Si j’étais une vache, je voudrais garder mes cornes

Juillet 2018, le métro à Lausanne. Je suis interpelée par deux affiches publicitaires : une de Swissmilk, une de Paysans suisses. Ces deux affiches montrent des vaches AVEC leurs cornes.

La citadine que je suis est doublement intriguée.

J’ai l’impression de voir plus souvent des animaux sans cornes qu’avec leurs cornes. Que disent les chiffres à ce propos?

Et qu’est-ce qui justifie ce soudain intérêt pour ces bovins ?

Dès lors, je me renseigne. Une minorité de races est « naturellement » sans cornes. En Suisse, de 70% à 90% des vaches, – le chiffre variant selon les sources- ont été écornées. D’après l’IFBL, Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), « Chaque année, près de 200’000 veaux sont opérés pouréviter que leurs cornes ne poussent. Une opération qui consiste à brûler la racine de la corne avant qu’elle ne pousse ».

Les bovins sont domestiqués depuis des milliers d’années.

Pourquoi se mettre à les écorner ?

Le risque de blessures pour l’animal et pour l’éleveur

L’écornage serait motivé par le bien-être des bêtes qui pourraient se blesser entre elles.

Bien sûr. Toutefois, on n’oblige pas TOUS les propriétaires de chiens à museler leur animal sous prétexte que de temps à autre, un chien mord un de ses congénères.

Certes, un accident de corne est un accident de trop. Quant à la surmortalité des agriculteurs, elle est malheureusement due aux suicides et aux cancers plus qu’aux accidents avec des bovins.

Si l’application du principe de précaution sur la santé des personnes était l’argument essentiel, il y aurait lieu d’interdire la cigarette, les véhicules diesel et certains pesticides, plutôt que les cornes des vaches.

Des animaux sans cornes : une exploitation moins chère

Une bête sans corne facilite les manipulations : plus simple et surtout moins chère en surface de stabulation. Le rendement au mètre carré d’étable augmente car les vaches peuvent être davantage serrées… comme des sardines.

L ‘écornage quasi-systématique observé est le résultat de la course sans fin aux gains de productivité. Dans ce domaine, les agriculteurs obéissent à une concurrence acharnée et permanente entre eux, entre pays, logique qui emmène l’humanité et la planète vers sa destruction.

A quoi servent les cornes ?

Pourquoi les bovins auraient des organes inutiles ?

Comme l’explique Anet Spengler, responsable du groupe sélection animale de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) dans la Tribune de Genève du 6 novembre, « La corne des vaches n’est pas un os mort et nu »,. Les cornes sont innervées. Elles donnent l’âge de l’animal car les cornes poussent tout au long de la vie.

Elles ont des fonctions physiologiques et sociales. Les cornes contribueraient à la circulation de l’air en prolongeant le sinus et donc équilibreraient la ventilation de l’animal pendant la digestion, activité qui mobilise son organisme.

Elles aideraient aussi les individus à se reconnaître entre eux.

Elles détermineraient la hiérarchie du troupeau et seraient révélatrices de la vigueur de l’animal.

Le positionnement social au sein de ses pairs : un élément accessoire ?

Les fonctions sociales au sein du troupeau. Transposons. Demandons aux propriétaires de véhicules de marques prestigieuses d’échanger leur voiture contre l’équivalent dans une marque populaire ? Ils refuseraient même si ces marques proposaient de nombreux équipements en tous points fonctionnels aux véhicules de ces marques de prestige.

Les techniques marketing reposent sur cette volonté de distinction individuelle.

Les fonctions d’estime constituent des éléments sociaux déterminants, chez les humains comme chez les bovins.Sans aucun doute, les cornes sont utiles.

On peut alors s’interroger sur l’influence sur la qualité de leur lait. Le lait de vaches à cornes est-il plus riche que celui de vaches mutilées ? C’est peut-être la conviction de Swissmilk et de Paysans suisses.

Sinon, pourquoi ces institutions afficheraient-elles des vaches avec leurs cornes ?

Le vote à venir

Réponse à ma seconde question.

Armin Capaul, paysan bio engagé, a proposé une initiative visant à rétribuer les paysans qui voudraient maintenir des animaux avec cornes.

Notons qu’il ne s’agit pas d’interdire ni de pénaliser l’écornage mais bien de compenser les surfaces supplémentaires nécessaires à la stabulation.

Doit-on vraiment modifier la Constitution pour cela ?

Eh bien oui, car en juin, cette initiative a été refusée par notre parlement. Notre gouvernement ayant aussi refusé de proposer un contre-projet, le peuple vote sur ce sujet.

Sur le feuillet reçu par le citoyen, la menace budgétaire est agitée. En cas d’acceptation du peuple, de 10 millions, hypothèse basse, à 30 millions, hypothèse haute, seraient consacrés à aider les agriculteurs conservant des bêtes adultes avec cornes. Le budget fédéral de l’agriculture se monte annuellement à 3,6 milliards de francs. Soit entre 0,3% et 0,9 % du budget. Ce n’est pas insignifiant, mais pas la fin des autres subventions agricoles.

Comme je ne ferais pas aux autres ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse, d’une part, et que, dans le doute, je préfère des produits de vaches « entières », d’autre part, je vote OUI au soutien des paysans qui veulent maintenir les cornes de leurs vaches adultes.

Et vous ?

Valérie Mausner Leger

Candidate au Conseil national. Titulaire d’un diplôme d’HEC et au bénéfice d’un Master en systèmes d’information., Valérie Mausner Leger conseille les communes romandes pour leur politique déchets. Conseillère communale à Nyon, elle a co-fondé l’association Demain la Côte qui promeut l’agriculture urbaine, les énergies renouvelables et la consommation sobre.

6 réponses à “Si j’étais une vache, je voudrais garder mes cornes

    1. S’exprimer c’est bien. Mon objectif est aussi soit de convaincre ceux qui douteraient, soit de soutenir ceux et celles qui n’oseraient pas interroger, voire remettre en cause le modèle dominant. Il y a du travail…

  1. Bien sûr que les vaches tiennent à leurs cornes. C’est aux humains d’adapter leurs étables aux vaches et pas à ces dernières de sacrifier leur anatomie aux contraintes d’espace.

    1. Oui, cela tombe sous le sens. L’avantage de la votation est de mettre en lumière cette pratique.

    2. Merci pour ce commentaire de bon sens: c’est aux humains d’adapter leurs étables et non “sacrifier” l’ anatomie d’animaux de rente. Notre attitude vis-à-vis du reste du vivant devrait être respectueuse autant que faire ce peut.

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