Le leurre des horaires d’ouverture des magasins

Les commerçants suisses sont parfois obsédés par le prolongement des horaires d’ouverture des magasins, imaginant que ce faisant ils pourront augmenter leur chiffre d’affaires et réaliser davantage de bénéfices. En fait, l’ouverture prolongée des magasins ne permet aucunement de relancer l’économie lorsque les salaires d’une partie importante des ménages ne sont pas suffisants pour arriver à la fin du mois sans devoir faire appel à l’aide sociale ou à des formes redoutables d’endettement.

Prolonger les horaires d’ouverture des magasins dans l’espoir de soutenir l’activité économique est une vue de l’esprit néo-libéral, qui ne considère que l’offre dans l’ensemble de l’économie – ignorant la demande sur le marché des produits. Il s’agit de la fameuse «loi de Say», du nom de l’économiste qui, au début du XIXème siècle, croyait que l’offre de biens et services induit une demande équivalente, permettant d’atteindre le niveau de plein-emploi par le «libre marché» au lieu de faire appel à l’intervention de l’État (que les économistes néo-libéraux considèrent comme dommageable pour l’activité économique).

Les politiques économiques qui agissent sur l’offre ne sont pas une spécificité française, même si Emmanuel Macron en a fait l’axe principal de son quinquennat. Désormais, toutes les économies occidentales sont imprégnées de ce type de politiques, qui néanmoins sont impuissantes à relancer le système économique qui se trouve en grave difficulté suite à la crise financière éclatée il y a dix ans sur le plan global.

Si les politiciens au gouvernement et les économistes qui les influencent avaient leurs deux yeux ouverts – l’un sur l’offre et l’autre sur la demande, comme Paul Samuelson exhortait à le faire –, ils verraient que les problèmes actuels de l’économie se trouvent surtout du côté de la demande sur le marché des produits. En effet, si le système économique est en grave difficulté, cela n’est pas parce que l’offre de biens et services est freinée par la bureaucratie de l’État ou par un nombre très élevé de lois qui engendrent des coûts insupportables pour bien des entreprises. Les problèmes économiques de l’époque contemporaine sont induits par l’insuffisance de la demande de biens et services, suite aux inégalités dans la répartition du revenu et de la richesse tant au sein des pays qu’au niveau international.

Il faut dès lors mettre en œuvre des politiques économiques qui agissent sur la demande sur le marché des produits, suite à une redistribution du revenu et de la richesse qui permette d’augmenter les dépenses de consommation des ménages en préservant l’environnement. L’augmentation de ces dépenses, en effet, induit les entreprises à investir pour augmenter la production de biens et services, engendrant ainsi de nouvelles places de travail et davantage de ressources fiscales. Ce cercle vertueux sera bénéfique aussi pour la cohésion sociale dont peut profiter l’ensemble de la collectivité. Il sera alors possible de prolonger les horaires d’ouverture des magasins, étant donné que l’ensemble des ménages disposera d’un pouvoir d’achat accru.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

11 réponses à “Le leurre des horaires d’ouverture des magasins

  1. La question de l’horaire d’ouverture des magasins est systématiquement présentée comme un conflit entre droits des travailleurs et profitabilité des entreprises, alors qu’il s’agit en réalité d’un arbitrage entre population et travailleurs. La fermeture des commerces à 19h fonctionnait à l’époque où madame restait à la maison pour s’occuper du foyer et où monsieur habitait à 10 minutes de son travail. La société a complètement changé et ce sont aujourd’hui des pans entiers de la population qui sont exclus des commerces et obligés de faire toutes leurs courses le samedi.
    Oui, certaines personnes devront travailler plus tard, mais c’est déjà le cas dans la restauration et personne ne s’en offusque. On pourrait par ailleurs internaliser ces externalités négatives à l’aide d’une taxe, plutôt que de recourir à une interdiction stérile.
    Nul besoin de pouvoir acheter un lave vaisselle à 9h du soir, mais interdire aux gens de s’acheter à manger à un prix raisonnable est disproportionné, ce d’autant plus que l’avènement des automate-caissiers permet de maintenir un supermarché ouvert avec peu de personnel.

