Réduire l’accès aux armes, c’est aussi réduire le suicide

Les Etats-Unis ont été le lieu, ces dernières semaines, de soulèvements inédits de la part de la population. Celle-ci dénonçait le port d’arme consacré par le deuxième amendement de la Constitution américaine et revendiquait une réforme de la législation sur les armes à feu.

Pour quelles raisons ? Une énième fusillade dans une école (la 18e depuis le début de l’année) et un nombre exorbitant de victimes : aux Etats-Unis, ce sont plus de 30’000 personnes qui meurent chaque année sous une arme à feu. Parmi celles-ci, environ un tiers décède par homicide (meurtre ou fusillade de masse) et – fait moins connu du grand public – deux tiers décèdent par suicide.1

Ces chiffres rappellent le lien direct qui existe entre le nombre d’armes en circulation et le nombre de morts par armes à feu, dont les suicides. En effet, les études démontrent depuis de nombreuses années que plus les armes à feu sont accessibles, plus le taux de suicide par arme à feu augmente.

Mouvement “March for our lives”, Minnesota, 7 mars 2018. ©Fibonacci Blue

 

Le cas de la Suisse

Le cas de la Suisse est édifiant en ce sens. Plutôt libérale dans sa législation des armes à feu, elle est le troisième pays le plus armé au monde, juste après les Etats-Unis et le Yémen, en termes de densité d’armes à feu par habitant. Il y aurait 2 à 3 millions d’armes à feu en circulation dans notre pays – soit environ une arme pour 3 habitants2.

Ainsi, en Europe, la Suisse est non seulement le pays le plus armé, mais également le pays avec le plus haut taux de suicide par armes à feu.

Ceci s’explique en grande partie par le fait que les soldats peuvent, au terme de leur service militaire obligatoire, conserver leur arme. Or il est établi que l’accès aux méthodes de suicide peut précipiter le passage à l’acte : dans une crise suicidaire, on est extrêmement impulsif et ambivalent jusqu’au dernier moment. Avoir un accès direct à une arme à feu et aux munitions augmente donc le risque de commettre l’irréparable.

 

Protéger les hommes

Soldat suisse en permission, ©Rama

Les principaux concernés par ces données sont les hommes. En effet, environ 30% des hommes qui se suicident en Suisse recourent aux armes à feu. Pourtant, des mesures peuvent avoir un impact protecteur important, à l’image de la réforme Armée XXI, mise en place en 2004. Cette réforme menée au niveau national a réduit de façon importante les effectifs militaires et, par répercussion, le nombre d’armes à feu en circulation et conservées au domicile.

Même si ce n’était pas son objectif, Armée XXI eut un effet préventif considérable : le taux de suicide a considérablement baissé chez les hommes depuis la mise en place de cette réforme, avec très peu de reports sur une autre méthode.

C’est pourquoi l’association STOP SUICIDE s’attache à diminuer l’accès et la diffusion des armes à feu depuis de nombreuses années. Elle sera notamment entendue par le Parlement dans le courant de la semaine prochaine dans le cadre de consultation sur la directive de l’UE sur les armes. Celle-ci vise à restreindre la circulation des armes dans l’espace Schengen, et à améliorer l’échange d’informations à leur sujet. Le Conseil fédéral s’est récemment dit favorable à une adaptation de cette loi sur le territoire helvétique.4

 

 

–> Pour aller plus loin dans cette réflexion : le mudac tient une exposition intitulée “ligne de mire” qui interroge notre rapport aux armes à feu et les différentes représentations que l’on peut s’en faire, ainsi que le design dédié à ces objets pourtant létaux. A voir à Lausanne du 14 mars au 26 août 2018.

 

 

 


Références

1. National Vital Statistics Report, National Center for Health Statistics, Deaths: Final Data for 2015. (https://www.cdc.gov/nchs/data/nvsr/nvsr66/nvsr66_06.pdf).

2. Précisons que nous ne disposons pas de registre national des armes, mais uniquement de registres cantonaux et d’estimations sur le grand nombre d’armes militaires en circulation. Il se pourrait donc fort bien que cette estimation soit sous-évaluée par rapport à la réalité.

3. Depuis l’introduction d’Armée XXI, les suicides par armes à feu ont diminué de 48.6% chez les hommes âgés de 30 à 40 ans en Suisse (REISCH T. (2011), Un heureux hasard pour la Suisse, in Bulletin des médecins suisses).

