Voyage de 2 minutes pour cultiver la gratitude et l’émerveillement

Cet article peut être lu à voix haute, comme une prière avec ou sans confession, avec une attitude d’ouverture, d’humilité et de gratitude.

 

Je lis cet article. Cet acte qui me paraît peut-être banal est le fruit de milliers d’années d’évolution, d’inventions, de travail de nombreuses personnes.

Celles qui ont inventé le langage, l’écriture, et aussi celles qui ont fait évoluer notre espèce vers davantage de complexité et de capacité d’abstraction. Celles qui ont œuvré pour créer un contexte sécure où l’alimentation, le chauffage, le logement, la médecine et l’éducation sont garantis pour la majorité.

Celles, si je lis sur papier, qui ont découvert comment obtenir du papier à partir du bois. Celles qui ont planté des arbres, les ont coupés, acheminés, transformés. Celles qui l’ont distribué, stocké puis vendu, celles qui ont imprimé. Celles qui ont mis au point et amélioré l’encre, les machines pour imprimer, la distribution. Celles qui ont creusé la terre, extrait et acheminé les minerais, fait des alliages et fondu les métaux pour créer toutes ces machines.

Les personnes, si je lis sur ordinateur, qui l’ont inventé et développé, qui ont assemblé les composants, acheminé les pièces, imaginé et implémenté le design et l’ergonomie, l’ont vendu. Grâce à celles qui ont créé les bateaux, les camions, les avions, le téléphone, internet. Celles qui ont rendu possible la production de l’électricité en masse.

Je remercie toutes ces personnes, ainsi que toutes les autres. Sans elles je serais peut-être en train de chercher de la nourriture, au froid exposé·e aux intempéries, dans l’obscurité, peut-être nu·e. Mon espérance de vie serait probablement moins longue, et mon existence presque uniquement focalisée sur ma survie et celle de mes proches.

 

Sans elles, je n’aurais pas pu lire cet article.

 

 

 

Crédit photo : Peter Thoeny

Thomas Noyer

Thomas Noyer travaille comme psychologue-psychothérapeute (adultes et couples) et superviseur au Cabinet Sens à Neuchâtel. Il anime des groupes sur le masculin et les troubles alimentaires. Il écrit dans un blog personnel et contribue aussi à un blog collectif, où il s'exprime surtout sur la psychothérapie humaniste. Il est aussi l'auteur de "Dans la peau du psy" (2023).

7 réponses à “Voyage de 2 minutes pour cultiver la gratitude et l’émerveillement

  1. “Celles qui ont inventé le langage, l’écriture…”

    Au début était le Verbe et il fallut construire la Tour de Babel, car plus personne ne se comprenait. Alors Dieu inventa Google Translate pour confondre encore mieux les peuples.

    Enfin vinrent Alain Robbe-Grillet qui me dit un jour: “Je vends, je n’achète pas” , San Antonio et Joel Dicker. Et le Verbe s’est fait cher.

    “Celles qui ont œuvré pour créer un contexte sécure où l’alimentation, le chauffage, le logement, la médecine et l’éducation sont garantis pour la majorité.”

    Il fallut alors inventer le contrôle des denrées alimentaires, le prix du mazout produisit la crise de 1974, le logement celle des subprimes, la médecine l’explosion des coûts de la santé et l’éducation le conformisme, le consensus, le consumérisme et le crétinisme des masses.

    “Celles, si je lis sur papier, qui ont découvert comment obtenir du papier à partir du bois. Celles qui ont planté des arbres, les ont coupés, acheminés, transformés. Celles qui l’ont distribué, stocké puis vendu, celles qui ont imprimé. Celles qui ont mis au point et amélioré l’encre, les machines pour imprimer, la distribution. Celles qui ont creusé la terre, extrait et acheminé les minerais, fait des alliages et fondu les métaux pour créer toutes ces machines.”

    Puis est venue au milieu des années 1970 la photocomposition, qui a envoyé toutes ces belles machines – linotypes, monotypes, presses Stanhope, etc. – à la casse et enfin la Quatrième Révolution Industrielle avec Internet et le numérique, qui a mis les imprimeurs au chômage. Typographes, correcteurs, lecteurs d’épreuves et traducteurs ont été remplacés par Word, la traduction automatique, les réseaux de neurones et les chaînes de Markov Cachées.

    “Les personnes, si je lis sur ordinateur, qui l’ont inventé et développé, qui ont assemblé les composants, acheminé les pièces, imaginé et implémenté le design et l’ergonomie, l’ont vendu.”

