Hommes, coraux, science et politique…

Hommes, coraux, science et politique…

Homme libre, toujours tu chériras la mer !

L’Australie annonce un blanchissement accéléré sur la grande Barrière de corail, même chose en Nouvelle Calédonie, les coraux souffrent de la chaleur excessive de l’eau, qui, si elle dépasse durablement les 28 degrés, les stresse au point qu’ils expulsent l’algue dont dépend leur survie et avec laquelle ils vivent en parfaite symbiose.

J’avoue, je ressens du découragement devant ma télévision. J’ai le spleen… je pense au poème de Baudelaire L'homme et la mer .

La mer est ton miroir; tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame,

Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tout y est dit, ou presque.

En 2010 on pouvait déjà constater des effets de ce réchauffement en Mer Rouge par exemple: des zones entières de cimetière marin blanc où ne restaient plus que les squelettes des coraux, plus aucun poisson, plus de végétation. Vision apocalyptique que les tours opérateurs continuaient de faire voir aux touristes. Ou alors parfois on leur montrait, à trois mètres devant l’hôtel, des récifs artificiels peints dont les poissons étaient nourris pour les fixer sur le site ….

 Ô Mer, nul ne connaît tes richesses intimes 

En 2011 je me suis intéressée à l’acidification des eaux marines et de ses effets sur les coraux. L’Aquarium de Monaco et avec lui le Professeur Denis Allemand (www.centrescientifique.mc/fr/CurriculumVitae/AllemandDenis-), travaillent sur les effets du réchauffement atmosphérique sur les eaux marines et les récifs coralliens.

Le Professeur Gattuso (www.monoceanetmoi.com/web/index.php/fr/…/115-jean-pierre-gattuso) à Villefranches-sur-Mer fait lui aussi partie de ces très nombreux chercheurs dans le monde qui consacrent leur vie à cette étude.

Tous ont, depuis des années, mis en lumière les effets du changement climatique sur les mers et océans, ils font des conférences, dirigent des missions scientifiques, publient des articles. Mais généralement dans des congrès ou des colloques, entre pairs. Ailleurs, et dans les media, on les convie trop rarement à parler au grand public.

La COP21 était organisée en France, 2e pays côtier au monde, compte tenu de ses territoires d’outre-mer. Mais il y a eu peu d’échos médiatiques sur le sujet des océans. Il reste très méconnu du grand public. Et cela débouche encore sur trop peu d’effets dans le monde des décideurs politiques.

Pourquoi?

Aurait-il aliéné à ce point sa liberté de penser et d’agir autrement,  l’Homme « libre » de Baudelaire ?

 Les océans et les mers sont  notre plus grand puits de carbone: plus encore que la forêt, ils absorbent le CO2 de l’atmosphère. Mais leur rôle au contact de l'atmosphère modifie la température et l’acidité de leurs eaux.

Les conséquences sont une altération de la capacité des organismes à produire des coquilles et des squelettes calcaires: l’acide carbonique empêche en effet cette production. Cela peut paraître bien abstrait…Pourtant les effets sont multiples.

Ce processus d’acidification se manifeste déjà, y compris sur la Grande Barrière australienne.

 Quant aux effets de l’élévation du niveau des mers par dilatation notamment, il est attesté partout.

 Le problème, c’est que ces deux phénomènes se conjuguent: sous l’effet de la chaleur les eaux se dilatent donc, augmentant ainsi les risques de submersion des terres basses qui ont, plus que jamais,  besoin de la protection de leurs récifs.

 Ce ne seront ni les habitants des Maldives, de Nouvelle Calédonie, de Papouasie Nouvelle-Guinée ou de tous les archipels coralliens qui me contrediront.

Mers chaudes et mers froides !

Bien sûr, cela paraît bien peu au regard de la population mondiale, et c’est bien loin…

C’est pourtant une erreur: les coraux constructeurs de récifs ne se limitent pas aux mers chaudes: il en existe aussi dans les mers froides et ils sont parfois capables de construire des récifs profonds, à plusieurs milliers de mètres. On en trouve partout y compris en Mer du Nord. Ils sont toujours synonymes de zones très poissonneuses.