4. Communiqué de presse du Conseil fédéral à ce sujet : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-69964.html

 

REISCH et al. (2013). Change in Suicide Rates in Switzerland Before and After Firearm Restriction Resulting From the 2003 « Army XXI » Reform. Am J Psychiatry, 00 :1-8.

AAS, American Association of Suicidology (2018), Statement regarding the role of firearms in suicide and the importance of means safety in preventing suicide deaths.

http://www.liberation.fr/planete/2018/02/15/les-armes-a-feu-aux-etats-unis-cinq-chiffres-pour-un-fleau_1629977

http://www.liberation.fr/planete/2017/10/02/11-650-morts-par-armes-a-feu-aux-etats-unis-en-2017_1600332

https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-journee-historique-de-manifestations-de-lyceens-et-detudiants-contre-le-port

Article écrit par Léonore Dupanloup.

STOP SUICIDE

En 2000, un jeune collégien genevois se suicide. Face à cette tragédie des étudiant.e.x.s organisent une marche silencieuse et décident à l’issue de celle-ci de fonder l’association STOP SUICIDE. En réaction au silence institutionnel et au manque d’action pour prévenir le suicide des jeunes, ils et elles se sont donné.e.x.s pour mission de parler et faire parler du suicide.

10 réponses à “Réduire l’accès aux armes, c’est aussi réduire le suicide

  1. Faux problème. On ne fera pas reculer les suicides en nous en prenant aux armes légalement acquises par les honnêtes citoyens, mais plutôt en y examinant les causes profondes. Les causes du suicide sont multiples, avant tout psychologiques, économiques, sociales, et elles n’ont rien à voir avec l’obtention d’une arme. L’arme à feu n’étant ici en définitive qu’un moyen plus efficace et rapide de réaliser son suicide.

    Faire croire aux gens qu’on va rendre les gens moins dépressifs en leur confisquant le droit de détenir une arme relève de la démagogie électoraliste la plus crasse. Cela convient aux politiciens qui instrumentalisent les faits divers pour réprimer toujours davantage le citoyen lambda. Or, le monopole de la violence légitime est d’abord et avant tout un concept dictatorial.

    1. Bonjour, je vous remercie de partager votre point de vue avec nous. Vous avez raison sur le fait qu’il faut également appréhender les causes du suicide qui sont, comme vous l’avez dit, multiples. Même si ce n’est pas le seul moyen de prévenir le suicide, la limitation de l’accès aux méthodes de suicide, dont les armes à feu, a toutefois clairement montré son efficacité. Cela fait d’ailleurs partie des objectifs du Plan d’action national pour la prévention du suicide adopté en 2016 (https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/themen/mensch-gesundheit/psychische-gesundheit/politische-auftraege-im-bereich-psychische-gesundheit/aktionsplan-suizidpraevention.html).

  2. Encore un argumentaire bidon visant :

    1. à désarmer le citoyen face à l’état,

    2. à miner une tradition ancrée dans notre pays, qui est le fondement de la défense nationale.

    En réalité la possession ou non d’une arme n’a aucun effet sur les suicides. Celles et ceux qui veulent vraiment en finir avec la vie trouveront toujours le moyen. Arme ou pas arme.

    Il y a quelques semaines un ancien magistrat vaudois, notable très connu en Suisse romande, s’est donné la mort en se jetant sous le train. Il était déprimé depuis longtemps mais on ne pensait pas qu’il passerait à l’acte ainsi. Certains verront de qui je parle. Ce décès a profondément choqué de nombreuses personnes.

    Cet homme avait certainement un pistolet d’officier chez lui. Eh bien, quand le besoin irrésistible d’en finir l’a pris, il ne s’est pas servi de son arme. Il s’est jeté sous le train. Si on lui avait retiré son arme, cela n’aurait rien changé.

    Il faut cesser de mélanger tous les problèmes, et de jouer sur la corde sensible pour promouvoir une société de citoyens zombies, sans armée, sans armes.

