Combat à mort pour marché en recul

Que des entrepreneurs privés cherchent à s’emparer d’une prérogative lucrative de l’Etat, rien de plus normal. C’est la tentative, engagée depuis de très nombreuses années, d’entrepreneurs des médias électroniques, surtout alémaniques, essentiellement zurichois, pour s’emparer de morceaux du marché publicitaire télévisuel occupé majoritairement par la SSR et ses nombreuses chaînes de télévision et de radio.

Leur combat s’explique par un simple chiffre: 749 millions de francs. C’est à dire le chiffre d’affaires total de la publicité diffusée sur les postes de télévision dans les trois régions linguistiques du pays, selon la Fondation statistique suisse en publicité. Pour une grosse PME comme Goldbach Media (495,5 millions de francs de chiffre d’affaires, 29,5 millions de résultat avant impôts et intérêts, 351 employés en 2015), qui commercialisent notamment les annonces suisses sur des chaînes de TV étrangères et une multitude de sites internet, c’est évidemment un potentiel de croissance intéressant.

Mais leur jeu en vaut-il la chandelle? Le marché publicitaire suisse est en baisse depuis de nombreuses années. La télévision se défend certes mieux que la presse écrite – où la chute est brutale – en parvenant à maintenir le niveau général du chiffre d’affaires. Mais combien de temps le petit écran résistera-t-il encore à la tornade qui emporte les journaux et leurs recettes publicitaires? Nul ne le sait. Mais la bonne vieille pub à la TV va bientôt apparaître aussi obsolète que l’antique annonce pleine page quadrichromie qui a fait le bonheur des éditeurs de presse écrite pendant de longues années.

Les entrepreneurs privés en sont sans aucun doute très conscients. Et s’ils cherchent à croître en s’attaquant au monopole public, c’est d’abord pour assurer leur survie. Affaiblir la SSR, c’est pouvoir s’emparer d’une partie (sinon la totalité) de ses recettes. Celles-ci leur permettront de se prémunir, à leur tour, contre les évolutions futures du marché de la publicité électronique. Leur erreur, probablement, est de s’attaquer à un marché stagnant, sinon à la veille de s’effondrer.

La victime collatérale est évidemment le large accès à la richesse informative et culturelle du service public, radiodiffusé et télévisuel. Sans parler, évidemment, de ces notions tant rebattues de cohésion nationale, de diversité de l’information, etc. etc.

Le combat de Goldbach Media et des autres éditeurs ne vaut pas ce sacrifice.

Yves Genier

Journaliste économique depuis le milieu des années 1990, historien de formation, je suis particulièrement intéressé aux questions bancaires, financières, fiscales et, naturellement, macroéconomiques et leurs conséquences politiques et sociales.