Menaces sur la lavande?

Depuis quelques années en Drôme provençale, une rumeur circule: l’Union européenne et ses réglementations en matière de toxicité menaceraient les champs de lavande de disparition et la production des huiles essentielles ou des produits dérivés.

Dans notre imaginaire collectif pourtant, le champ de lavande, c’est l’un des symboles forts de la Provence, visuel et olfactif. Qui ne s’est pas extasié devant ces champs d’un bleu profond, qui n’a pas froissé une tige de fleurs et humé avec délice ce parfum? Qui n’a pas goûté au miel de lavande?

Célébrée par les peintres et par les photographes, la lavande est de plus un très important atout touristique: nombreux sont les voyageurs qui viennent voir la floraison des champs, tout comme au Japon, la floraison des cerisiers.

C’est également un atout écologique important: très mellifère, elle attire en masse les abeilles et les divers pollinisateurs. Elle résiste bien à l’aridité et maintient les sols en place, y compris dans les terrains escarpés.

Une “plante précieuse”

Déjà reconnue comme bénéfique chez les Egyptiens qui l’utilisaient pour ses vertus antiseptiques et odoriférantes lors des momifications, citée comme protectrice contre les calamités dans la Bible et ornant les portes de croix tressées de brins, elle fut classée par Pline l’Ancien (naturaliste) et Dioscoride (médecin et botaniste) dans les Plantes précieuses. Les Grecs et les Romains l’utilsaient pour la lessive et leurs bains notamment, d’où son nom , qui vient du latin , lavare, laver. La lavandula angustifolia Miller, ou lavande anglaise, du nom du botaniste écossais, Philip Miller (1691-1771) qui la répertoria en 1768, est celle qui est distillée pour l’huile essentielle.

D’abord uniquement sauvage, la récolte des fleurs de lavande en Haute Provence et en Drôme provençale, était laissée aux femmes et aux enfants. Ce n’est qu’après la guerre de 14-18 que l’on commença à la cultiver en champs et qu’elle prit  peu à peu son essor de production. Depuis 1981, elle a acquis l’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) de  Lavande fine de Haute Provence. Elle est adaptée aux terrains secs et pousse sous diverses espèces entre 100 et plus de 2’000 mètres d’altitude. La pratique de sa culture dans les Alpes-de-Haute-Provence a été inscrite à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français en 2018.

Pourquoi alors serait-elle menacée de disparition? Par qui et comment ?

Ma petite enquête…

Pour en avoir le coeur net, au lieu de spéculer sur les rumeurs, j’ai été chercher l’information auprès de Monsieur Philippe Soguel, propriétaire depuis 1994 de la distillerie Bleu Provence à Nyons dans la Drôme. Distillateur, il est donc considéré comme producteur d’huile essentielle.

Monsieur Soguel a consacré sa vie professionnelle à faire connaître les bienfaits multiples de la lavande et de son huile essentielle. Il travaille avec quelques 100 agriculteurs-producteurs régionaux et ils défendent ensemble le bio pour sa haute traçabilité et sa qualité.

Depuis plus de 10 ans, Philippe Soguel défend la production d’huile essentielle auprès de la Commission européenne et participe à toutes les discussions possibles pour l’élaboration d’une réglementation adaptée à son produit.

Très compétent, il m’a expliqué le problème réel auquel sa fédération de producteurs se trouve confrontée. Vous trouverez ci -dessous quelques-unes de ses diverses fonctions, tant au niveau national qu’européen et international. *

Le noeud du problème: la définition huile essentielle

D’après la norme internationale ISO, la définition du terme huile essentielle de lavande est: un produit obtenu à partir d’une matière première  naturelle d’origine végétale par entraînement à la vapeur d’eau. Il y a 15 ans,  l’huile essentielle de lavande a été soumise à deux réglementations (REACH et CLP) qui ont lancé le grand débat sur sa possible toxicité. Elle est donc soumise aux mêmes obligations que tous les produits chimiques, quelle que soit leur origine.

A cet égard, Ph.Soguel précise qu’il collabore très bien avec les producteurs de parfums et arômes de synthèse, et qu’il ne faut pas les diaboliser. ” Il y a de la place pour tout le monde!” dit-il en souriant. Il travaille souvent avec eux et avec les grandes marques de cosmétiques ou de parfums. “Il n’y a aucun conflit d’intérêt entre nous”.

En effet, sa filière est très petite, même si elle joue un rôle très important et reconnu par les autres acteurs du marché.

Toxicité?

Ph.Soguel ajoute que sa filière est favorable à la réglementation: “Nous les producteurs d’huiles essentielles, nous sommes favorables à une réglementation de notre produit. Cela en garantit la qualité et la traçabilité. Cela nous protège tous, producteurs, filière et consommateurs.”

Il ajoute : “D’ailleurs je tiens à dire que la Commission européenne a toujours été très bienveillante et ouverte à la discussion avec nous. Nous travaillons ensemble et non pas en conflit. Néanmoins, nous devons trouver ensemble une réglementation adaptée à la spécificité de notre produit.