    1. “…monsieur habitait à 10 minutes de son travail”. Depuis quand la distance entre le lieu d’habitation et le travail influe sur la capacité de faire des courses ? Le facteur déterminant est plutôt la distance entre le lieu de travail et le magasin ou alors celle entre le magasin et le lieu d’habitation. Pouvez-vous affirmer qu’il manque en Suisse des centres commerciaux au point que la distance lieu d’habitation-centre commercial dépasse celle entre celle lieu de travail/lieu d’habitation ?

  2. Ce débat récurrent me fatigue, autant qu’il m’interesse.

    Je comprends bien qu’il faut d’abord booster la demande avant de booster l’offre. Mais je vois une question de société avant de voir une question d’économie. Pourquoi interdire à des entreprises la possibilité d’élargir leurs heures d’ouverture si elles le souhaitent – elles et leurs employés devraient pouvoir choisir seuls sans que l’Etat ou des économistes leur disent ce qui est bien pour eux.

    Ensuite, et je me permets d’évoquer mon cas personnel de résident genevois, il m’est simplement impossible de faire mes courses ou mon shopping avec les heures d’ouverture si restreintes. Je suis obligé de faire mon shopping en ligne ou à l’étranger le soir ou le dimanche matin – à moins d’aller à Migros Cornavin. Et il suffit de s’y rendre un dimanche pour voir que je ne suis apparemment pas le seul à être dans cette situation. D’un côté, on nous demande de travailler dur pour l’économie de notre pays et de faire fructuer nos entreprises, d’un autre côté, on nous empêche de consommer dans ce même pays. Eternelle incompréhension… mais je suis peut-être un néo-libéral obsédé…

    1. Un magasin ouvre de 8h à 19h non-stop, 5 jours par semaine, plus le samedi de 8h à 17h (ordre de grandeur). Cela représente 64h d’ouverture par semaine. Pouvez-vous franchement prétendre que vous travaillez 64h par semaine au point de n’avoir que le dimanche pour aller faire vos courses ?

      Je vous propose de mettre sur votre agenda surchargé la ligne “courses” et de gérer cette activité comme toutes les autres.

  3. Votre raisonnement est correct mais occulte un élément, il faut tenir compte des personnes travaillant de 8h à 18h tous les jours de la semaine et ne souhaitant pas participer à la grande course commerciale du samedi de 9h à 17h.

    Souvent ces personnes se tournent vers internet ou l’étranger pour réaliser leurs achats menant à des pertes directes pour l’économie suisse. Et de manière générale ces personnes bénéficient d’un pouvoir d’achat conséquent.

  4. Le problème majeur de l’ouverture à rallonge des magasins est qu’il est un facteur très destructurant de la société et qu’à la fin, le perdant est le consommateur car il casse la mécanique sociale du temps libre partagé par tous. Il exclu partiellement les personnes concernées des activités familiales et sociales. Cela induit une perte très forte de natalité à long terme (difficulté d’organisation et de garde des enfants, coûts supérieurs), donc affaiblit la demande… De plus, cela augmente les coûts de distribution (salaires, coûts énergétiques, vieillissement des locaux, etc…) et donc une élévation des prix de vente. Face aux autres canaux de distribution, il perd de sa compétitivité.
    Le meilleur remède est d’assouplir l’amplitude horaire des travailleurs journaliers afin qu’ils aient du temps libre dans les horaires d’ouverture classiques des magasins et de travailler moins.

  5. Avant de songer à étendre les horaires d’ouverture des magasins, il faudrait peut-être songer à exploiter les créneaux déjà disponibles. Par exemple, le jeudi soir à Genève… Ouverture hebdomadaire nocturne jusqu’à 21h00. Eh bien, dans les rues basses, il n’y a pas foule, ni dans les magasins, ni dans les rues…
    Pour autant que je m’en souvienne, la modification d’horaire qui a vraiment été un succès a été la prolongation le samedi de 17h00 à 18h00.