    1. Bonjour et merci de partager votre point de vue avec nous. Bien loin de moi l’idée de vouloir démanteler les traditions chères à notre pays: mon point de vue est celui de la prévention du suicide. L’expertise de celle-ci, acquise depuis de nombreuses années, montre clairement que la réduction de l’accès aux méthodes de suicide est une mesure préventive efficace. Elle est d’ailleurs inscrite dans le Plan d’action national de prévention du suicide adopté en 2016 (https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/themen/mensch-gesundheit/psychische-gesundheit/politische-auftraege-im-bereich-psychische-gesundheit/aktionsplan-suizidpraevention.html).
      De plus, contrairement à ce que vous affirmez, les études prouvent que les méthodes de suicide ne sont pas interchangeables. Je vous invite à lire à ce sujet mon article précédent, dont le passage sur l’accès aux méthodes (https://blogs.letemps.ch/charlotte-frossard/2018/02/26/le-suicide-est-en-hausse-chez-les-jeunes-suisses/) ainsi qu’à relire cet article en profondeur (“Même si ce n’était pas son objectif, Armée XXI eut un effet préventif considérable : le taux de suicide a considérablement baissé chez les hommes depuis la mise en place de cette réforme, avec très peu de reports sur une autre méthode.”).

  3. Madame,
    Je concède qu’il peut y avoir un rapport entre l’accès aux armes et le taux de suicide PAR ARME A FEU. Mais pas pour le taux général. Les statistiques sont parlantes. Pour la dernière années où elles ont été complète (2014), il y a eu environ 3000 suicides assistés en Suisse, environ 400 suicides “individuels”, dont une soixantaine par arme à feu.
    Depuis le début du siècle, le nombre de suicides est en baisse constante, mais les proportions demeurent semblables.
    Ces simples chiffres démontrent l’inanité de vos propos.

    1. Je vous remercie de partager votre point de vue sur cette plateforme. En effet, le taux de suicide global est en baisse en Suisse depuis le siècle passé. En revanche, contrairement à ce que vous affirmez et aux chiffres que vous suggérez, les proportions ne sont pas du tout semblables. Comme le démontre l’étude de T. Reisch (2013), le taux de suicide par arme à feu a davantage diminué que celui occasionné par d’autres méthodes. Je vous invite à consulter à cet égard les références citées enfin d’article.

      1. le taux de suicide par arme à feu a davantage diminué que celui occasionné par d’autres méthodes ?
        Il me semble que la méthode Exxit ou Dignitas – qui s’adresse maintenant aussi aux jeunes – est la plus “performante” en la matière.

  4. Votre article, certes fondé sur des intentions louables, appelle néanmoins quelque remarques importantes, en premier lieu d’ordre méthodologique.
    Vous introduisez votre prise de position par le rappel d’événements récents qui ont eu lieu aux Etats-Unis et qui n’ont rien à voir avec la question du suicide en général, et de celle des jeunes helvètes en particulier. En quoi, je vous le demande, une énième dispute sur le second amendement de la constitution américaine, largement téléguidée par des milieux hostiles à la présidence actuelle de ce pays, a-t-elle quoique ce soit à voir avec les tentatives de suicides de la soldatesque helvétique? Pourriez-vous, je vous prie, nous fournir quelques précisions en la matière?
    Vous fondez la suite de votre propos sur une étude déjà ancienne (2011), qui elle-même affirme attendre des “chiffres plus précis pour l’ensemble de la Suisse” qui devraient “être publiés dans le cadre d’un projet du Fonds national suisse” (p. 12 de l’étude citée par vos soins en note 3). Je constate que vous n’avez pas consulté les résultats de ce projet du Fonds national. Peut-être auraient-ils été de nature à nuancer quelques peu vos propos?
    Mais passons, et concentrons-nous sur le contenu de l’étude que vous citez. Celle-ci tente de démontrer un truisme qu’on peut résumer ainsi: “plus on a accès à des moyens efficaces de parvenir à un but, plus on les utilisera”. On vous accordera qu’avec une telle prémisse, la démonstration vous est tout acquise.
    Un esprit curieux pourrait toutefois ne pas se satisfaire d’une telle tautologie. Il pourrait vouloir aller un peu plus loin dans la compréhension de la dynamique du suicide *en général*, ne serait-ce que pour en faire encore mieux la prévention.
    Quelle ne serait pas alors sa surprise de constater que le taux de suicide par 100’000 habitants ne semble avoir que peu de corrélation avec la disponibilité des armes à feu. En effet, si l’on en croit les chiffres de l’OMS sur les taux de suicides pour 100’000 habitants dans le monde (étude de 2015, révisée en 2017, dont un résumé est disponible sur Wikipédia: https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_countries_by_suicide_rate#cite_note-WHOsuicideRates2015-1), le Japon, pays où l’accès aux armes à feu est restreint aux seules forces de l’ordre et au crime organisé (les fameux “Yakuza”), figure au 26ème rang mondial pour le taux de suicide, tous sexes confondus pour 100’000 habitants. C’est bien loin devant la Suisse qui, elle et son taux “édifiant” de possession d’armes à feu par des particuliers, ne figure qu’au 82ème rang.
    Plus surprenant encore le cas du Bhutan – ce pays qui a déclaré comme objectif prioritaire l’accroissement indéfini de l’indice de “bonheur national brut” de sa population, classé 163e pays du monde en taux de possession individuelle d’armes à feu par une étude de Cambridge datée de 2007 – qui arrive lui en 59e position mondiale en matière de taux de suicide pour 100’000 habitants, tous sexes confondus.
    On pourrait encore rajouter la douce France, 54e malgré ses politiques de plus en plus répressives en matière de détention par des particuliers (non djihadistes) d’armes à feu, la Corée du Nord (régime totalitaire où aucune arme à feu n’est en mains de particuliers) en 28e position, ou la Belgique (23ème).
    Mais on s’arrêtera là, de peur d’ébranler les fausses certitudes que votre démonstration contestable tente d’inculquer aux lecteurs. On leur rappellera donc qu’au-delà de la question des armes à feu, la mécanique complexe du suicide est d’abord et avant tout tributaire de facteurs socio-culturels. Peut-être ceux-ci sont-ils trop changeants et complexes pour être simplement contrés par une restriction supplémentaire de certaines libertés et par des mesures accrues et intrusives de contrôle sur une certaine frange de la population?

