Grexit entre la morale et la raison d’État

La dureté des discussions entre la Grèce, représentée par son ministre des Finances (Yanis Varoufakis), et ses principaux créanciers au sein du Groupe de Bruxelles semble être le reflet de l’irréconciliabilité des positions sur les deux fronts de ce bras de fer exténuant. D’une part, les représentants grecs font appel à la raison d’État pour induire leurs créanciers à édulcorer leurs propres prétentions financières à l’égard de la population grecque, épuisée par la crise humanitaire provoquée par les mesures d’austérité draconiennes. D’autre part, les membres de l’ancienne Troïka insistent mordicus sur le principe éthique que les dettes doivent être honorées et dès lors remboursées complètement.

En fait, le combat acharné entre ces deux positions irréconciliables en cache un autre, beaucoup plus sournois, visant à éviter, d’un côté, que les créanciers privés (entendez les banques allemandes et françaises) à l’origine du surendettement de l’économie grecque soient appelés à assumer financièrement leur part de responsabilité dans cette crise de la dette et de l’autre côté que les politiciens et les fonctionnaires grecs ayant contribué à ce surendettement durant les trois décennies qui ont précédé le gouvernement d’Alexis Tsipras soient aussi appelés à faire en sorte que les finances publiques grecques puissent être assainies de manière durable.

Quoi qu’il en soit, le bras de fer farouche entre la Grèce et ses propres créanciers ressemble de plus en plus au jeu de la poule mouillée (que Yanis Varoufakis, un spécialiste en théorie des jeux, connaît très bien): lorsque deux voitures se lancent l’une contre l’autre à grande vitesse, le pilote qui dévie le premier de la ligne de collision sort perdant car il révèle sa peur d’être victime d’un accident mortel. Mutatis mutandis, il est facile de comprendre que l’enjeu essentiel dans la confrontation de la Grèce à ses créanciers porte sur l’ampleur des risques systémiques (qu’il est impossible d’évaluer ex-ante) d’un défaut de paiement (voire d’une sortie de la zone euro) de la Grèce, qui pourrait également être suivi par d’autres pays – notamment l’Espagne – dont l’économie est aussi dans un état gravement problématique malgré l’embellie au plan statistique.

Pour éviter la catastrophe, il est impératif de rappeler aux autorités et à la population de l’Allemagne que le «miracle économique» qu’ils ont pu observer dans les années 50 et 60 du siècle passé a été possible suite à l’Accord sur les dettes extérieures allemandes conclu à Londres le 27 février 1953. Comme l’affirme aussi une étude de McKinsey publiée en février 2015, il faut considérer la nécessité d’un effacement partiel des dettes (de la Grèce) afin d’éviter le pire (au Vieux Continent). La fierté des joueurs à la poule mouillée doit venir après le bien commun. Dans le cas contraire, ils seront eux aussi emportés par les vagues du tsunami socio-économique qui provoquera la désertisation de l’Europe.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.