Le Zéro Déchet survivra-t-il au Coronavirus?

Ce titre, que j’ai piqué à un article paru sur le site Grist, fait écho à la surprise que j’ai eue dans mon épicerie “vrac” habituelle: mes propres contenants n’étaient plus acceptés “à cause des risques de contamination”. Même son de cloche dans une autre épicerie traditionnelle où j’achète du café artisanal moulu sur place. J’ai été obligée d’acheter ma livre dans un sachet neuf. Lubie paranoïaque passagère ou retournement de situation ? La question n’est pas anodine.

Ce n’est pas la vente en vrac qui poserait problème, mais mes propres contenants. Ma bouteille en verre pour l’huile, la même que je lave et réutilise depuis des années, mes sachets en tissu que je lave en machine régulièrement, le sachet en papier pour le café que je ramène à l’épicerie, mes boîtes hermétiques avec lesquelles j’achète viande, fromages et poisson et qui passent au lave-vaisselle sitôt vidés… tout est frappé du sceau de la suspicion.

Et si le coronavirus s’y trouvait et infectait les commerçants ? Grave question. Surtout quand on sait qu’un passage en lave-vaisselle, ou en lave-linge, avec du détergeant, est suffisant pour détruire le virus, comme le savon est suffisant pour détruire l’ennemi du moment (voir l’illustration ci-dessous, avec les explications en légende).

Le coronavirus peut être résumé ainsi, un génome entouré d’une membrane lipidique contenant aussi des protéines. Les molécules de savon ressemblent à des petites épingles avec une tête hydrophile et une queue hydrophobe. En se fixant sur la membrane lipidique du virus, les molécules de savon la désorganisent. Les molécules de savon organisées en micelle entourent les débris qui seront évacués lors du rinçage. © Jonathan Corum et Ferris Jabr, The New-York Times (article paru sur Futura-sciences.com)

En fait, en m’interdisant d’apporter mes contenants, le commerçant se protègerait plutôt lui-même. A-t-il raison de se méfier ? Tout dépend du matériau de mes contenants. On sait peu de choses sur ce nouveau virus, mais Le Temps nous a appris qu’il peut subsister plusieurs jours sur de l’acier inoxydable et du plastique. Pas sur du tissu, ni sur du papier, où il survit quelques heures seulement. Sinon, on aurait cessé de distribuer le courrier et le journal quotidien ! Mais présence ne signifie pas contagion, comme le rappelle le journaliste Fabien Goubet. “Les infections par le biais des fomites, nom donné aux objets vecteurs de transmission virale, sont considérées comme secondaires par les autorités sanitaires. ” conclut-il.

Et pourtant, la chaîne américaine Starbucks a interdit, début mars, le remplissage des mugs apportés par ses fidèles clients (moyennant une petite réduction). Bon, c’est aux USA, pas spécialement à la pointe en matière d’informations vérifiées et authentiques…

Est-ce alors pour me protéger moi d’une infection au Covid-19 ? Mes contenants sont propres, pas stériles, mais propres. La stérilité des objets, c’est valable en salle d’opération ou en salle blanche. Si mon commerçant s’inquiète à ma place, c’est peut-être alors qu’il ne respecte pas assez les règles d’hygiène dans son magasin ? A voir certains commerçants, qui se désinfectent les mains à chaque client, je leur fais confiance pour être plutôt sérieux dans ce domaine. Et je me responsabilise en me lavant les mains dès mon retour à la maison.

Alors quoi ? Pourquoi devrait-on à nouveau utiliser du jetable en période de pandémie?

Je crois qu’un raccourci malheureux se fait dans la tête de certain.e.s. A cause des masques chirurgicaux. Porter un masque à plis jetable est tout un art. Dès qu’il est mis en place (avec des mains propres et désinfectées), on ne doit plus le toucher, jusqu’au moment où on va l’enlever (par les élastiques autour des oreilles) et le jeter directement dans une poubelle fermée (et on se relave les mains). Ce qui est valable pour le masque hygiénique est abusivement appliqué aux contenants réutilisables. Sans aucune raison.

