La zone euro n’est pas viable

Lors d’un discours prononcé à l’Université de Helsinki, Mario Draghi a expliqué que toute union monétaire, pour être viable, nécessite de flux financiers péréquatifs entre les régions riches et celles moins riches de son territoire: «dans toutes les économies nationales, des transferts permanents ont lieu des régions plus riches aux régions plus pauvres; de celles plus densément peuplées vers les zones moins densément peuplées; et de celles qui sont mieux dotées en ressources naturelles vers celles qui en sont moins dotées. C’est vrai aux États-Unis, où ces transferts se produisent par le budget fédéral. C’est vrai en Allemagne, en Italie et en Finlande. Les transferts fiscaux, tant qu’ils demeurent justes, aident souvent à cimenter la cohésion sociale et à éviter la tentation de sécession». Cela, toutefois, implique une union politique, avec un niveau de gouvernement central qui prélève des impôts dont une partie des recettes est redistribuée à des fins de péréquation entre les différentes collectivités territoriales.

En l’absence d’un tel mécanisme péréquatif, la zone euro a traversé la première décennie de son existence (avant l’éclatement de la crise à la fin de l’année 2009) avec une forte croissance tendancielle des flux de crédit des banques situées en Europe du Nord vers les ménages et les entreprises de l’Europe méditerranéenne. Il existe, néanmoins, une différence de taille entre les flux de crédit et les flux péréquatifs, étant donné que les premiers impliquent leur remboursement et le paiement d’un intérêt aux créanciers, alors que les seconds sont unilatéraux et à titre gratuit. L’éclatement de la crise de l’Euroland a asséché les crédits bancaires à travers la zone euro dont le caractère non-viable a dès lors été mis en lumière pour l’ensemble de ses parties prenantes.

Draghi a implicitement montré le chemin que la zone euro doit prendre, si elle veut être viable et résiliente aux prochaines turbulences – qui ne manqueront pas de se manifester, à commencer par les répercussions de la dégradation du mérite de crédit de l’État italien par les agences de notation.

Il appartient aux autorités européennes, aux gouvernements nationaux et à la classe politique de l’Euroland de comprendre cette nécessité et de transformer la zone euro en une union monétaire viable. Dans l’attente, la «pompe à liquidité» de la BCE ne devrait pas continuer à profiter de manière exclusive au secteur bancaire européen, mais doit induire celui-ci à octroyer des crédits aux entreprises dont les projets d’investissement ne bénéficieront aucunement du «plan Juncker» à 315 milliards d’euros – qui va vraisemblablement rester un vœu pieux dont l’effet d’annonce sera très limité dans l’ensemble de la zone euro.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.