Survivalisme ou transition?

La première fois que j’ai entendu parler du réchauffement climatique, c’était en 1989, quasiment trente ans! J’écoutais une jeune scientifique parler de ce dérèglement pour 2100. J’étais interpellée mais pas effondrée : en 110 ans, l’humanité avait le temps de changer de cap.

Depuis, les scientifiques ont étudié les conséquences et nous ont alertés. Le réchauffement climatique entraîne le dégel du permafrost, lequel en fondant, dégage du méthane, puissant contributeur à l’effet de serre. A un certain point, la situation n’est plus contrôlable.

Ils ont aussi averti que les écosystèmes -sol, faune et flore en interaction- ne se déplacent pas en suivant les variations du climat – certains papillons migrent, les oiseaux et la micro-faune du sous-sol pas, et qu’ils ne sont pas tolérants à une hausse des températures moyennes de 2°c. 3, 4 ou 5°C-. Certaines espèces de poissons de Méditerranée ou de rivière ne se reproduisent qu’avec une température donnée-.

Même en Suisse, château d’eau de l’Europe, l’eau peut manquer. Les éleveurs de bovins romands en ont fait l’expérience cet été en alpage: approvisionnement d’urgence par les hélicoptères de l’armée.

J’ai ainsi réalisé que le réchauffement se traduit par un dérèglement généralisé aux conséquences brutales visibles dès maintenant.

A l’évidence, la politique des petits pas menée depuis trente ans n’a pas suffi.

D’autres défis tout aussi inquiétants

De 5,2 milliards en 1989, la population est passée à 7,55 milliards en 2018, ce qui a accentué d’autres pressions.

  • La raréfaction de l’eau douce,
  • La pollution des rivières et des lacs par les rejets industriels.
  • La destruction des terres cultivables par les pesticides et les polluants chimiques
  • La disparition des ressources minérales par extraction de milliards de tonnes annuelles.
  • La prolifération des milliards de tonnes de déchets amoncelés en décharge, ou constituant des « continents » de plastique dans l’ensemble des mers du monde.
  • La surpêche créant une déstabilisation de la faune.
  • La déforestation des forêts primaires, qui supprime la capacité d’absorption du CO2 de la planète, accentue indirectement le dérèglement.
  • Les pertes dramatiques de biodiversité par la perte d’habitat et les pollutions diverses.

Sur ces sujets, les scientifiques insistent sur l’ampleur inégalée de la destruction incompatible avec le temps nécessaire aux écosystèmes pour se renouveler (au mieux en dizaines d’années, au pire en millions d’années).

L’orientation de l’ innovation technologique

Certains, plus alertes sur la technique que sur les mécanismes subtils du vivant, perçoivent ces catastrophes écologiques comme des opportunités d’innovation et de business.

S’il n’y a plus d’insectes pollinisateurs, des robots iront polliniser champs et arbres.S’il n’y a plus de cobalt sur terre, des robots iront récupérer des matières premières sur les astéroïdes.Si la terre devient invivable, les humains migreront sur Mars.

Ces projets productivistes mobilisent des sommes non négligeables.Un robot pourra polliniser, pourquoi pas, mais son coût sera plus important que le service gratuit des insectes pollinisateurs des abeilles.

Des robots pour lutter contre la disparition des ressources minérales pour pomper les astéroïdes : dire que le prix de la tonne de cobalt va augmenter est une évidence.Quant à l’émigration sur Mars. Durée du voyage : 6 mois en apesanteur avec de la nourriture lyophilisée. Quid des conditions de survie locale?

Peut-on imaginer une arche de Noé de 8 milliards d’individus transformés en astronautes, tels Thomas Pesquet, prenant des centaines de millions de vaisseaux pour coloniser Mars ?

Pas crédible ni souhaitable : l’être humain est fait pour vivre sur la planète Terre.

Ces technologies sont gourmandes en ressources minérales et électriques, elles accélèrent le rythme d’extraction, ce qui en soi est un problème.

Que l’IA et les robots soient disruptifs est indiscutable : ils seront source de progrès s’ils sont au service de la protection du vivant et non contributifs de sa destruction.

Le refuge dans le déni

La tentation d’être dans le déni individuellement et collectivement est compréhensible.

Cette position est psychologiquement confortable à court terme, telle la cigale de la Fontaine : « jusqu’ici tout va bien ».Les mois de septembre et d’octobre sur les terrasses des cafés sans une goutte d’eau, c’est bien agréable, n’est-ce pas? Cela évite de remettre en cause le modèle économique inadapté.

La réponse du repli individuel

Certains, avec une vision réaliste de la situation choisissent le repli, tendance « survivaliste ».

Anticipant le chaos, ils acquièrent un bien isolé et y constituent une réserve de nourriture, d’eau, d’armes à feu, et s’entraînent au tir régulièrement.

Cette « réponse » présente plusieurs mérites.

