Monde en rupture : les jeunes appellent à l’action

Je suis triste de compter les moments volés par une météo anormale, les espèces disparues, les morts. Je suis en colère de ne pas avoir le droit de vivre de manière insouciante et de me questionner à la moindre de mes consommations alors que d’autres n’en ont rien à faire. Je suis terrorisée par cette prise de conscience collective qui n’arrive pas.

Lorsque je roule à vélo et que je suis dépassée par des personnes en voiture, je ne peux m’empêcher de me dire que le CO2 que j’économise, ces personnes en profitent. Et que l’air qu’elles polluent, je le respire. Je trouve ça profondément injuste. Mon action sera toujours noyée dans l’inaction de la majorité. Et cette injustice existe à une échelle bien plus large que ma petite personne : des pays entiers paient le prix de notre consommation d’Européens gâtés et c’est humainement inadmissible, intolérable, insupportable.

Ces jeunes qui en font trop

Quand je compare l’indignation collective autour d’une soupe sur la vitre d’un tableau et le silence assourdissant autour du projet climaticide EACOP, il y a de quoi être en colère et se décourager. Notamment si on est jeune. En ce qui concerne le climat comme pour le reste, notre génération n’est pas franchement responsable des problèmes alors qu’on en subit pleinement les conséquences. Et lorsqu’on veut corriger les choses, on reçoit au mieux de l’ignorance, au pire une petite remarque condescendante sur « ces jeunes qui en font toujours trop ».

La première fois que j’ai entendu parler d’éco-anxiété, je ne me suis pas reconnue dans la définition. Le climat était une priorité, mais pas au point de m’empêcher de vivre normalement. A peine quelques années plus tard, face aux connaissances qui s’accumulent, aux conséquences qui s’imposent à nos yeux et à l’inaction qui perdure, mon regard sur cette notion a changé. Oui, je suis aujourd’hui éco-anxieuse et je ne m’autorise plus à vivre « normalement ». Oui, je ressens de la peur, de la tristesse et de la colère vis-à-vis du réchauffement climatique et de ses conséquences. Oui, je suis effrayée de qui est déjà et de ce qui va advenir. Et non, il n’est pas adéquat d’accueillir cette confession avec un petit sourire sarcastique.

A 10 ans, je confectionnais et vendais des cartes de vœux au profit de Terre des Hommes. A 25 ans, je récoltais des fonds en parcourant tous les jours à pied la distance que doivent parcourir certaines populations africaines pour accéder à l’eau potable. A 32 ans, je travaille dans une fondation qui aide des personnes en grande difficulté à accéder à une formation initiale ou à l’emploi. Tout à fait paradoxalement, je sais que tout cela est dérisoire et qu’il est pourtant primordial de continuer à le faire.

Les causes à soutenir ne se raréfient pas. Doit-on en conclure que nos efforts sont pour la plupart vains et que jamais les moyens ne pourront couvrir tous les besoins ? Peut-être, mais qu’importe. C’est aussi ça d’être philanthrope.

Je vous questionne : avec un tel constat, suis-je quelqu’un de foncièrement optimiste ou de particulièrement naïve ? Fais-je partie des « jeunes qui en font trop » ? Ni l’un, ni l’autre. Je fais ma part, histoire de me regarder dans les yeux et de pouvoir dire à mes enfants « j’ai fait ce qui était en mon pouvoir pour que les choses aillent mieux ».

Et je crois que c’est là que le philanthrope puise son énergie : le sens du devoir, l’envie de contribuer au bien commun, la conviction qu’on ne peut attendre des autres ce qu’on ne fait pas soi-même, l’espoir que les petits ruisseaux forment les grandes rivières.

Celles et ceux qui peuvent changer les choses mais ne font rien

Mesdames et Messieurs qui êtes à la tête de nos instances politiques, de nos lobbies, de nos entreprises, de nos fondations, qu’attendez-vous pour (ré)agir ?

On ne vous demande pas de prendre la décision la plus optimale qui soit, d’adopter le plan le plus étudié possible. On ne veut pas de vos matrices des risques, de vos analyses SWOT, de vos exposés sur l’importance des « petits pas » qui permettent d’accorder tout le monde. On vous demande d’agir.

Je fais le parallèle avec les premiers secours : ce qui tue le plus n’est pas d’avoir eu les mauvais gestes, mais de n’avoir rien fait.

