Un «investment easing» en 2015?

L’année 2014 est terminée avec une lueur d’espoir pour l’économie de la zone euro, qui continue de souffrir suite à sa propre crise éclatée il y a déjà cinq ans: le 26 novembre, lors du discours devant le Parlement européen réuni en séance plénière, Jean-Claude Juncker a dévoilé le plan de 315 milliards d’euros que la Commission européenne va commencer à mettre en œuvre en 2015 et qui vise à relancer l’activité économique à travers l’Euroland par une série d’investissements publics censés avoir un fort effet multiplicateur (estimé égal à 15 fois la dépense initiale), en induisant une panoplie d’investissements privés créateurs d’emplois et de recettes fiscales dont les États membres ont cruellement besoin.

Ce plan d’investissement semble s’inspirer de l’œuvre de Keynes mais, à bien y regarder, est illusoire et n’a rien de véritablement «Keynésien».

La garantie de 21 milliards d’euros que le «plan Juncker» apporte au nouveau-né Fonds européen pour les investissements stratégiques – permettant à la Banque européenne d’investissement d’octroyer des prêts jusqu’à hauteur de 63 milliards d’euros – est fort insuffisante pour stimuler les entreprises du secteur privé à augmenter leurs propres dépenses d’investissement à une période où les taux de chômage involontaire sont dramatiquement élevés à travers l’Euroland.

Si l’on se réfère à l’œuvre de Keynes (plutôt qu’aux travaux des soi-disant économistes «Keynésiens» de matrice néoclassique), on peut facilement comprendre que les entreprises ne vont pas se lancer dans des dépenses d’investissement lorsque les perspectives sont sombres, même si le secteur public fait un geste (à l’image des gesticulations de Juncker) pour faire semblant de s’engager dans une vraie politique de relance économique (dont l’urgence et la nécessité ont été rappelées le 23 novembre 2014 par Wolfgang Münchau dans le Financial Times).

La même conclusion s’impose de toute évidence en ce qui concerne la politique monétaire accommodante annoncée et en partie déjà mise en œuvre par la Banque centrale européenne (BCE): il ne suffit certes pas de réduire à zéro les taux d’intérêt pour induire les entreprises à lancer des projets d’investissement financés par le crédit bancaire, a fortiori si bien des banques dans la zone euro ont encore des bilans fragiles.

Ce n’est peut-être pas un hasard si Vítor Constâncio, vice-président de la BCE, lors d’un discours du 26 novembre (le jour même où Juncker a présenté son plan) a dit que la BCE pourrait commencer à acheter des obligations publiques sur le marché secondaire au début 2015. Or, tant que la BCE ne pourra pas acheter ces obligations lors de leur émission (sur le marché primaire de la dette publique), son «quantitative easing» (assouplissement monétaire, en français) n’induira aucun «investment easing» dans la zone euro. L’effet d’annonce du «plan Juncker» aura duré l’espace des fêtes de fin d’année pour les acteurs de l’économie réelle. Les banques, par contre, vont continuer à se servir au guichet de la BCE pour prolonger leur propre fête sur les marchés financiers.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.