« Ces récifs sont de véritables trésors biologiques, un patrimoine naturel que nous devons protégerpour les générations futures .» Børge Brende, Ministre de l’environnement, Norvège (www.unep.org/PDF/Coral_flier_F.pdf Récifs coralliens d'eau froide – UNEP)

C’est donc vital pour l’humanité les récifs coralliens: fabuleuses architectures calcaires que les polypes, bâtissent au rythme d’à peine quelques centimètres par année, ces « cités » sont si largement habitées par le vivant que ce sont les plus grands des écosystèmes produits par des animaux.

 Par la richesse de leur biodiversité ils sont nourriciers, pour les espèces marines comme pour les hommes.Les pêcheries, le tourisme côtier, dépendent eux aussi directement de leur existence. Ils génèrent d’énormes ressources économiques au niveau mondial et local.

Enfin, par leur présence, ils protègent des populations, remparts naturels contre les tempêtes, les cyclones et la submersion. On aurait donc tort de sous-estimer leur rôle à l’échelle planétaire car on en trouve partout.

 Le chiffre de 500 millions (!) d’hommes dépendants de près ou de loin des écosystèmes coralliens devrait parler de lui-même….même aux plus cyniques ou aux plus éloignés.

Et cependant voilà des siècles innombrables

Que vous vous combattez sans pitié ni remord,

Tellement vous aimez le carnage et la mort,

Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Les politiques sont-ils atteints de surdité? Je refuse de le croire. Mais, oui, là, j’ai le spleen…

L’exemple du polype?

 Bon, moi, que puis-je faire? Prendre exemple sur les polypes peut-être : seuls ils ne sont rien; en nombre et avec leur persévérance obstinée à survivre, ils bâtissent leurs cathédrales marines.

 Alors aujourd’hui, comme eux, j’ajoute mon petit mot, mon grain minuscule à l’édifice, j’en parle… je mets des liens, c’est mieux que rien.

Surtout je rends hommage à  tous ces chercheurs infatigables, qui ne baissent jamais les bras, et à Baudelaire, car comme eux j’espère que toujours nous chérirons la mer.

En Australie, les coraux se sont partiellement adaptés à une augmentation de la température de leurs eaux, mais l’accélération du phénomène laisse craindre qu’ils ne puissent pas s’adapter assez vite pour survivre.

Je me dis que ce que le plus petit des polypes a fait, il serait temps que l’Homme lui aussi le fasse: qu’il prenne la mesure réelle du problème, qu’il adapte ses modes de vie, et vite, très vite! Car c’est faisable, quoiqu’on en dise. Comme pour l’édification d’un récif, il faut de la patience et du temps, qui manque déjà… d’où l’urgence, de la ténacité collective.

La communauté scientifique mondiale nous tend depuis des décennies un coquillage pour nous faire entendre la voix de la mer: il suffirait de l’écouter. Et d’agir. Concrètement. Cela demande de véritables décisions politiques, à tous les niveaux, et qui dépassent la seule durée d’un mandat électoral. En Suisse nous sommes concernés nous aussi: l’atmosphère est sans frontières.

J’aimerais pouvoir garder les pieds sur Terre, au sec, et chérir la mer et ses richesses. Pour que les paradis coralliens ne deviennent pas… artificiels ….

 

 

 

 

Abandon de l’écriture manuscrite : le retour vengeur du crayon ?

Les Etats Unis dès 2013 (45 états), puis la Finlande (application dès 2016), ont remis en cause l’apprentissage de l’écriture manuscrite liée dans les écoles. Aux USA, un des motifs étant que  « les enfants ne parviennent de toute façon déjà plus à lire les notes de leurs parents à la cuisine »(!) et le sempiternel discours positiviste « on  n’arrête pas le progrès et il faut vivre avec son temps ».