Digression sur les masques

Vu qu’on en parle, vous me permettrez une petite digression sur les masques… Quand s’il s’agit de protéger autrui de ses propres postillons, un masque en tissu lavable fait très bien l’affaire en lieu et place du tout jetable. Le tissu, sans couture centrale, est à peine moins efficace que le masque chirurgical. Allez voir le site www.stop-postillons.fr, imaginé par quatre médecins français. On y trouve plein de schémas et de tutos pour confectionner son stock personnel de masques en tissu, à laver souvent. I

Il n’y a que l’OFSP pour conseiller au personnel soignant de porter des masques chirurgicaux pour… se protéger soi-même ! Alors que ce n’est pas du tout le but de tels masques. Alors qu’il a toujours déclaré que les masques chirurgicaux devaient être utilisés par les malades, pour protéger les autres autour d’eux. C’était avant la crise du corona, quand on s’imaginait à tort que les stocks de matériel de protection étaient pleins. (Attention, avant de vous lâcher dans les commentaires, je fais bien la distinction entre ces masques à 3 plis et les masques FFP2 avec valve, jetables eux aussi, devant être réservés au personnel soignant qui doit se protéger pour pouvoir continuer de soigner. Et j’ai passé pas mal de temps sur le site de l’OFSP…!). Plutôt que de semer la confusion sur les types de masques et leurs usages différents, nos autorités sanitaires et politiques auraient mieux fait de nous recommander la couture! Digression fermée.

A qui profite le crime ?

Pourquoi ces idées folles sur la soi-disante dangerosité du réutilisable ont-elles germés à la faveur de la crise sanitaire sans précédent que nous traversons ? Pour répondre à une question difficile, j’ai une méthode souvent infaillible. Je dévie sur une autre question digne d’Agatha Christie qui est : “à qui profite le crime ?”.

En l’occurrence, lorsque l’on parle d’emballage jetable, on pense immédiatement à… du plastique. Avec raison. L’écrasante majorité des emballages jetables est fabriquée en plastique. Qui est déversé dans la nature, sans recyclage (malgré les allégations de l’industrie de l’emballage).

Enquête du National Geographic – en 2010, 8 millions de tonnes de plastique sont déversées dans les océans chaque année. C’était il y a 10 ans… Et aujourd’hui?

On sait aussi que les industriels de l’emballage plastique planifient d’intensifier la production de leurs produits (voir mon article du 17 février, sur cette même plateforme).

Se pourrait-il qu’il y ait une stratégie à l’oeuvre ? Suis-je aussi victime de paranoïa ?

Hélas, non. Les lobbies plastiques sont à la conquête de l’Europe, selon cet article du Daily Geek Show qui reprend une enquête parue dans Le Monde. Extrait choisi : “Le lobby des transformateurs européens de plastique, EuPC, qui représente les intérêts de la plasturgie auprès des instances européennes et compte pour membres des organisations nationales et des organisations sectorielles européennes, a ainsi adressé le 8 avril un courrier à la Commission européenne où il lui demande « de reporter d’au moins un an la mise en œuvre au niveau national de la directive SUP [sur les plastiques à usage unique] et de lever toutes les interdictions » déjà en vigueur concernant ce type de produits.”. L’association Zero Waste France a aussi fait le point sur cette stratégie à l’oeuvre.

Sans vergogne aucune, cette industrie mortifère déclare même que “les sacs plastiques sauve des vies”. Sont visés les sachets en tissu, accusés à tort d’être des nids à bactéries, qui pourraient infecter le personnel de vente qui les touche. Mais on l’a vu, affirmer cela est juste une aberration, une “fake news”.

Décidément, l’après-corona ne sera pas tranquille. Tout ce qui touche à l’urgence climatique, à la pollution des eaux ou aux déchets inutiles et évitables a été relayé au second plan en raison de l’urgence sanitaire. Ces questions sont toujours prioritaires, en latence et vont resurgir avec force, nécessairement. Il serait illusoire de croire que les coupables attendent patiemment que la pandémie se calme pour reprendre leur offensive. Ils n’ont jamais arrêté et ils font feu de tout bois pour retarder, voire supprimer, toute velléité de faire réglementer ou de faire disparaître leurs produits toxiques.