    Pour ceux qui ne peuvent vraiment pas faire leurs courses pendant les horaires d’ouverture, on peut commander sur Internet chez C*** et M*****, entre autres. Les livraisons sont impeccables et les frais inférieurs au coût du parking et du déplacement de l’indispensable véhicule. Une fois la liste de base établie, faire ses courses en ligne est très rapide. Chez nous, tout ce qui est lourd et/ou encombrant est livré.

    On peut bien étendre les horaires d’ouverture des magasins, mais la plus grande partie des clients ont un budget limité. Bon exemple, les centres commerciaux tels que La Praille ou Balexert: beaucoup de gens un peu partout, mais qui achètent moins qu’on pourrait le croire. Ce sont aussi des lieux de rencontre pour boire un café, se distraire, etc….

    Internet a changé nos manières d’achat (qui va encore acheter un billet d’avion dans une agence de voyages?).

    Je vends des logiciels: il y a 20 ans, j’envoyais un CD emballé dans une jolie boîte à mes clients à l’autre bout du monde. Maintenant, le client règle son achat par carte de crédit sur un site sécurisé et reçoit en échange une clef qui débloque sa version démo. Et je reçois un courriel d’avis du site sécurisé qui a encaissé le paiement (et pris une bonne commission).

    Belle journée

  6. Peut-être qu’il faudrait simplement adapter les heures d’ouverture des magasins aux besoins / disponibilité de la clientèle, comme le font les restaurants, cinémas, discothèques, etc…
    …et comme ne le font pas les administrations qui ajustent leurs horaires en fonction du confort de leurs fonctionnaires…
    Peut-être qu’il faudrait aussi commencer à consommer raisonnablement, même si on est “riche”. Autrement dit, juste acheter ce dont on a besoin, réparer ce qu’on a quand nécessaire, et réfréner ses “petites envies compulsives” d’achats de choses inutiles…
    Il est idiot de chercher à augmenter les dépenses de consommation des ménages – mieux vaut se battre sans relâche pour permettre à tous les ménages de pouvoir satisfaire leurs besoins réels.
    OK ça ne sera pas “bon” pour le commerce, mais bon pour soi et pour la planète en général.

  7. Monsieur le Professeur,
    Si vous en avez le temps, je vous invite à quitter Fribourg pendant quelques heures et à vous rendre dans la région frontalière genevoise où vous pourrez constater de visu combien votre vision de ce phénomène est erronée ou plus probablement anachronique.
    Avec mes meilleurs messages.

  8. Comme en France Macron, il y a surtout un problème de demande insuffisante, du, pour l’essentiel à l’exploitation des pays pauvres, la demande étant confiquée par une minorité d’ intermédiaires ici et là-bas gourmands et repus : voir les riches chinois à Paris et la demande de produits de luxe, alors que la demande de centaines de millions d’exploités ne peut s’exprimer faute de pouvoir d’achat insuffisant. C’est cela qui est nouveau.
    La politique de l’offre ne peut aboutir qu’au développement du chômage et favoriser l’équipement en robots et la numérisation. Remplacer les cotisations par la TVA freinerait cette évolution et permettrait de s’adapter à l’ubérisation de l’ économie, chacun contribuant selon son pouvoir d’achat réel, donc selon ses dépenses.
    Allonger les horaires d’ouverture n’augmenterait pas la demande globale et serait un frein à une multiplication des emplois, car c’est le non-emploi qu’il faut pénaliser: pour cela il faut indexer la masse salariale sur la valeur ajoutée à hauteur de 50 % et faire payer au consommateur les cotisations pour qu’il n’ait plus le choix du beurre – des emplois sûrs et bien apayés- et de l’argent du beurre, des prix bas.

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