Collaboration et philanthropie ou les vertus du jeu en zone

La collaboration en philanthropie requiert les mêmes vertus que le jeu en zone dans le sport. Une petite explication pour les non-initiés : dans le jeu en zone, chaque joueur est responsable d’une zone de terrain à défendre, à l’opposé du jeu en individuel dont le principe est que chaque joueur garde un adversaire spécifique.

Quel est le lien entre philanthropie collaborative et jeu en zone me direz-vous ? Je laisse la réponse à l’entraîneur espagnol Juan Manuel Lillo : « Pour jouer en zone, il faut vivre en zone. Le jeu est une activité qui se ressent d’abord et se met en marche ensuite. On connaît les vertus de la zone : solidarité, entraide, coopération, collaboration. Ceux qui vivent ainsi savent jouer de cette façon. Nous partageons les espaces, les efforts et les responsabilités pour qu’à la fin nous partagions aussi les bénéfices. En définitive, la quintessence de la zone, c’est le partage ».

Une grande partie de la philanthropie actuelle ressemble plutôt au jeu en individuel : chaque fondation définit sa ou ses thématiques et soutient un nombre d’organisations qui répond à ses critères de sélection. Cette approche s’explique en grande partie par le fait que les raisons qui nous poussent à donner sont souvent complexes et relèvent de notre sentiment intime.

Cependant, à mesure que les enjeux sociétaux et environnementaux augmentent (comme le réchauffement de la planète ou la guerre en Ukraine, pour n’en citer que deux), la tendance à collaborer entre donateurs se renforce. Nous sommes en train de passer d’un jeu en individuel à un jeu en zone. Il est important de préciser que nous abordons ici la collaboration sous l’angle des fondations donatrices uniquement, même s’il est entendu que de multiples types de collaborations incluant ONG, bénéficiaires, gouvernements et fondations existent aussi.

Notre pratique en tant que conseillers en philanthropie nous a permis de distinguer différents niveaux de collaboration :

Tout d’abord, le partage d’information : les donateurs échangent à propos des différentes organisations ou, plus généralement, autour des besoins liés aux thématiques qui les intéressent. SwissFoundations organise par exemple de manière régulière des cercles de travail pour ses membres sur différentes thématiques telles que l’action sociale ou l’environnement.

Mais aussi, les co-financements d’une ONG : les donateurs vont collectivement contribuer au financement commun d’une organisation. Cela a été le cas du fonds d’aide rapide COVID-19, abrité chez Swiss Philanthropy Foundation, qui a rassemblé 15 donateurs (individus, fonds abrités et fondations) qui ont soutenu 20 organisations pour venir en aide à plus de 46’000 personnes impactées par le COVID-19 à travers le monde. C’est aussi le modèle que l’on voit avec la Chaîne du Bonheur et la collecte de fonds pour l’Ukraine.

La mise en commun de ressources financières et définition de critères communs finalement : à l’image du Early Childhood Regional Networks Fund qui vise à soutenir le développement de la petite enfance par le renforcement de réseaux régionaux.

Le niveau de collaboration va donc dépendre de l’ambition des donateurs : plus l’ambition sera grande, plus la tendance à collaborer sera forte.

On ne peut pas espérer lutter contre le réchauffement climatique seul, les donateurs seront donc plus enclins à faire des concessions pour atteindre leur objectif. Ils seront prêts à passer du jeu en individuel au jeu en zone. Pour reprendre les mots de Julian Nagelsmann, actuel entraîneur du Bayern de Munich : « Le jeu en zone se définit par beaucoup de panache, de cœur et de générosité », des mots qui se prêtent aussi très bien à notre conception de la philanthropie.

Soutenez la part des anges

Au fur et à mesure que la pandémie touche les différents continents (Afrique, Amérique Latine, Moyen-Orient, Asie du Sud-Est) dans lesquels les donateurs que nous accompagnons soutiennent des projets de développement sur différentes thématiques, il me semble utile de continuer à témoigner des réalités vécues par les acteurs de terrain et surtout les réponses apportées à cette crise sanitaire hors Europe.

Mon propos n’est pas de tirer de constat, je crois qu’il est encore trop tôt pour le faire mais plutôt de partager mon analyse sur la base des échanges réguliers avec les organisations qui viennent en aide aux plus démunis et donner, quand faire se peut, une mise en perspective :

Vulnérabilité

Poursuivre les activités malgré les mesures de confinement plus ou moins strictes prises par les autorités dans chacun des pays concernés. A l’image des PME chez nous, beaucoup d’organisations doivent travailler avec un effectif réduit dans des pays où l’allocation chômage n’existe pas.

Continuité

Concrètement, il faut garder un niveau d’activités, protéger les équipes qui les réalisent, tout en réduisant les salaires et en licenciant une partie des équipes.

