L’étonnant succès du Parti Communiste Japonais

De nos jours, les partis communistes européens sont rarement pris au sérieux et reçoivent généralement un nombre marginal de votes aux élections. Certains seront donc surpris d’apprendre que tel n’est pas le cas au Japon. Au contraire, le Parti Communiste  Japonais (PCJ) n’a jamais été aussi populaire. Aux dernières élections nationales en décembre 2014, il a obtenu plus de 6 millions de votes et a plus que doublé son nombre de députés (21 sur un total de 475 sièges), son meilleur résultat en près de 20 ans.

Puis, aux élections provinciales et municipales du mois dernier, il a surpassé tous les autres partis d’opposition pour devenir le principal adversaire du Parti Libéral Démocrate (LDP selon son acronyme anglais) au niveau local. Dans le contexte de la politique japonaise, complètement dominée par LDP, ces succès du PCJ sont remarquables. A quoi est donc due l’étonnante popularité des communistes japonais ?

 

Un parti communiste en apparence seulement

Le premier secret du succès du PCJ est le fait que, malgré son nom, les politiques et les objectifs du parti sont en réalité plutôt modérés. Il dénonce les relations étroites du Japon avec les Etats-Unis et les excès du capitalisme et de la globalisation, mais ses initiatives législatives ne tentent pas de changer fondamentalement la politique du pays dans ces domaines (une bataille qui serait perdue d’avance). Il se concentre plutôt sur des objectifs plus modestes – et populaires – comme la diminution des liens financiers entre grandes compagnies et partis politiques (principalement le LDP) ou l’amélioration des conditions de travail des Japonais.

Plusieurs de ses positions résonnent également fortement auprès de la population japonaise, notamment son opposition à l’expansion des forces armées du pays, sa critique des excès nationalistes et son soutien à un Japon indépendant, désireux de coopérer pacifiquement avec ses voisins asiatiques et avocat de la solidarité internationale. 

 

Une idéologie qui reste attrayante

Même s’il est aujourd’hui plus socialiste que communiste, le PCJ continue de porter fièrement son nom et refuse toute suggestion de le changer pour attirer un public plus large. L’attachement de ses membres aux idéaux du communisme suggère une seconde raison de la popularité durable du parti : l’attrait pour ces idéaux dans la culture japonaise.

En effet, si le Japon d’après-guerre a embrassé les principes du capitalisme à l’occidentale, les habitants du pays ne se sont jamais vraiment identifiés avec l’individualisme qui lui est associé en Europe et aux Etats-Unis. L’idée que le Japon est une seule grande communauté dont l’esprit de corps doit être maintenu et renforcé, et que les besoins du groupe passent avant ceux de l’individu restent profondément ancrée dans la mentalité du pays.

Les appels du PCJ à la coopération entre travailleurs, à l’action commune, et au partage égal des ressources du pays, même s’ils ne reflètent qu’en partie la réalité économique du pays, résonnent donc fortement chez nombre de Japonais, et avec les valeurs qu’on leur a enseignées dans leur jeunesse.

 

La seule vraie opposition au gouvernement

La dernière raison de la popularité actuelle du PCJ est plus prosaïque et plus immédiate : les Japonais opposés à l’agenda conservateur du Premier Ministre Shinzo Abe n’ont que peu de moyens autres qu’un vote communiste pour exprimer leur désapprobation. Le plus grand parti d’opposition, le Parti Démocrate du Japon, a été discrédité par sa piètre performance au pouvoir entre 2009 et 2012 et soutient dans les grandes lignes, ou est divisé au sujet de, toutes les politiques principales de M. Abe, et il en va de même pour plusieurs autres petits partis.

Seul le PCJ reste ferme dans sa critique de la remise en marche des réacteurs nucléaires, du programme économique du gouvernement ou de l’assouplissement des contraintes légales sur les actions des forces armées du pays. Cette intransigeance réduit peut-être l’influence du PCJ sur la politique du Japon – il est difficile d’influencer des discussions dans lesquelles on refuse de négocier – mais le fait que le parti reste fidèle à ses principes et à ses promesses électorales attire le respect et le soutien d’une partie de la population déçue par le manque de cohérence et de substance des partis traditionnels.

 

Les communistes bénéficient donc de la frustration et de la désillusion d’une population lassée de l’inefficacité de nombreux politiciens. Une partie des Japonais s’est résignée à l’étreinte rassurante du LDP et de M. Abe, même s’ils s’opposent à beaucoup de ses politiques. Une autre a trouvé dans le PCJ l’unique champion d’une vraie voix alternative à celle du courant conservateur dominant.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.