Alors on ne vous en voudra pas de ne pas faire tout juste du premier coup. Ni même d’avoir fait pire en voulant faire mieux. En revanche, on ne vous pardonnera jamais de détourner le regard, de pointer les autres du doigt et de ne pas essayer.

Riche de notre jeunesse, on vous offre notre énergie, notre engagement, notre passion. Utilisez-la, abusez-en. Mais par pitié, ne nous sacrifiez pas : changez l’aiguillage avant que le train ne percute définitivement le mur. Notre génération aussi veut un air qui se respire, et cela ne se fera pas sans vous.

Mathilde Appia

Après une scolarité en Suisse et deux longs séjours en Angleterre et aux Emirats Arabes Unis, Mathilde Appia s’installe à Genève pour mener conjointement des études supérieures (Master en administration publique à l’IDHEAP), une activité indépendante (exploitation de deux épiceries fines) et une vie de famille (3 enfants). Le sens du devoir et de la mission profondément ancrés en elle, elle travaille ensuite pour une association d’aide humanitaire puis une fondation active dans l’insertion professionnelle dont elle devient directrice adjointe en 2022. Récemment, grâce à Board for Good, elle a suivi une formation à destination des actuels et futurs membres de conseil de fondation dans l’optique de s’investir plus activement dans les questions sociales et environnementales.

13 réponses à “Monde en rupture : les jeunes appellent à l’action

  1. Madame, votre écrit doit, à mon sens, être lu par chaque humain donc, traduit dans toutes les langues. Merci pour cette clairvoyance.

  2. L’occident a vécu dans un cocon, votre fragilité en est une conséquence. Le fantasme de l’apocalypse reste un fantasme bien occidentale.
    COP après COP, on voit une Europe anxieuse et le reste du monde indifférent.
    Le reste du monde voit les occidentaux comme névrosés et peureux, avec leur GIEC et leurs ONG qui annoncent le malheur. Pas convaincant pour eux.

    On ne va pas dans le mur, mais il y aura des adaptations à faire. En résumé, vous avez l’anxiété des gens “heureux “.
    Sur le reste de la planète, l’occidentale est vu comme une “chochotte”.

    L’anxiété n’est qu’occidentale, alors que c’est la Chine, l’Inde et le Brésil qui deviendront les principaux émetteurs.
    On ne peut pas faire grand chose vu que ça se passera ailleurs, même si l’Europe vit dans les grottes, ça ne changerait rien.
    Mais on a tout ce qui faut pour accompagner le changement. Ce n’est pas important si il y a des palmiers en Suisse et de la vigne en Scandinavie.

    Votre anxiété est civilationnels, pas fondée mais c’est notre société qui la produit.

    Vous parlez de votre génération plus soucieuse du climat, non c’est faux. Le rejet de la loi CO2 à été plus forte dans votre génération qu’ailleurs. Les plus attentifs, ce sont les générations les plus âgée pas les jeunes.
    Chez les jeunes il y a une rupture entre les niveaux d’éducation. Donc, si il n’y avait que votre génération, ce serait peut-être pire.

    1. Affirmer que le reste du monde est indifférent au dérèglement climatique est non seulement contraires aux données scientifiques, mais faire preuve de peu de considération envers les populations qui font face à des inondations, des sécheresses et des famines aussi inouïes que dramatiques. Lire dans votre commentaire “qu’on ne peut pas faire grand chose”, “qu’accéder à la sobriété ne changerait rien”, “que ce n’est pas important si on a des palmiers en Suisse”, “que le problème ce sont les autres” et “que l’anxiété sur le sujet n’est pas fondée” me conforte dans ce que j’ai écrit dans mon article : il y a encore une incompréhension profonde du sujet et donc une inaction terrifiantes.

    2. Vous prenez d’odieux raccourci dans votre réflexion. Par exemple, pourquoi la loi CO2 a été rejetée ? Beaucoup de personnes, des jeunes également, ont critiqué et rejeté une loi vidée de tout sens et réduite à un minimum risible et inefficace. La Suisse est un pays de valeur, nous ne votons pas des lois vides pour prétendre faire les choses comme la France, sans jamais les appliquer. Le parlement à raté sa coche à cause des partis de droite qui ont tout fait pour torpiller une loi qui serait passée haut la main. Nous pouvons parler également du PLR qui a changé sans arrêt de position afin de troubler les pistes et de ses membres n’ayants pas suivi les directives publiques du parti.
      Or voilà, vous êtes là à prendre deux éléments et en trier une conclusion honteuse. Un raisonnement intelligible et réfléchi se paye le luxe de considérer le chemin tortueux entre ces deux éléments, ce qui n’est pas le cas de tout votre blabla. Navrant.

