Pierre Hazan,
Une Cour africaine spéciale basée à Dakar a condamné l’ex-dictateur Hissène Habré à la prison à vie pour crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvement. Pour la première fois, des juges africains ont condamné un ancien président africain
Dans un jugement historique, les Chambres africaines extraordinaires ont condamné lundi à Dakar à la réclusion à vie l’ex-dictateur tchadien, Hissène Habré, pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, viol, esclavage sexuel et exécutions. C’est la première fois qu’un tribunal créé par l’Union africaine condamne un ex-président pour des violations des droits de l’homme qu’il a commis dans son propre pays.
Un jugement qui restera gravé dans l’histoire
Le verdict était attendu, tant les preuves des méfaits d’Hissène Habré étaient accablantes et les dépositions d’une centaine de témoins sans appel. Ses services exercèrent sur les prisonniers mille tortures, y compris les chocs électriques et le waterboarding, et transformèrent les femmes prisonnières en esclaves sexuelles. Dans son palmarès d’infamie, Hissène Habré peut désormais s’enorgueillir d’être le premier ex-président à être personnellement condamné pour viol.
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Des juges africains ont donc condamné un ancien président africain. Ce jugement prend une résonance particulière à un moment où de nombreux gouvernements africains évoquent l’idée de se retirer de la Cour pénale internationale. Le jugement de Hissène Habré montre qu’une Cour régionale peut sanctionner les auteurs de crimes de masse commis sur le continent africain. «Ce jour restera gravé dans l’Histoire comme celui où un groupe de survivants déterminés a obtenu la condamnation de leur ex-dictateur», a affirmé hier Reed Brody, l’inlassable juriste américain qui s’est dépensé sans compter pour faire aboutir le dossier.
Hissène Habré ne se faisait guère d’illusion sur son sort, même si durant son procès, il faisait le V de la victoire en direction de sa famille et de ses derniers supporters. Jamais il ne prit la parole, se chaussant de lunettes noires pour masquer ses yeux. Parfois même, il fut traîné par ses gardes jusque sur le banc des accusés, refusant de reconnaître la légitimité de la Cour.
Entre 1982 et 1990, Hissène Habré fut l’impitoyable dictateur qui dirigea le Tchad avec le soutien militaire et politique de Washington et de Paris, qui voyaient en lui un rempart contre le bouillant président libyen, Mouammar Khadafi. Il fut finalement renversé par Idriss Déby, l’actuel président tchadien, qui fut brièvement son chef d’état-major. En décembre 1990, Hissène Habré parvint à s’enfuir à Dakar en avion… après avoir fait un détour par la Banque centrale où il s’empara du trésor tchadien. Ce qui l’assura dans son exil sénégalais du bienveillant soutien du président Abdoulaye Wade.
C’était sans compter la détermination sans faille de certains de ses ex-prisonniers. Depuis leur libération, il y a plus de vingt-cinq ans, une poignée de rescapés des geôles de Hissène Habré rêvaient de voir leur ancien tourmenteur enfin sanctionné. Ce fut un interminable soap-opera fait de mille rebondissements, qui en dit long sur les voies aussi longues qu’impénétrables de justice internationale.
La découverte des archives de la DDS comme élément clé du procès
Rappelons quelques épisodes marquants. Tout commence sous la houlette de Souleymane Guengueng, un des survivants des «cellules de la mort». Dans la plus grande discrétion, il récolte avec quelques ex-compagnons d’infortune, des centaines de témoignages du calvaire qu’ils ont subi. Apprenant en 1999, l’inculpation de l’ex-dictateur chilien, Augusto Pinochet, leur rêve de justice commence à prendre forme: châtier le «Pinochet africain», tel qu’est désormais surnommé Hissène Habré. Entre alors en lice des avocates tchadiennes, dont Jacqueline Moudeina, ainsi que Reed Brody de l’organisation de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch, pour commencer la traque.
L’un des moments clefs est la découverte en 2001 par Reed Brody et par l’auteur de ces lignes des archives de la DDS, la police en charge de la répression sous Hissène Habré. Les archives documentent l’organisation méthodique de la terreur, détaillent les chaînes de commandement, livrent le nom de 1208 personnes tuées en prison et de 13 000 autres victimes de tortures et d’arrestation arbitraire.
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Mais à l’abri au Sénégal, protégé par le président Wade, Hissène Habré se croit en sécurité. Il soutient le club de football local, prend femme sénégalaise, se rend chaque vendredi à la mosquée en boubou blanc pour projeter l’image d’un homme bon, généreux et pieux. Mais finalement, la traque se resserre après une décision de la Cour internationale de justice en 2012 qui intime l’ordre à Dakar de juger «sans délai» Hissène Habré, puis la décision de l’Union africaine de créer les Chambres africaines extraordinaires, et surtout, l’arrivée d’un nouveau président au Sénégal en avril 2012, Macky Sall. Un quart de siècle après avoir quitté le pouvoir, Hissène Habré a donc été jugé et condamné. Souleymane Guengueng, le rescapé des cellules de la mort, et ses autres compagnons de détention ont finalement gagné.