réalité, la seule personne qui ressort grandie de toute cette affaire est le maire de Tokyo, Yoichi Masuzoe. Sa vigoureuse défense des intérêts de la métropole face à l’incompétence du comité d’organisation et du gouvernement national, a rehaussé son profil et suscité l’approbation des citoyens de Tokyo et d’ailleurs. Peut-être M. Abe ferait-il mieux de se distancer des Jeux et de laisser au maire de Tokyo la tâche peu enviable de réparer les dégâts déjà causés.

 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.