      1. Je ne saisis malheureusement pas à quoi vous faites référence en évoquant “deux éléments” et une “conclusion issue des deux”. Je regrette comme vous ce qui s’est passé autour de cette loi sur le CO2.

    3. C’est marrant de lire ceci :
      la Science montre qu’il y a plein de raison de s’inquiéter. Certes les plus riches s’en sortiront, et s’adapteront.
      Mais aussi le monde des affaires montre qu’on peut s’en inquiéter : Mais 25% du territoires Européens ne sera plus assurable d’après les compagnies d’assurances, à cause de la sécheresse, inondations, tempêtes… Le vin de Bordeau va juste devenir imbuvable, et les vacances sur la cote d’azur sous douche… Palmier en Suisse : rigolo mais l’infrastructure n’est pas adaptée, ca veut aussi dire plus d’eau pour les chalets en altitude, érosion accéléré… et vigne à Copenhagen, ce sera peut-être du bon vin, mais aucun bâtiment n’est prévu pour la chaleur, 40 deg à Casablanca ca marche, 40 deg a Paris ca ne marche pas.
      Mais aussi les forces armées : Famine en Afrique : potentiellement quelques centaines de million de migrants à gérer : déjà un navire de 800 migrants c’est la crise politique, ça par jours, relativement inquiétant également.
      Bref, des adaptations possibles, mais que seule la prochaine génération devra gérer, à coup de milliard avec des états déjà endettés à la limite du possible.
      Donc fragilité non, c’est un jugement très paresseux de quelqu’un qui ne sera pas là pour gérer la suite. Et certainement égoïste de ne pas considérer qu’on puisse être inquiet, à juste titre ou non.

  3. Madame, vous déplorez l’inaction de la majorité, mais en faisant 3 enfants (figurant dans la description de votre portrait) vous avez contribué à la surpopulation et fortement augmenté l’empreinte carbone future.
    Il n’y a aucune critique de ma part quant à votre style de vie ; je ne fais que de constater que votre choix de la pseudo sobriété a été en fait compensée par un besoin d’épanouissement qu’est de fonder une grande famille. Et ce, dans un pays à très forte empreinte carbone du fait de notre haute exigence au niveau des soins, des normes de sécurité et d’hygiène, de la formation, des assurances sociales, de l’application du respect de l’Etat de droit, etc.

    Ma notion de philanthropie c’est également de pardonner ceux qui font faux dans leur choix de vie en matière d’empreinte carbone, même sciemment. Car on a tous parfois un vide à compenser qui nous pousse à des comportements potentiellement néfastes pour l’environnement.

    1. Votre commentaire est extrêmement intéressant et m’a amenée à faire des recherches sur le sujet. Les études montrent que le bilan carbone d’un enfant est très faible contrairement à ce que pense l’inconscient collectif. Il y a plusieurs explications à cela, notamment en lien avec le report des dépenses liées aux enfants vers d’autres dépenses davantage néfastes pour l’environnement (ex.: les vacances à 5 dans un camping à 60 kms de chez soi versus les vacances à 2 dans un hôtel à l’Ile Maurice). On sait par ailleurs que les pays à forte natalité ne sont responsables que de 3.5% des émissions mondiales de CO2, alors qu’ils abritent 20% de la population mondiale. Cela montre bien que ce qui pèse dans la balance est avant tout la manière de vivre. Je vous rejoins donc sur la problématique de notre pays à forte empreinte carbone. Les rapports du GIEC montrent que notre planète peut supporter 2 tonnes d’émissions de CO2 par personne. Aujourd’hui, ma “pseudo sobriété” comme vous l’appelez me permet de respecter cette exigence planétaire. Ainsi, je ne prétends pas que mes enfants ne sont pas sources de pollution, mais que si la totalité de la population mondiale vivait de la même manière que ma famille (et d’autres, nous ne sommes heureusement pas seuls à avoir changé notre mode de vie et de consommation!), il n’y aurait pas de problème de dérèglement climatique.