Du développement à l’humanitaire

En l’espace de deux semaines, la plupart des organisations ont dû revoir ce qu’on pourrait qualifier de « modèle d’affaire » en passant de services de développement (accès à l’éducation, formation professionnelle, réduction de la pauvreté) à de l’aide humanitaire de base (repas, médicaments) pour leurs bénéficiaires qui sont souvent la population la plus vulnérable (famille vivant sous le seuil de pauvreté avec des profils vulnérables comme personnes âgées, très jeunes enfants, ou encore foyer monoparental,).

Sens du mot partenariat

La majorité des bailleurs de fonds a informé les organisations de leur solidarité quant à la situation et sur l’utilisation des fonds. Cependant, les modalités ne sont pas toujours précisées.

Les amateurs de whisky connaissent bien le concept de la part des anges : il s’agit de la part d’évaporation du breuvage lors de son vieillissement et qui rend le breuvage meilleur. Si l’on fait l’analogie avec le monde de la philanthropie, il peut s’agir des fameux coûts administratifs sur lesquels il existe un débat sans fin. On peut les percevoir comme superflus alors qu’il s’agit bien souvent des salaires des équipes ou autres coûts fixes dont dépendent le bon fonctionnement d’une organisation.

Je ne peux qu’inviter les donateurs à soutenir cette part des anges pour les mois à venir, c’est ce qui permettra aux organisations de se relever. Il ne s’agit pas de signer un chèque en blanc mais plutôt de faire preuve de la même flexibilité que les organisations pour répondre à ce nouveau contexte et de permettre à celles-ci de garder les collaborateurs qu’elles ont mis des années à former et de permettre la réalisation des activités prioritaires au service des plus démunis.

Martial Paris

 

COVID-19 : un crash test pour les ONG et pour les donateurs

Le sens du mot pandémie prend tout son sens à notre niveau, alors que les informations venant des plus de quarante projets dans une douzaine de pays soutenus par les philanthropes que nous accompagnons remontent. Les conséquences sur l’économie sont encore en train d’être évaluées, des plans de soutien aux entreprises proposés mais qu’en est-il du soutien aux ONG, de Suisse ou d’ailleurs, et, à travers elles, de l’aide aux plus démunis ?

Il est encore trop tôt pour tirer les leçons sur cette crise sanitaire, mais je souhaite partager ce que je constate au niveau de la réaction des ONG avec lesquelles mon équipe et moi-même travaillons et témoigner de la réalité vécue par les organisations de terrain.

Le principal élément qui apparaît est la grande réactivité des organisations qui viennent en aide aux plus démunis, l’enjeu principal étant de garder un lien avec leurs bénéficiaires. Pour la plus grande majorité d’entre elles, ce lien passe d’abord par internet et les différentes applications de messagerie.

Pour les organisations spécialisées dans l’éducation, certaines ont mis en place des cours en ligne et prêté des ordinateurs. C’est le cas en Suisse, avec l’Association 1951 qui peut ainsi poursuivre les formations à l’intégration des migrants.

D’autres programmes font face à des enjeux majeurs car ils proposent un ensemble de services qui sont directement impactés par les mesures de confinement. Pour Mlop Tapang, au Cambodge, le lien avec les communautés se fait par messagerie via les chefs des villages et par la mise à disposition de son centre médical en lien avec les autorités sanitaires.

Les plus réactives des organisations sont en train d’intégrer les mesures de prévention du COVID 19, dans leurs programmes : Waves for Change en Afrique du Sud va utiliser les gains de change pour financer cette activité ou l’association INSAN au Liban qui a tourné un petit clip de prévention qui sera envoyé aux réfugiés syriens par messagerie.

Ces quelques exemples illustrent la réactivité à très court terme des organisations, l’enjeu à long terme va se situer au niveau des donateurs qui vont devoir faire preuve de la même flexibilité et de leur sens des responsabilités pour accompagner les organisations une fois que la crise sera passée et que les activités pourront reprendre leur cours. Je recommande trois éléments à mettre en place rapidement pour les donateurs :

  •  maintenir une communication aussi fluide que possible afin d’ajuster les budgets des projets en cours à cette nouvelle situation et rassurer les équipes sur le terrain
  • faire preuve de flexibilité quant à l’attribution des fonds : pour les organisations l’enjeu est de pouvoir garder les équipes et de payer des salaires afin de poursuivre la prise en charge des bénéficiaires
  • mettre en place un fonds d’urgence afin de combler les pertes à venir pour les ONG pour les six prochains mois,

Le monde social est comme les PME face à cette situation de crise, et comme l’État, chaque donateur devrait mettre en place son plan Marshall afin d’être à la hauteur du défi et offrir à ses porteurs de projet ce qu’il y a de plus précieux en ces temps incertains : c’est-à-dire de la prévisibilité dans l’engagement, afin que les plus démunis puissent continuer à être aidés.