En Finlande, puis en France, le débat traite des avantages et inconvénients de l’abandon, total ou partiel, de l’écriture liée. On se contenterait (pour combien de temps ? ne soyons pas naïfs) de l’écriture script. La plupart des commentaires se situent dans une perspective temporelle plutôt à court terme et à une échelle très locale. Ils sont bienvenus et nécessaires. La Suisse se montre à ce sujet très circonspecte, ce qui me paraît être une excellente attitude. D’abord car, comme on le sait qui peut le plus, peut le moins : ajouter une compétence est un enrichessement, pas l’inverse.

 Mais aussi, il faut se poser la question des effets induits à d’autres échelles, temporelles et spatiales, géopolitiques et même géostratégiques.

 D’abord, évidemment, les premiers gagnants seront les industries qui fabriquent les outils informatiques. L’Histoire regorge d’exemples d’individus qui ont écrit à la main sur des supports improbables et à l’aide qui, de ses doigts, qui, de son sang parfois. Souvent parce qu’ils avaient été privés de tout, et de liberté pour commencer.

Ne plus savoir- à terme – écrire à la main, c’est se rendre dépendants des industries et lobbies informatiques et de tous ceux qui auraient le pouvoir de nous empêcher  d’accéder à ces outils, pour des raisons économiques ou idéologiques. C’est aussi une régression de la démocratisation de l’accès aux savoirs. Au niveau local, dans les pays industrialisés, cela va recréer des clivages entre les scribes, les lettrés et les autres. L’apprentissage de l’écriture manuscrite redeviendra un luxe, puisque superflue, apanage de gens qui eux, auront toujours accès à la lecture des textes manuscrits. Car comme ils sauront écrire, ils pourront les lire.

Ils auront accès à des informations, à des œuvres- y compris picturales- qui témoignent de l’Histoire, présente ou passée, individuelle (correspondances familiales par exemple) ou collective. Ils comprendront mieux la réalité présente et future. Mais ils seront peu nombreux.

 Et, par ailleurs, regardons les choses en face, cela profitera bien à tous ceux qui construisent leur pouvoir sur l’ignorance et l’obscurantisme. En nous privant nous-mêmes de cette compétence manuscrite, nous nous fragilisons, nous nous privons massivement de savoirs indispensables.

 A l’échelle mondiale, dans un premier temps, c’est évidemment les Suds ( tous les pays en développement , y compris les plus pauvres) qui seront discriminés. L’accès à Internet et aux ordinateurs, tablettes et réseau électrique leur étant trop souvent plus que difficile. D’ailleurs cette «  hégémonie par internet «  préoccupe L’ONU depuis des années. Les Suds le sont hélas également, parce que ce sont eux qui « recyclent » nos outils connectés et empoisonnent ainsi leur santé et leur environnement.

Et que dire des ressources (non renouvelables et rares)  nécessaires à la fabrication des outils, de l’énorme consommation énergétique pour leur fonctionnement et la conservation des données, en constante croissance, laquelle augmente l’effet de serre et donc les dangers  associés? Dont, rappelons-le, les populations les plus touchées restent les populations des Suds…et c’est ainsi qu’on fabrique des migrants pour raisons climatiques.

Et il va y a voir aussi, peut-être, à plus long terme, un effet boomerang, sorte de retour vengeur du crayon, car in fine, les pays moins riches de cette technologie seront plus libres aussi, car moins dépendants à plusieurs titres. Et moins coupés de leur passé. Plus en avance car plus adaptables.  

 Aucune nostalgie réactionnaire dans mon propos, je profite moi aussi tous les jours de cette fabuleuse révolution informatique, non, juste un refus d’ultra-dépendances lourdes. Je voudrais pouvoir encore  choisir de partir écrire sous un arbre ou sur une plage avec un papier et un crayon, sans chargeur ni prise, et ronger mon crayon sans m’éléctrocuter…

Je garde les pieds sur Terre: ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain et vive la polyvalence : claviers Et crayons !