      1. Faites le test sur le calculateur de l’empreinte carbone proposée par le WWF.

        En cochant toutes les options considérées comme les moins polluantes – c’est-à-dire être un pure végane ne consommant que bio et local et en partageant son logement Minergie-P de moins de 30m2 avec 6 autres personnes qui est chauffé au bois granulé à maximum 17°C avec tous les appareils électroménagers certifiés A++ et en ne prenant aucun transport motorisé (même pour vous rendre aux urgences pédiatriques à 2h du matin), en s’assurant que son 2e pilier est uniquement investi dans les entreprises qui visent la neutralité carbone – vous dépassez déjà 3 tonnes d’émissions de CO2.

        La conclusion du WWF va donc incontestablement dans le sens que chaque nouvel habitant en Suisse, qui n’a encore rien fait d’autre que de respirer l’air, dépasse déjà de 50% les objectifs du GIEC.

  4. Bonjour Madame,

    Et merci pour ce texte ainsi que pour vos engagements.

    Je fais partie d’une génération qui s’est peu préoccupée de l’avenir, vivant sur la conviction d’un futur où l’on pourrait concevoir un monde illimité dans un monde aux ressources limitées. Et polluantes.
    Même si j’ai vécu avec sobriété, j’ai vécu aussi dans une forme d’insouciance jusqu’à l’âge de 40 ans. Depuis , et j’ai 57 ans, une remise en question de ce que je voulais vivre m’a amener à faire ce que je pouvais pour limiter mon impact négatif.

    Me permettez-vous de douter pourtant que les jeunes générations soient toutes aussi sensibles que vous à leur avenir et aux concessions qu’il faudra faire en matière de mode de vie et de consommation pour parvenir à un résultat qui soit le moins mauvais possible ?
    Je vois tous les jours beaucoup de gros SUV, conduits par des jeunes, usant de smartphones ( ne pas oublier ce qu’ils représentent comme coût environnemental ,et à la fabrication et lors des transferts de données ), cherchant au nom du sacro-saint ” se faire plaisir” à réserver au meilleur prix un petit week-end à Lisbonne ou ailleurs ( merci le low-cost des transports et des logements, et tant pis pour ce que les avions et leurs slots obligatoires de vol représentent là-aussi comme coût environnemental ), se faisant livrer leurs nourritures exotiques le soir pendant qu’un aspirateur électrique tourne à la moindre miette dans l’appartement plus petit que la voiture, disposant et abusant d’un choix délirant dans les magasins , etc, ……,
    J’en vois tout autant que de “boomers” qui se précipitent vers les croisières…

    Il ne faudrait pas faire de ce combat un combat générationnel, ce serait trop facile, et permettrait à chacun qui se croit exempt de responsabilités ( jeune ou vieux ) de dormir tranquille, en désignant l’autre.
    Et je rejoins, quitte à déranger, cette idée que l’anxiété actuelle est une anxiété de “nantis”. Nous avons vécu le progrès et ses avantages sans vraiment prévoir sa part d’ombre, son prix. Nous consommons, voulons ” profiter” et pensons que nous “le valons bien”. Jeunes comme vieux.

    Alors oui, les puissants au pouvoir doivent diriger la locomotive dans le bon sens.
    Mais il faudra chez les jeunes, beaucoup, beaucoup, beaucoup plus de bonnes volonté comme la vôtre.
    Car vous serez très vite les chauffeurs des nouvelles locomotives.

    Merci pour vos engagements en philanthropie ( un autre sujet passionnant )

    1. Merci pour votre commentaire constructif. Je rejoins votre analyse de la situation et votre conclusion. Je nous souhaite de parvenir à sensibiliser autrui, jeune ou moins jeune, à la nécessaire “remise en question” dont vous parlez et de représenter rapidement une majorité.

  5. Madame Appia,
    Quel que soit votre âge et le nombre de vos enfants, vous faites partie de cette jeunesse, espoir du monde nouveau. J’enjoins vos détracteurs à écouter l’interview de cet autre remarquable jeune:
    Sud Radio, le 23 novembre 2022
    Rémi Tell, 28 ans, diplômé universitaire en France et aux Etats-Unis, essayiste, a fondé le collectif “Peuple Libre” dont le combat est d’amorcer la reconquête des libertés perdues depuis le COVID-19.
    (Rémi Tell – “Ce qui nous a émancipé autrefois se retourne aujourd’hui contre nous” – YouTube)

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