Par exemple en ecotoxicologie, on cherche à établir si un produit présente un risque de “toxicité aquatique”. Pour ce faire on analyse le mélange eau-produit. Or l’huile essentielle ne se mélange pas à l’eau puisque c’est de l’huile et qu’elle reste forcément en surface. Donc on nous demande de fournir un résultat de test qui est absolument infaisable …. malgré toutes nos demandes à des labos réputés.”

Monsieur Soguel nuance: “Nous tenons aussi à faire remarquer que 1) notre production est très très faible en volume total par comparaison aux produits de synthèse, et que 2) on sait également que les molécules d’origine 100% naturelle (ce qui est notre cas) existent déjà dans la nature et sont mieux gérées et dégradées par elle que les produits purement chimiques. Et de conclure: “Pour ces deux raisons notre impact réel en ecotoxicologie est vraiment extrêmement faible et cela devrait aussi être considéré.”

Rien n’est simple et tout se complique …comme dirait le regretté Sempé

En 2020, une nouvelle demande de la Commission européenne est arrivée, qui prévoit pour certains dangers de ne pouvoir tester les huiles essentielles dans leur globalité et d’évaluer les dangers sur la base des constituants. Cela devient absurde car des études récentes montrent que le comportement d’un constituant pris isolément n’est pas nécessairement le même que lorsqu’il est pris dans la matrice huileuse…

Voilà pourquoi il faudrait que les huiles essentielles soient testées en fonction de ces spécificités attestées et reconnues par la Commission européenne. Ce qui n’est pas encore le cas. C’est précisément l’objet des discussions.

Cherchez l’erreur…

Je découvre pour finir que  les sujets relatifs à l’évaluation de la sécurité des huiles essentielles dépendent non pas du Ministère de l’Agriculture, mais de celui de l’Environnement. Et que ces deux ministères ne communiquent pas volontiers entre eux… tant s’en faut. Cela bloque évidemment l’avancée des travaux de réglementation au niveau national français.

Fait remarquable pourtant: plus de 100 sénateurs ont signé ensemble une Tribune pour défendre la lavande et sa production dans le Journal du Dimanche (cf.lien ci-dessous). Du jamais vu! Et qui montre les enjeux culturels, émotionnels, touristiques, bref, à quel point ce sujet est “chaud”.

https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-la-lavande-provencale-est-en-danger-lappel-de-100-senateurs-4118297

D’où l’importance de ne pas tomber dans les caricatures complotistes anti UE ou anti chimie.

Conclusion

Non, les champs de lavande en tant que tels ne sont pas menacés de disparition. Mais quels agriculteurs continueront cette culture si les distilleries locales ne leur achètent plus leur production?

Monsieur Soguel, toujours optimiste et toujours nuancé, conclut :” Le travail entre la Commission européenne et nous les producteurs est en cours.” Il ajoute:” Nous espérons d’ailleurs de nouveaux résultats pour bientôt.”

Pour ma part, j’espère vous avoir “mis au parfum” et permis de garder les Pieds sur Terre provençale , histoire de prolonger un peu votre été ….! Et je vous tiendrai au courant des dernières nouvelles quand elles arriveront.

*Philippe Soguel, Vice -président de la Fédération nationale des Plantes parfums aromatiques médicinales PPAM, Administrateur  du Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises CIHEF, Adminstrateur de European Essential Oils FEO.

Interview filmé : https://projecteurtv.com/bien-etre/plantes-et-sante/distillerie-bleu-lavande-lavande-lavandin-distillerie-par-philippe-soguel/

**https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/geographie-region-paca-decouverte-lavande-261/page/3/

***Pour les curieux : nous nous demandons souvent quelle est la différence entre lavande et lavandin.

Réponse: il existe 2 sortes de lavandes :1) la lavande aspic, qui pousse en plaine (de 100 à 700m altitude), à feuilles larges, qui a une odeur camphrée et est recommandée pour les massages, le soin aux brûlures et aux piqûres d’insectes, mais qui justement n’est pas utilisée en parfumerie à cause de son odeur camphrée.

2) la lavande vraie, plus courte, la fameuse lavandula angusti folia, laquelle pousse entre 700 et plus de 2’000 mètres d’altitude. C’est cette dernière qui permet la production d’huile essentielle de lavande fine AOP. Son rendement est faible mais d’excellente qualité. C’est elle qui est utilisée en parfumerie.

3) le lavandin est un hybride, d’abord créé naturellement par les pollinisateurs entre 1) et 2) , puis repris par l’homme en hybridation.

 

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.

8 réponses à “Menaces sur la lavande?