Fort heureusement, mis à part certains récalcitrants, la plupart des commerçants de ma région ont réfléchi depuis, et acceptent à nouveau mes contenants. Donc la réponse à la question du titre est évidente.

Non seulement le mouvement Zéro Déchet survivra au coronavirus, mais il en ressortira renforcé. Car on n’a pas le choix.

Valérie Sandoz

Valérie est engagée sur la réduction des déchets à titre privé depuis des années. Elle est l'auteur de plusieurs guides, donne des conférences, des cours et anime des ateliers. Géographe et ethnologue de formation, elle interroge notre façon de consommer et partage ses découvertes. Adepte du «fait maison» (conserves alimentaires, lacto-fermentation, cosmétiques, produits de nettoyage, etc.), Valérie anime un blog personnel consacré à la cuisine sans gluten, à la réduction des déchets et du gaspillage et à un mode de vie simple et joyeux.

3 réponses à “Le Zéro Déchet survivra-t-il au Coronavirus?

  1. Quel optimisme, je vous admire.

    Suis un vieux con fini (et non finé), mais j’ai peur que cette crise ne donne que plus d’espace, de marge et de dividende aux “très gros”, chers à l’ami Donald ou Xi Ji (pour faire simple).

    On nous explique sur ce même quotidien que si le pétrole est gratuit (on vous paie même pour prendre un baril), c’est bien parce que le marché fonctionne.

    On a déjà l’argent gratuit, à quand la nourriture, l’habitat et la santé?
    Serait-ce que les GAFAM (qui sont gratuites, comme chacun le sait) vont racheter les pétrolières?

    A ce stade du zinzinvirus, tout est possible, même un virus introduit volontairement…!
    Bon, d’acc, ça fait complotiste 🙂

  2. Chère Valérie

    Merci beaucoup pour ce post.

    Etant moi-même propriétaire d’une épicerie vrac, j’ai toujours continué d’accepter les contenants de mes clients, me disant qu’il n’y avait pas de raison que cela soit plus dangereux maintenant qu’avant le COVID-19. Seul changement : c’est moi qui sers, pour éviter que tout le monde touche partout (et qu’ensuite je passe des heures à tout désinfecter).

    Je suis donc soulagée et heureuse de voir que je ne suis pas la seule à penser ainsi – et j’espère sincèrement qu’on reviendra à un peu plus de bon sens !

  3. Chère madame,

    Pardonnez-moi ma question tardive et sans doute très naïve, mais quand j’étais gosse, nous utilisions la ou les même(s) bouteille(s) en verre pour garder l’eau. Le “Pet” était inconnu et n’a fait son apparition qu’avec la consommation de masse. Entre-temps, on a vu venir sur le marché le berlingot, toujours utilisé pour le lait et les jus de fruits. Alors, pourquoi ne l’a-t-il pas aussi été pour l’eau?

    Quant aux sacs en plastic, eux non plus nos parents et grand-parents ne les connaissaient pas encore. Ils allaient faire leurs “courses” (terme bien capitaliste, qui a fait des traditionnelles emplettes un véritable marathon, avec toutes les conséquences que l’on connaît) avec leur simple filet à commissions, toujours le même… jusqu’à remerciements pour fidèles services rendus. Enfin, les colis, même de taille importante, étaient le plus souvent emballés en papier, et non dans des cartons. Et ceci, pour l’ensemble, avec des ressources financières dérisoires par rapport à celles dont dispose aujourd’hui le ménage le plus modeste.

    Mais ces ressources, nous avions bon espoir de les voir augmenter, alors que près de trois-quarts de siècle après, je constate que chacun(e) lutte pour ne pas voir les siennes fondre comme neige au soleil. Où donc est le progrès tant vanté par certains?

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