La lucidité : l’eau, la nourriture et l’énergie pourraient devenir un enjeu majeur.Les scènes de pillage post-catastrophe démontrent à quel point l’être humain devient violent quand il a faim et soif.

L’autonomie individuelle/locale : reprise de son destin en main sans attendre une réponse publique. Apprendre des savoir-faire traditionnels basiques, c’est une des voies de résilience.

Le sens de l’effort : entraînement à des conditions plus rudes. L’adaptation ne sera pas à confort constant : ce deuil-là est nécessaire.

Un retour à la simplicité : un coup de frein à la consommation immodérée. Les milliardaires dans leurs bunkers survivalistes sur des îles enchanteresses changeront de loisirs. Finie la chasse en hélicoptère des grands mammifères. 

Le camp retranché : projet de société ?

Basé sur le chacun pour soi, le survivalisme fait le pari défaitiste de la destruction inéluctable de la civilisation.

J’y vois des limites.

Sur le plan pratique, comment assurer son autosuffisance au-delà de deux ans de subsistance ? Comment assurer la réparation du système de sécurité tombé en panne ?

Socialement. Plus de sport collectif, plus de rite, plus de visites, plus d’interaction avec quiconque. Par définition, le camp retranché est coupé du monde afin de se protéger des envahisseurs potentiels, c’est-à-dire tous les autres finalement.

Moralement. Comment répond le survivaliste à cette question : à part sauver ta peau, que fais-tu , toi qui SAIS ?»

Philosophiquement, c’est faire fi de ceux et celles qui se sont battus pour la démocratie, la culture, l’art, le progrès, la santé, la liberté. L’homme nouveau qui fait table rase du passé, c’est le discours totalitaire : cela se termine mal en général.Là, qui plus est, l’homme nouveau est seul avec son noyau familial.

Comment se motiver autour de projet de vie si misanthrope ? Isolé dans un camp retranché, séduisant comme utopie ?

 

Agir maintenant : une nécessité pour chacun

La solution « Après moi le déluge, je sauve ma peau, tant pis pour les autres » ne me convient pas : je ne peux me résoudre à abandonner la partie. Même si je devais assister à l’écroulement de 10’000 ans de civilisation, je veux pouvoir me dire que j’ai agi, que j’étais un colibri qui a tenté de mobiliser ses semblables.

Le GIEC l’a réaffirmé. Selon les domaines, nous disposons de 10 ans maximum pour redresser la barre. Après, nous gérerons les effets catastrophiques des tragédies annoncées.

Puisque l’avenir sera vert ou ne sera pas, tous ceux qui peuvent agir, DOIVENT agir MAINTENANT.

L’action : un remède puissant

Indépendamment d’un impératif de survie, AGIR est important : l’action est un puissant remède à l’angoisse. Étant donné l’ampleur inédite du défi, se sentir soutenu et encouragé par les autres nous donnera l’énergie nécessaire, voire nous rendra heureux. La convivialité procure une joie et fierté: en quatre mois, des potagers partagés en permaculture produisent d’impressionnants kilos de légumes.

Individuel et collectif : engageons le changement de cap vers une transition audacieuse

Des signes permettent de trouver l’espoir.

  1. Le partage des connaissances, des techniques, voire des boycott est facile, immédiat et global.

Les réseaux sociaux, les WIKI, les MOOC, les tutoriaux permettent de diffuser gratuitement les pratiques, en particulier auprès des jeunes générations qui vont devoir prendre en main leur destin.

Le “World clean up day” ou les « Marche pour le climat », la campagne sur le « Divestment », sont autant d’événements qui témoignent d’une prise de conscience à l’échelle globale. D’environ 500 participants à Genève en 2017 à plus 5000 participants cette année, l’évolution est manifeste.

Ce blog participe de cette logique.

  1. Les solutions existent et se développent tous les jours et sur tous les continents, et permettent de définir un nouveau cap. « Il n’est pas de bon vent pour celui qui ne sait pas où il va ». Le cap s’appelle le « développement durable », « la transition », la « sobriété heureuse », « l’économie circulaire ». Il se compose de solutions identifiées comme dans le documentaire de 2010 de Coline Serreau « Solutions locales pour un désordre global », reprises par le documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent de 2015 « Demain ».

Unitairement, ces bouts de solutions paraissent saugrenus ou en deçà de l’enjeu.

Repris ensemble, ils dessinent un tout cohérent, modèle possible pour chacun et pour tous.

Via ce blog, je poursuis trois objectifs :

  • Partager ces solutions pour accélérer leur mise en œuvre et leur donner une résonnance en donnant corps au nouveau modèle.
  • Accompagner les changements de comportements individuels vers une consommation responsable.
  • Accroitre la pression citoyenne sur les politiques.

En avant toute vers la transition.

NB : je plante le décor, c’est un peu long. Promis, les prochains articles seront plus courts.

