La BCE toute-(im)puissante

La possibilité que la Banque centrale européenne (BCE) intervienne à l’aide d’instruments «non-conventionnels» – comme l’assouplissement quantitatif («quantitative easing») de sa propre politique monétaire – a nourri récemment beaucoup de (faux) espoirs au sein de la zone euro.

Le catalogue de ces instruments n’est pas très nourri. À côté des taux d’intérêt négatifs sur les dépôts que les banques ont auprès de la BCE (censés induire les banques à se prévaloir de ces dépôts pour octroyer des crédits aux ménages et aux entreprises dans l’économie «réelle»), la mise en œuvre d’un programme d’assouplissement quantitatif risque d’être une grosse déception pour les acteurs non-financiers dans cette économie.

D’abord, l’article 21.1 des statuts de la BCE lui interdit d’acheter toute obligation émise par les États membres de l’Union européenne sur le marché primaire de la dette publique. En l’état, un «assouplissement quantitatif» n’aurait donc aucun impact sur le financement des déficits publics dans la zone euro.

Ensuite, si la BCE achetait des obligations émises par des entreprises privées, elle serait orientée vers l’achat des titres financiers comportant le moins de risque possible, c’est-à-dire qu’elle octroierait des crédits à des entreprises solides, qui n’ont aucune difficulté à emprunter auprès des banques (ou des marchés financiers) les sommes qu’elles désirent investir dans leurs activités économiques.

De surcroît, pour éviter d’être attaquée politiquement, la BCE pourrait être amenée à répartir ses financements aux entreprises privées selon le pourcentage que chaque pays membre possède du capital libéré de la BCE. Or, la clé de répartition de ce capital est telle que l’économie allemande serait la principale bénéficiaire d’un tel «assouplissement quantitatif», étant donné que la Bundesbank possède environ 18 pour cent du capital de la BCE. Pour leur part, les entreprises en Grèce (2 pour cent) ainsi qu’en Espagne (8,8 pour cent) recevraient un volume de crédit bien plus faible, au demeurant avec vraisemblablement des taux d’intérêt plus élevés que ceux demandés aux firmes allemandes.

Quoi qu’il en soit, il reste un problème majeur pour l’«assouplissement quantitatif» de la BCE: sa réalisation dépend aussi essentiellement des demandes de crédit exprimées par les firmes et les ménages à travers la zone euro. À cet égard, il est fort probable que ces demandes seront très faibles, étant donné que tant les familles que bien des entreprises sont encore surendettées, notamment dans les pays «périphériques» de l’Euroland. Les perspectives pour l’emploi et, par conséquent, pour les dépenses de consommation et d’investissement dans ces derniers pays restant très sombres à moyen terme, la très grande majorité des potentiels destinataires de l’«assouplissement quantitatif» de la BCE a donc bien des raisons de ne pas participer à un programme de relance qui, finalement, ne profiterait qu’aux banques cherchant à échanger un portefeuille de créances douteuses avec des «liquidités» injectées par la BCE à travers un exercice servant d’alibi pour éviter des mauvaises surprises lors de l’évaluation de la qualité des bilans bancaires au sein de la zone euro.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.