Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP, en anglais) entre les États-Unis et l’Union européenne, qui négocient à présent ses contenus (couverts par le secret imposé aux négociateurs) afin d’aboutir à la création d’une zone de libre-échange transatlantique en 2015, interpelle les autorités et les milieux d’affaires helvétiques. La mise en œuvre de ce grand marché transatlantique, qui coiffe presque la moitié du produit mondial brut, inquiète bien des entreprises suisses par peur de voir diminuer leurs bénéfices suite à la perte de parts de marché au sein de l’économie globalisée.
La Confédération déploie dès lors des efforts à plusieurs niveaux, afin de limiter l’impact négatif du TTIP sur l’économie nationale, à défaut de pouvoir associer la Suisse d’une manière ou d’une autre, indirectement et au moins partiellement, au TTIP avant qu’il ne soit trop tard pour ce faire.
Or, il convient de considérer le TTIP d’un point de vue systémique, afin d’identifier correctement ses coûts et bénéfices potentiels – notamment pour l’ensemble de la population concernée au plan global.
Selon la plupart des études, le TTIP aura des effets positifs fort limités en ce qui concerne le commerce international et le taux de croissance économique induit par ce grand marché transatlantique. De ce fait, le PIB pourrait enregistrer une croissance annuelle comprise entre 0,03 et 0,13 pour cent, avec par conséquent un effet très faible sur le taux d’emploi (impliquant une diminution annuelle du nombre de chômeurs entre 65 000 et 130 000 personnes) sur une période de 10 à 20 ans.
Une étude récente, par contre, indique une série de coûts associés au TTIP, sur lesquels il convient de réfléchir de manière transparente (ce qui n’est pas l’attitude de ses négociateurs malheureusement).
1. La réduction des barrières tarifaires au commerce international va comporter une diminution des recettes fiscales pour les États touchés par le TTIP, qui devront alors réduire la dépense publique à défaut de pouvoir augmenter la charge fiscale des contribuables. Pour les pays membres de l’Union européenne, déjà en énorme difficulté suite à la crise, cela pourrait être un facteur d’aggravation de leur situation sur une longue période (10 à 20 ans).
2. La réduction des barrières non-tarifaires (comme les standards de sécurité pour les médicaments et les produits alimentaires, ou encore les mesures de protection de l’environnement) pourrait entraîner une diminution remarquable (jusqu’à 30 pour cent) du commerce entre les pays membres de l’Union européenne, remplacé par des importations de produits états-uniens. Ce déplacement du commerce international, à long terme, se ferait également au détriment des pays africains et de ceux de l’Amérique latine.
3. Selon une étude du Centre for Economic Policy Research (2013), le TTIP comporterait le déplacement d’un nombre élevé de travailleurs (à supposer que tous puissent retrouver un emploi par ailleurs) durant les 10 ans suivant l’entrée en vigueur du TTIP. Cela pourrait toucher entre 430 000 et 1 300 000 personnes, censées chercher un emploi ailleurs que dans leur propre domaine professionnel et espace de vie familiale. Compte tenu du fait qu’une partie de ces travailleurs vont recevoir des salaires plus faibles dans leur nouvelle occupation, vont devoir passer par des formations complémentaires (financées par le secteur public), ou vont rester longtemps au chômage (notamment les personnes les plus âgées et moins bien formées), cela pourrait coûter entre 10 et 25 milliards d’euros à l’Union européenne pour les allocations chômage, la perte de cotisations pour la sécurité sociale ainsi que la diminution des recettes fiscales durant les 10 années suivant l’adoption du TTIP.
Qui plus est, le TTIP représente une menace pour la démocratie: il est prévu, en effet, que si une entreprise s’estime lésée par une législation nationale (en ce qui concerne la protection de l’environnement ou des consommateurs, par exemple), cette entreprise puisse faire appel à un tribunal arbitral supranational afin de protéger ses propres bénéfices. Il en découlerait, à n’en pas douter, une limitation (psychologique avant d’être factuelle) à l’émanation de lois protégeant l’intérêt collectif (ou le bien commun), par peur d’être attaqués par de grandes entreprises au niveau transnational.
Que la Suisse participe ou reste à l’écart du TTIP, ses conséquences vont se manifester aussi dans ce pays. Elles ne seront pas toutes à la hauteur des promesses de ses partisans.