La crise financière éclatée en 2008 au plan global, après la mise en faillite aux États-Unis de la banque d’affaires Lehman Brothers, a eu malgré tout un effet bénéfique pour la Suisse: elle a mis au centre de la scène le fait que les banques, en Suisse comme ailleurs, n’ont pas besoin d’une épargne préalable afin d’octroyer des crédits à n’importe quels agents économiques. Comme l’avait déjà fait remarquer Joseph A. Schumpeter dans les années 1950, «les crédits bancaires forment les dépôts dans le système bancaire», de par la règle incontournable de la comptabilité à partie double.
De là, le débat s’est enchaîné en Suisse quant à savoir si, afin d’éviter de nouvelles crises financières «systémiques», il convient d’attribuer le privilège «monétatif» à la seule banque centrale – l’émission monétaire étant tributaire de l’octroi de crédit au bénéficiaire de la monnaie émise par l’institution bancaire concernée.
L’initiative populaire fédérale pour une «monnaie pleine» a le mérite de soulever cette question dans le débat public afin d’aboutir à un meilleur système économique. Si les partisans et les opposants à cette initiative savent mener des discussions fondées en termes scientifiques – plutôt que de s’affronter de manière émotionnelle et irrationnelle – ce débat a bien des chances d’être entendu par la classe politique et les autorités préposées à la stabilité monétaire et financière de l’économie suisse. Il est donc fondamental de commencer par s’entendre sur la nature de la monnaie bancaire, son pouvoir d’achat et son mécanisme d’émission.
C’est là, toutefois, où le bât blesse. Des deux côtés du débat, il y a des conceptions très différentes quant à savoir ce que la monnaie est, d’où tire-t-elle son pouvoir d’achat (étant donné qu’il s’agit simplement d’une écriture à partie double dans la comptabilité des banques) et comment se fait-il que les banques puissent prêter une somme qui n’existe pas a priori (ou ex-ante). Si l’initiative pour une «monnaie pleine» va récolter, jusqu’en décembre 2015, les 100 000 signatures nécessaires afin que le peuple suisse se prononce à ce sujet en votation populaire, elle aura déjà atteint un succès fort remarquable: amener l’ensemble des parties prenantes – pas uniquement les milieux financiers – à comprendre que l’émission monétaire à travers le crédit bancaire est une action capitale pour la stabilité et la soutenabilité de l’ensemble de l’économie. Pour la Suisse, cela signifie concrètement que la régulation bancaire doit avoir un volet structurel et pas simplement comportemental: cela ne sert pas à grand-chose d’introduire, voire de durcir, les ratios de fonds propres et les volants anticycliques dont les banques doivent se doter (pour faire face à une hypothétique crise immobilière), ni d’exiger des testaments pour, le cas échéant, démanteler une banque d’importance systémique qui se trouverait en situation d’insolvabilité. Il faut empêcher sur le plan structurel qu’une banque quelconque puisse octroyer des crédits sans avoir récolté l’épargne suffisante pour financer des opérations qui, au final, ne génèrent aucun nouveau revenu dans l’ensemble du système économique. Par contre, il faut (continuer à) permettre aux banques de financer par des crédits ex-nihilo des investissements (productifs) car il en va de la formation du revenu national sur le marché du travail. Seul un système bancaire dont la structure est ordonnée permet d’associer la liberté et la responsabilité des sujets économiques individuels pour contribuer de ce fait au bien commun.
Comprendre la monnaie est essentiel car cela va permettre d’éliminer l’asymétrie des connaissances dont profitent en l’état les banquiers et les institutions financières non-bancaires au détriment du bien commun (entendez la stabilité et le développement durable des activités d’ordre économique).