L’or est une relique barbare

L’initiative populaire fédérale «Sauvez l’or de la Suisse (Initiative sur l’or)», soumise au vote du peuple suisse le 30 novembre 2014, touche un sujet simple mais erronément compris par la plupart des personnes.

Il est dès lors utile d’éclairer les choses avant que ce soit trop tard pour éviter les problèmes que l’adoption de cette initiative comporterait pour la société et l’économie suisses.

L’initiative sur l’or veut introduire un nouvel article dans la Constitution fédérale suisse, par lequel la Banque nationale suisse (BNS):

1.   n’aura plus le droit de vendre de l’or dès le jour suivant l’adoption de cette initiative;

2.   devra rapatrier le 30 pour cent de son or, qui est stocké à l’étranger (20 pour cent à la Banque d’Angleterre et 10 pour cent à la Banque du Canada), dans un délai de deux ans à compter de l’adoption de cette initiative;

3.   devra détenir toujours au moins 20 pour cent de la valeur de ses actifs en or, dans un délai de cinq ans à compter de l’adoption de cette initiative.

Le deuxième point fait sens pour des raisons de sécurité, étant donné que les pays n’ont pas d’amis mais seulement des intérêts à défendre, comme l’avait fait remarquer Charles De Gaulle dans une expression devenue fameuse.

Les deux autres points sont par contre fort problématiques.

Si les réserves d’or de la BNS sont inaliénables dès le 1er décembre 2014, cela signifie que la BNS doit vendre des titres lorsqu’elle veut réduire la masse monétaire en Suisse afin de juguler des pressions inflationnistes (par exemple sur le marché immobilier). Cette vente importante et renouvelée de titres aura des conséquences négatives:

–      si le prix de vente de ces titres est plus bas que leur prix d’achat, la BNS enregistrera des pertes, que les cantons et la Confédération devront supporter dans la mesure où leur part au bénéfice net de la BNS sera moindre, avec comme corollaire une baisse de la qualité et/ou de la quantité des services publics et/ou une augmentation de la charge fiscale des contribuables;

–      si la vente massive de titres par la BNS provoque une diminution de leurs prix sur les marchés financiers, d’autres investisseurs peuvent en être lésés dans la mesure où leurs portefeuilles de titres doivent enregistrer des moins-values. Cet «effet de richesse» négatif peut induire une diminution des dépenses de consommation des agents touchés par celui-ci, suite aussi à la diminution des rentes que les caisses de pension (également touchées par les moins-values sur les titres dans leurs portefeuilles) versent à leurs assurés retraités.

Il est vrai que l’augmentation du prix de l’or peut contrecarrer la baisse des cours boursiers pesant sur les avoirs de la BNS et, de là, affectant les bénéfices nets que celle-ci verse aux cantons et à la Confédération selon la convention du 21 novembre 2011 entre le DFF et la BNS. Or, il convient de remarquer que le prix de l’or a une volatilité très élevée, qui peut dès lors induire des pertes comptables lorsque la BNS évalue à la fin de l’année le stock d’or dans son bilan et compare cela avec le prix de l’or le 31 décembre de l’année précédente.

Qui plus est, l’obligation pour la BNS de détenir au moins 20 pour cent de la valeur de ses actifs sous forme d’or, si l’initiative sur l’or passe la rampe du vote populaire, aura des répercussions négatives en ce qui concerne la mise en œuvre de la politique monétaire suisse. Si la BNS doit respecter cette contrainte dans un délai transitoire de 5 ans, elle va probablement réduire drastiquement la taille de son bilan à travers la vente de titres (la vente d’or étant interdite en cas d’acceptation de l’initiative): la diminution de la masse monétaire qui en découlerait se répercuterait sur les taux d’intérêt en Suisse dont l’augmentation poserait problème pour assurer la stabilité financière de l’ensemble du système économique national (pensons aux débiteurs hypothécaires qui devraient faire face, tôt ou tard, à des relèvements des taux qu’ils doivent payer pour refinancer leurs dettes).

En revanche, si la BNS achetait un certain nombre de tonnes d’or afin de respecter la contrainte d’avoir au moins 20 pour cent de ses actifs sous cette forme, le prix de l’or pourrait prendre l’ascenseur et amener d’autres acteurs à spéculer sur la hausse tendancielle du prix de l’or. Il en découlerait des conséquences négatives, aussi bien économiques qu’éthiques. Sur le plan économique, la ruée sur l’or détournerait bien des fonds qui, autrement, seraient investis de manière productive pour le bien commun (à savoir, afin de produire des biens et services utiles à la population mondiale). Il s’ensuivrait alors un ralentissement de la croissance économique, une aggravation du chômage et une série de déséquilibres touchant les finances publiques de beaucoup de pays. Au plan éthique, l’augmentation tendancielle du prix de l’or pousserait les pays où se trouvent des gisements d’or à exploiter davantage ceux-ci ainsi que le travail des mineurs, avec des conséquences négatives tant pour la santé que pour l’environnement.

Si les votants suisses comprennent que «l’or est une relique barbare» (J.M. Keynes), en ce sens qu’il ne joue plus aucun rôle dans le cadre de la politique monétaire, l’ensemble des conséquences négatives de l’initiative sur l’or pourra être évité. Dans le cas contraire, l’adoption de l’initiative sur l’or ramènera la Suisse au dix-neuvième siècle, alors que le reste du monde continuera de progresser.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.