Le piano descend de son estrade!

A Paris, Genève ou ailleurs, trônent parfois des pianos dans les halls de gare, invitant le voyageur de passage à en jouer. Cette belle initiative produit des situations diverses, allant de la cacophonie à la magie éphémère.

On voit ainsi certains adultes pianoter pour la première fois, et ce qui est beau alors, ce n’est pas les sons mais le geste d’avoir osé s’asseoir là, et devant des gens pour essayer ….Car le piano, c’est intimidant, ça fait sérieux, c’est imposant. Comment, lorsqu’il est placé en évidence dans un lieu public, ne pas l’associer aux salles de concerts, aux virtuoses classiques ou jazzy?

Et là, parce qu’il est dans un endroit somme toute incongru, ça devient accessible et ludique. Ici pas des sièges alignés, pas de scène, pas de queue de pie ni de robe du soir, juste des gens qui passent. On ne les connaìt pas, on ne les reverra jamais, ils passent : pour le pianiste d’occasion le risque du ridicule est quasi nul. Voilà précisément ce qui attire : ce mélange entre espace public et anonymat, entre instrument solennel et instants fugitifs, sans programme ni vedette.

Des personnes très diverses se mettent alors devant le clavier. Comme spectateur on comprend parfois que c’est aussi pour celui qui s’y essaie l’occasion de toucher enfin cet objet précieux. Un peu comme de se mettre au volant d’une voiture de luxe au Salon de l’Auto, « pour voir comment ça fait ». Et on voit poindre un plaisir d’enfant sur le visage du pianiste de gare.

Parfois, quoique plus rarement, se produit un petit moment magique: l’autre jour, comme je marchais en direction du quai avec ma valise, j’ai entendu peu à peu la mélodie d’un morceau admirablement joué … Au piano, un jeune homme blouson, baskets, et casquette jouait une pièce classique romantique plutôt difficile. Un cercle s’était formé autour de lui, et ceux qui ne pouvaient s’arrêter par manque de temps, ralentissaient tout de même leurs pas et regardaient en passant. J’aurais voulu rester mais mon train ….

J’ai aimé cette bulle de savon musicale qui tordait le cou aux stéréotypes hélas trop répandus des apparences et des catégories: très jeune, vêtu comme un rappeur rebelle et jouant merveilleusement Chopin sur un splendide piano à queue noir dans un hall de gare. Il y avait là de la poésie tout à coup.

Aujourd’hui je ne vais pas garder les pieds sur terre ou du moins, je vais marcher sur la pointe des pieds, histoire de laisser encore un peu la musique adoucir nos mœurs ….et souhaiter que vivent longtemps les pianos de gare !

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.