Franc suisse, le prix de l’impuissance

Il y a une chose qui ne fait pas rire Johann Schneider-Ammann, le chef du Département fédéral de l'économie: c'est la valeur du franc par rapport à d'autres monnaies. Le conseillef fédéral le juge encore "trop élevé". Tout comme Thomas Jordan, président de la Banque nationale, qui répète, intervention publique après intervention publique, que "le franc est surévalué". Et comme l'ensemble de l'économie et de la classe politique suisse.

Il y a deux ans, la suppression du cours plancher et l'instauration des taux d'intérêt négatifs par la Banque nationale avait fait brutalement prendre conscience aux Suisses des limites du pouvoir de protection face à la fureuru du monde que pouvait assurer leurs autorités. Le Conseil fédéral ne pouvait que regretter la décision de la BNS qui, de son côté, soulignait l'énormité des risques qu'elle faisait prendre à l'économie suisse dans son ensemble si elle persistait dans le maintien d'un cours forcé. C'était une dure leçon d'économie réelle et de brutalité du monde qui était administrée à la Suisse.

En apparence, la situation ne semble guère avoir évolué depuis lors, entre un franc toujours "surévalué" et des taux toujours négatifs. En réalité, la situation est en voie de normalisation. L'écart entre le cours réel du franc face à l'euro et son cours d'équilibre théorique s'est resserré. Il était d'une bonne dizaine de centimes (plus de 1,30 francs) lorsque la BNS dépensait des milliards pour le maintenir à 1,20 francs. Il n'est plus, actuellement, qu'aux alentours de 1,10 à 1,15 alors que le cours réel est de 1,07. Pourquoi? en raison de la (faible) différence d'inflation entre la Suisse et la zone euro, et de la hausse structurelle du franc du fait que la Suisse reçoit davantage de revenus de ses placements à l'étranger qu'elle n'en investit. De plus, l'économie revient à un taux de croissance proche du potentiel à long terme (environ 2%), un rythme de croissance qui pourrait être atteint en 2017 ou 2018; les entreprises se sont remises à embaucher et le chômage baisse.

Mais les coûts ne sont pas encore réglés. Outre la baisse de rentabilité des entreprises (les exportateurs de machines et les banques ont été très bruyants pour déplorer la dureté des temps), deux secteurs d'activités en ressortent sinistrés, le commerce de détail et le tourisme. Et plus grave, le système de prévoyance dans son entier a été déséquilibré par l'instauration des taux négatifs, contraignant les institutions à réduire leurs promesses de rentes à une génération entière de futurs retraités. Qui devront donc réduire le train de vie qu'ils ont prévu de mener dès la retraite, et recourront peut-être plus facilement aux aides publiques comme les prestations complémentaires, payées par le contribuable.

Il faudra encore de très longues années pour que soit payé le prix de l'indépendance monétaire que la Suisse défend avec tant d'opiniâtreté.

 

Yves Genier

Journaliste économique depuis le milieu des années 1990, historien de formation, je suis particulièrement intéressé aux questions bancaires, financières, fiscales et, naturellement, macroéconomiques et leurs conséquences politiques et sociales.