Lobbyiste: une insulte?

A l’occasion de la fracassante démission de Nicolas Hulot du gouvernement français, ou du désir forcené de Trump de faire son mur, il a beaucoup été question de lobbyisme et des lobbyistes. Lors d’une émission radio, j’ai  par exemple entendu une représentante d’une importante ONG environnementale confrontée à la question provocatrice du journaliste : « Mais vous aussi, à Bruxelles, vous faites du lobbyisme! »

En quoi il avait raison… si l’on s’en tient à la définition théorique du lobbysme (ou lobbying) : pratique consistant à organiser un groupe de pression directe ou indirecte auprès d’autorités politiques afin de défendre des intérêts économiques, professionnels ou personnels et de chercher à influencer les décisions (lois, réglementations, normes). On est dans le domaine de ce qu’on appelle les mécanismes d’influence.

Un bon et un mauvais lobbyisme ?

Après une seconde d’hésitation, la représentante de l’ONG en est d’ailleurs convenue. Mais avec une réticence compréhensible.

Puis, très clairement, elle a nuancé sa réponse, en mettant de sérieux bémols à la définition qui lui était imposée. Elle a cité trois grandes différences entre les lobbyistes dont Nicolas Hulot a en effet eu à se plaindre, et le type d’influence qu’elle exerce pour son ONG .

Voici ces différences: l’importance des moyens financiers et logistiques mis en œuvre, les intentions réelles qui président aux actions, et enfin les destinataires –bénéficiaires visés par l’action menée.

Ou, pour faire simple, les comment ? pour quoi ? et pour qui ?

Bien sûr, à cela s’ajoute forcément la question : avec quelles conséquences ?

D’emblée on repère le problème si fondamental, de l’éthique

Or, l’image que nous avons du lobbyisme et des lobbyistes, dans la réalité (ou telle qu’elle nous est montrée dans les fictions) n’inspire en effet pas vraiment l’admiration béate.

Le comment? met  souvent en œuvre la grosse artillerie de moyens financiers considérables, le pour quoi? obtient trop fréquemment la réponse: pour augmenter le profit à court terme, sans tenir compte des effets négatifs induits, et le pour qui? ne concerne pas toujours le plus grand nombre, ni la société civile dans toute sa diversité.

Lobbyisme et corruption

Quant à l’éthique, elle est dès lors forcément bafouée par un cynisme pervers, par des techniques manipulatoires, souvent mensongères et mystificatrices, le «tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces.»

Les diverses techniques de « corruption » ne sont jamais très loin …Et ce qui définit le plus le « mauvais » lobbyisme, c’est bien le bras de levier de la corruption, car il démontre à quel point les gens visés sont effectivement corruptibles …

Les universités qui ont une chaire de lobbyisme cherchent d’ailleurs par tous les moyens à communiquer positivement pour redonner un certificat de virginité à cette formation. C’est donc bien que cette image est très endommagée… On voudrait réguler le lobbyisme. Louable projet, nécessaire en effet, mais malmené par la dure réalité .

Un « vilain mot » ?

Il y aurait du bon et du mauvais lobbysime. Je crois cependant qu’à force de mauvais usages, certains mots ne peuvent être revalorisés.

A mon avis, il est trop tard pour prétendre modifier cette image si abîmée. Et pour distinguer le bon grain de l’ivraie, seule la distinction entre deux mots pour décrire deux pratiques si opposées (bien qu’appartenant toutes deux aux mécanismes d’influence) offrirait une solution qui permette de préserver dignement la bonne foi, voire la noblesse, des actions menées honnêtement à des fins défendables sur le plan éthique. Peu importe que l’action s’exerce dans le domaine public ou privé.

Le lobbyiste aujourd’hui est considéré comme le courtisan sans scrupules, d’ailleurs le mot lobby ne veut-il pas dire antichambre ?

On n’est pas si loin des sollicteurs de tout poil qui gravitaient autour du pouvoir en place et intriguaient sans cesse, attendant leur tour pour une audience royale. Pourtant eux aussi avaient parfois de bonnes causes à défendre.

Il serait grand temps de trouver le mot qui convienne pour désigner les lobbyistes aux buts respectables et aux méthodes avouables… J’avoue, je sèche pour le trouver…Militant? Activiste? Influenceur? Aucun ne me paraît convenir.

Je garde hélas les pieds sur Terre, aujourd’hui le lobbyisme est de fait généralement criticable, et souvent révoltant, dans ses buts , dans ses méthodes et surtout dans ce qu’il nous fait découvrir de ses destinataires, si aisément corrompus. Aujourd’hui, c’est donc plutôt un «vilain mot ».

Trouvons-en un autre pour celles et ceux qui ne méritent pas d’ y être associés.

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.