  1. La lavande est certainement le parfum naturel le plus connu au monde … Ici dans le sud de la France , tout le monde se frotte les mains avec … Son essence purifie , parfume et apaise l’esprit de manière presque magique … L’ huile essentielle permet de cicatriser les brulures mieux que n’importe quel produits … Celle de lavande aspic soulage les piqures de moustiques , les éloignent de notre corps et désinfecte les petites plaies et bobos … C’est pourquoi j’ai toujours un petit flacon dans mon sac en été … La lavande est la plus belle preuve de l’éfficacité des produits naturels … Ces vertus et bienfaits devraient être enseignées dans toute les universités , ainsi que ceux du thym , et de l’oignon … Car ils ont toujours beaucoup aidés dans les pires épidemies de l’Histoire … La lavande fait plus que symboliser la provence , elle est la provence … C’est pourquoi , j’espère que ce n’est pas une attaque contre les produits naturels réellement efficaces … Serge , Montpellier , Occitanie , France le 31 aout 2022 ( nuageux )

    1. Merci pour votre commentaire! Oui nous y sommes tous très attachés, et pour de bonnes raisons.
      Je vous rassure, justement, ce n’est pas “une attaque contre les produits naturels”, et c’est ce que je voulais vérifier.
      Cela fait simplement partie des procédures normales de réglementation , néanmoins elles doivent être adaptées au produit “huile essentielle”, et cela prend beaucoup de temps ….

      Les producteurs s’emploient précisément à cela. Ils attendent d’ailleurs avec espoir de nouveaux résultats dans les mois à venir. Je vous tiendrai au courant quand j’en saurai plus!

  2. Très intéressant, merci pour votre recherche. A lire entre les lignes il semblerait que ces problèmes de réglementation et de définition d’un protocole de test s’appliqueraient aussi au reste des huiles essentielles qui est un marché gigantesque. Espérons que la la lavande provençale et ses acteurs bénéficient du soutien du lobby des huiles essentielles. Pour moi, la lavande et son huile essentielle est indissociable de la belle région de Provence

    1. Merci pour votre commentaire! Pour vous répondre , je me suis renseignée auprès de M.Soguel :

      Oui ces réglementations concernent les huiles essentielles en général. La taille du marché, quant à elle, est en fait très petite par comparaison avec celui des produits de synthèse. Mais ce marché est effectivement en expansion ces dernières années et doit donc être soutenu et encadré par des réglementations européennes adaptées.
      Il se trouve que la France est l’un des pays les plus structurés en matière de fédération de producteurs, c’est donc l’un des pays les plus actifs dans les discussions sur ce sujet avec l’Union européenne.
      Plutôt que de lobbyisme, il s’agit d’une démarche de type syndicaliste: la PPAM (cf. ci-dessus fin de mon article) dont M.Soguel est le vice-Président est un syndicat de producteurs et leur objectif est de faire connaître leurs produits et de les faire reconnaître dans la réglementation.

      Ils ne cherchent pas à exercer des mécanismes d’influence pour obtenir des avantages, comme le font souvent les lobbies.
      Ils sont donc regroupés dans des organisations de producteurs et collaborent activement avec la Commission européenne. Ils tiennent à faire cette distinction.

      J’espère avoir répondu à vos très intéressantes remarques et questions?
      Bien à vous

  3. Faute de posséder un mas dans la Drôme, j’avais acheté de la lavande en pot pour l’installer sur mon
    balcon ensoleillé. Je me réjouissais de dîner, les soirs d’été, dans l’odeur suave de la plante mythique. Le jardinier-pépinieriste m’avait assuré que même les plus sots et les plus maladroits n’auraient aucune peine à s’en occuper: un peu d’eau, de temps en temps, et beaucoup de soleil. Est-ce dû au climat de l’Europe du nord ou à ma totale inaptitude, je n’en sais rien, mais la belle méditerranéenne périclita rapidement. Grâce à Mme Véronique Dreyfuss-Pagano, je préciserai, lors de mon prochain achat, si je souhaite de la lavande aspic, de la lavande vraie ou du lavandin; ce sera du plus grand chic.

    1. Merci pour votre commentaire! Alors concernant la mort de votre plant de lavande, je me suis renseignée pour vous: ce n’est pas le climat le problème. Preuve en est que les Britanniques en ont souvent dans leur jardin. C’est le terreau dans lequel elle est plantée: la lavande sauvage (et donc aussi la lavande de culture) est une plante pour terre aride et caillouteuse, calcaire.

      Les plants détestent par-dessus tout l’humidité stagnante. Trop arrosée ou dans une terre trop riche, elle meurt très rapidement. En Grande-Bretagne les jardiniers la plantent dans des sols très aérés et pas trop riches, pour que l’eau puisse s’écouler sans pourrir les racines.

      C’est d’ailleurs une des raisons écosystémiques qui font que la lavande joue un rôle très important dans les terres de Haute Provence et de Provence: elle occupe des sols “ingrats” (secs, pentus, caillouteux) et les maintient en place en évitant le lessivage et la perte de la terre par ruissellement lors des orages ; elle attire une quantité considérable de butineurs qui participent à toute la pollinisation des régions productrices concernées (abricotiers, pêchers, cognassiers, etc..etc..). Elle nourrit les abeilles et leur permet de continuer à exister (on sait à quel point elles sont terriblement menacées).

      Donc vous pourrez retenter l’expérience, dans un pot à terre adaptée ! 😉
      Bien à vous

  4. Merci de vos précieux conseils. Je tente le tout pour le tout et à l’instar d’une vigneronne du Lubéron, si je ne me trompe, qui fait écouter à ses vignes le Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi, mes nouvelles lavandes l’écouteront chaque matin. “Nil nobis absurdum.”

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