    Le plus ancien ordinateur étant, non pas le boulier, ni même la clepsydre, mais la cellule humaine qui contient déjà en elle le code génétique nécessaire à la reproduction de l’espèce, le seul inventeur de l’ordinateur est le hasard. Aujourd’hui, l’ordinateur consomme à lui seul dix pour cent de la production d’électricité et – centres de calcul, Internet et usagers compris – produit aussi dix pour cent de l’émission de gaz à effet de serre, bien avant les trafics aérien et routier. Quant aux composants, pièces et matériaux, par leur obsolescence programmée ils sont la cause de la plus formidable production de déchets, en bonne partie toxique, de tous les temps. On n’arrête pas le progrès, paraît-il.

    “Grâce à celles qui ont créé les bateaux, les camions, les avions, le téléphone, internet. Celles qui ont rendu possible la production de l’électricité en masse.”

    Vint alors un virus invisible, de moins d’un dix millième de millimètre, aux yeux bridés, parlant chinois et répondant au doux nom de Coronafucius, qui mit en moins de trois mois la moitié de l’économie mondiale à genoux et ceci de manière durable – ce qu’aune armée, aucune puissance n’a jamais réussi à faire.

    “Je remercie toutes ces personnes, ainsi que toutes les autres. Sans elles je serais peut-être en train de chercher de la nourriture, au froid exposé·e aux intempéries, dans l’obscurité, peut-être nu·e….”

    Ne les remercions pas trop vite. Sans elles, nous ne serions sans doute pas dans la gabegie où elles nous ont plongés, et pour longtemps encore. Ne risquons-nous pas fort de revenir plus vite que nous le pensons à notre condiion de primates condamnés à chasser le gibier armés de gourdins, d’arcs et de flèches et à quêter notre pitance nus, dans le froid, les intempéries, l’obscurité?…

    Est-ce vraiment le fruit de milliers d’années d’évolution, d’inventions, de travail de nombreuses personnes?

    “But man, proud man…
    Most ignorant of what he’s most assured.”

    William Shakespeare, “Measure for measure”

    1. Vous avez raison, bien sûr. Tout comme moi. Ces différences de perceptions ne sont-elles pas l’essence même du libre-arbitre?
      La proposition est de cultiver la gratitude, mais nous avons effectivement aussi le choix de voir le mur qui se rapproche, l’urgence de réagir, et de cultiver la peur, l’impuissance et l’amertume.

  2. Hier et aujourd’hui c’est toujours pour vivre

    En lisant votre récit, je revois les fourres colorées des petits livres illustrés de mon enfance que j’étais heureux de recevoir, je pourrais aller les sortir des cartons qui s’empilent dans la grange accolée à la vieille maison où je vis, vouée à la démolition tôt ou tard, où le chauffage et l’eau chaude étaient hier encore en panne, l’eau qui goutte sous le plafond environ tous les trois mois, les détonations des pistolets à clous du fabricant de caisses devant ma fenêtre…

    Votre récit m’a confirmé comme dans ces moments d’hésitations où parfois je pense : « Je vais partir ! Un petit appartement où je peux dormir normalement la nuit, sans la route à un mètre du bord des fenêtres, sans le voisin qui crie, sans les poils et les puces de son chien, les robinets qu’il oublie de fermer, les carreaux cassés qui font sauter la tuyauterie du radiateur quand il gèle. Tant pis pour la grange… » Puis juste après je vais jeter un coup d’œil pour aller fumer une cigarette entre les cartons et mes objets témoins de tout ce que j’ai aimé et aime touojurs. Je ne donne pas la liste, mais suivez mon regard pendant que je fume cette cigarette, pas la dernière : « Mon tricycle, ma trottinette de mes six ans, non je ne les jetterai jamais ! Ma voiturette Isetta à trois roues, mon moteur de camion de 600 kg, le rail de chemin de fer, les lanternes, les bornes d’aiguillages, j’y tiens tant !.. Mes demoiselles des années soixante en plâtre peint sauvées du magasin en feu, ce serait trop triste qu’elles ne restent pas avec moi… Et ma motocyclette de 1936, mes machines, les outils, c’est ce que je voulais avoir dès l’âge de six ans, je ne m’en séparerai jamais vivant ! Tant pis pour l’appartement normal et confortable !.. »

    On se moquera de moi si je dis que ce récit de psychologue en haut de la page est merveilleux, vous avez énuméré ce qui fait vivre le monde, et moi cela me fait vivre aussi affectivement. Et puis finalement cet affreux appartement est quand même mieux que la grotte d’un homme des cavernes !..

    Mon commentaire est de nouveau trop long, alors voici une dernière image que je désire donner, pour que vous ne vous sentiez pas enfermé dans une grotte ou une grange.