    1. Bonjour et merci de votre commentaire qui illustre bien la sensibilité de la thématique de l’accès aux armes à feu en Suisse.
      Votre sens aiguisé de la logique vous aura permis sans aucun doute de comprendre que l’ancrage contextuel américain servait à illustrer une préoccupation collective et actuelle au sujet des armes à feu, concernant à la fois les suicides et les homicides.
      Le “truisme” que vous invoquez est en revanche une donnée fondée et avérée dans le domaine de la prévention du suicide depuis de nombreuses années par de multiples experts en la question. Limiter l’accès aux méthodes de suicide n’est certes pas le seul moyen de prévenir les suicides, et n’agit évidemment pas sur les causes multiples et complexes du suicide – mais vous aurez assurément compris qu’il s’agit de deux sortes de prévention bien différentes. En revanche, ce type de mesure a clairement démontré son efficacité et c’est pourquoi il a été intégré au Plan d’action national pour la prévention du suicide, adopté en 2016 (https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/themen/mensch-gesundheit/psychische-gesundheit/politische-auftraege-im-bereich-psychische-gesundheit/aktionsplan-suizidpraevention.html). La réforme Armée XXI n’en est qu’un exemple.

  5. De 1995 à 2014, le nombre total de suicides (y compris les suicides assistés) a augmenté de 1419 à 1771, alors que dans le même temps le nombre de suicides par armes à feu baissait de 392 à 187, soit de 27 % à 10 % environ. Les moyens les plus utilisés en 2014 étaient l’empoisonnement (880 cas, soit 50 % des suicides), la pendaison (302 cas, 17%), les trains, les ponts et j’en passe….. et les armes à feu (187 cas, 10,6%). Près de 9 suicidés sur 10 utilisent d’autres moyens qu’une arme.

    En fait, comme la plupart des articles, vous surfez sur le scandale du moment et en s’attaquant au plus choquant pour le public. SEulement 10,6% des cas avec des armes (au fait pistolet ou couteau ?) par contre le business du suicide assisté ça ne vous dérange pas !

    Comme pour toutes ces marches blanches contre les armes…. laissez-moi rire, au pays du Coca-Cola et du Mc Do…. à 30 ans, un américain devient une personne à risque au niveau cardiaque. En Suisse le diabète sucré tue 27 fois plus que les armes.

    Mais bon, visiblement il y a une volonté de s’attaquer aux causes faciles et surtout à celles qui font vendre de beaux articles bien scandaleux ! Allez donc sauver vos 10% …. et me parlez pas de 1 vie c’est 1 vie. 1 vie c’est rien, c’est se donner bonne conscience, 1000 vies c’est mieux, c’est agir !

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