Valérie Mausner Leger

Candidate au Conseil national. Titulaire d’un diplôme d’HEC et au bénéfice d’un Master en systèmes d’information., Valérie Mausner Leger conseille les communes romandes pour leur politique déchets. Conseillère communale à Nyon, elle a co-fondé l’association Demain la Côte qui promeut l’agriculture urbaine, les énergies renouvelables et la consommation sobre.

12 réponses à “Survivalisme ou transition?

    1. Merci pour votre lecture. Et il y a besoin d’autant de “petits gestes” que de “grandes décisions” politiques.J’y reviendrai bientôt.

  1. Bravo Madame,

    Personnellement, je pense qu’il est déjà bien trop tard, mais comme on disait, au catéchisme, il y a fort longtemps “Aide-toi et le ciel t’aidera”!

    Qui sait, peut-être que Dieu existe et sauvera vos petits-enfants?

    1. Merci. Je ne suis pas encore grand-mère mais il est tout à fait vrai que je pense à eux quand j’ai un moment de découragement ou quand je croise quelqu’un qui me dit : “de toute façon c’est foutu donc à quoi bon” ….Je souhaite pouvoir dire : j’ai fait ce que j’ai pu.

  2. Merci pour cet article, et ce blog !

    Et n’oublions pas que dans une année, nous allons renouveler notre parlement. A nous d’élire les bonnes personnes… entre autres actions bien sûr !

    1. Merci pour votre encouragement. Et dans un an, élections. Souhaitons que les actions concernant le climat -entre autre- occupent le devant de la scène politico-médiatique.

  3. Dire qu’il faut agir, et agir vite, est incontestable, Il est vrai aussi que nous ne disposons réellement d’aucune “planète B”. Personne de sérieux ne peut envisager une migration massive des êtres humains sur la planète Mars. Par contre, il est vrai que l’établissement d’une ou plusieurs colonies autonomes à terme (mais il faut bien commencer un jour pour cela) sur la planète rouge est envisageable et que cela donnerait à l’HUMANITE (mais pas à tous les membres qui la composent !) une chance plus grande de survie à long terme. Une catastrophe planétaire, naturelle (collision avec un astéroïde par exemple), ou provoquée par l’Homme, est toujours possible et il vaudrait mieux si cela devait arriver un jour que l’Humanité n’ait pas gardé “tous ses oeufs dans un seul et même panier”!

    1. Un genre arche de Noé géante avec flore, faune, y compris celle du sol, jeunes gens aux gènes différents les uns des autres pour un aller-simple vers Mars, disons 10’000 personnes pour éviter consanguinité …entrainement paramilitaire sur le plan physique et psychologique, acquisition des langues et des savoir-faire, diversité des métiers pour recréer une colonisation. Pourquoi pas ? Toutefois, il y a lieu due concentrer les efforts -tant en termes de recherche scientifique que de diffusion des innovations – dans les domaines de l’énergie renouvelable, la gestion de l’eau et d’une agriculture compatible avec le changement de climat.Et ce pour les questions des 8 milliards d’autres qui n’auront pas l’opportunité/le devoir de coloniser Mars.

  4. Bonjour Valérie,
    Merci pour cet intéressant article. Pour ma part, je suis végétarien, me déplace en transports publics et reste en Suisse pour mes vacances mais je pense malgré tout que le système me fait grandement contribuer à la pollution de l’ensemble. La population mondiale a doublé en à peu près 50 ans … notre maison est trop petite pour accueillir tout le monde, même si l’Humanité réduit son empreinte de manière significative (et quand je vois les réactions autour de moi quand je dis que je n’ai pas de voiture), je peux vous assurer que ce n’est pas gagné! C’est un peu triste à dire mais l’humain, cet être que l’on dit capable de belles choses n’arrive pas (ou pas tous) à repenser son mode de vie. Belle journée à toutes et tous! 🙂

    1. Bonjour Olivier,

      Je fais le même constat. Tant que les comportements vertueux restent “individuels” ils ont peu de chance de faire basculer la grande majorité. Si nous devenons 10 à 15%, cela devient visible. Enfin, il manque -pour le moment- une vision globale simple d’un “destin” commun souhaitable.C’est une des raisons d’être de ce blog, contribuer à construire un modèle soutenable, souhaitable et joyeux qui attire au lieu de faire fuir.

  5. Merci pour cette présentation différenciée de nos alternatives. Agir me semble aussi la meilleure option. Nos politiciennes et politiciens restent les plus à même d’avoir un réel impact: à quand un indice mesurant leurs actions (et leurs effets) pour les comparer et n’élire que des personnalités « durables »?

    1. Dans certains parlements, le taux de présence est enregistré. A un certain niveau d’absentéisme, peut on vraiment se représenter? par ailleurs, c’est intéressant de suivre les votes de ceux qui nous représentent. Cela permettrait de confronter les paroles et les actes et de se déterminer éventuellement a posteriori du moins.

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