    Un soir vers minuit, sur une terrasse d’Ouchy, peu de monde, il pleut. Je ne sais comment nous avions commencé à parler d’ampoules électriques. Elle, seize ou dix-sept ans : « Oui, oui… Maintenant je me souviens, il y avait comme un petit ressort qui faisait gling-gling quand la lampe était foutue ! » Moi : « Si vous êtes là samedi prochain, je prendrai avec moi une ampoule de 1949 à cinq filaments qui fonctionne encore, et un petit enregistreur à bande magnétique qui tient dans la main, vous entendrez les bruits de la rue et les gens qui rient en 1964 ».

    Le samedi suivant, elle : « Oh c’est un interrupteur ? Avec du mercure ? Ce que c’est beau cette lumière, c’est doré ! Cela ne va pas exploser ? Hi-hi la dame qui vous parle dans l’enregistreur, ma grand-mère me parlait sur le même ton, nous quelque part on ne change pas ! »

    1. Merci pour votre commentaire. Je sens la gratitude qui vous anime et elle m’inspire!
      On peut vivre dans un environnement hostile ou un “affreux appartement” par manque de choix, mais n’est-ce pas notre regard qui crée du bonheur, du sens à la vie?

  3. @ M. Arthur Noyer

    Merci pour votre écho, et puisque vous posez une question, je me permets d’ajouter un court et dernier commentaire.

    « Par manque de choix », en la situation actuelle oui. Mais il y a vingt ans j’ai sauté dans ma voiture pour aller signer le bail : C’était mon regard sur cet appartement qui avait créé le bonheur. Dans mon enfance, mon fort rêve était de vivre au bord de la route, un lit avec un gros duvet sous un parapluie retenu avec des ficelles, tout près des voitures, les cris des gens, mais quand même avec une petite table de nuit et une lampe de poche. C’était un rêve d’enfant que je continuais à faire adulte, quand à l’âge de cinquante ans le hasard m’avait mené jusqu’à cet appartement où je pouvais toucher le bord de la route depuis les fenêtres, recevoir la neige sur mon bureau si j’oubliais de les fermer, et tout le reste pour réaliser mon rêve de bonheur. Mais pourquoi cette folie ? Jusqu’à l’âge de dix ans nous vivions en famille dans un petit appartement au septième étage au-dessus de la gare de triage, nos lits étaient séparés par des cartons, nous mangions des sardines Pilchard ou de la Charlotte aux tomates sur une table pliable de camping. Les disputes, les cris, les pleurs étaient quotidiens, mais j’avais tout le salon pour bricoler et y entasser mes trouvailles. Quand les tempêtes entre mes parents étaient trop fortes, je pouvais aller sur le balcon caché retrouver mes amies les fourmis, leur donner du sucre, leur parler, je leur avais fabriqué un tunnel en bois à travers la fenêtre de la cuisine pour qu’elles puissent aller manger aussi du salé.

    Puis mes parents sont devenus riches, nous avions quitté l’affreux appartement pour aller s’installer comme le roi, la reine, la princesse et le prince dans leur tout nouveau et vrai château. Chacun pouvait se cacher pour aller pleurer, aller dans le beau jardin crier sous les hauts arbres, je n’avais plus les fourmis mais les écureuils sur le très grand toit qui venaient me trouver pour que nous croquions ensemble du chocolat aux noisettes. J’ai connu le bonheur du silence et de la haine jusqu’à vingt ans, le confort pour mourir en ayant moins mal, un lit douillet avec mon pistolet sous l’oreiller pour croire qu’on ne peut pas me prendre ma vie, au moins celle de mes rêves.

    Aujourd’hui je ris en pensant au pire et au plus heureux que j’espère avoir encore devant moi, je lance par la fenêtre des surprises à grignoter pour les renards et les souris, je me suis acheté de nouvelles machines que je ferai fonctionner à la chambre à coucher, pour faire beaucoup de bruit en même temps que les autres et continuer à fabriquer des objets qui font croire et rêver. Ou n’inspirent pas grand-chose mais fonctionnent bien.

  4. Très beau texte, merci, il m’a rappelé ce poème de Sully Prudhomme, Un Songe, que j’aime beaucoup :

    Le laboureur m’a dit en songe : « Fais ton pain,
    Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème. »
    Le tisserand m’a dit : « Fais tes habits toi-même. »
    Et le maçon m’a dit : « Prends ta truelle en main. »

    Et seul, abandonné de tout le genre humain
    Dont je traînais partout l’implacable anathème,
    Quand j’implorais du ciel une pitié suprême,
    Je trouvais des lions debout dans mon chemin.

    J’ouvris les yeux, doutant si l’aube était réelle :
    De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
    Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.

    Je connus mon bonheur et qu’au monde où nous sommes
    Nul ne peut se vanter de se passer des hommes ;
    Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.

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