Monnaie vide et monnaie pleine

La crise financière systémique éclatée en 2008 au plan global a révélé que les banques sont essentielles pour le fonctionnement (dans l’ordre comme dans le désordre) du système économique contemporain. Elles émettent en effet les unités de monnaie nécessaires pour le règlement des transactions économiques à travers l’ensemble des marchés. Elles sont de ce fait instrumentales pour toute sorte d’activités économiques.

L’émission monétaire n’est toutefois pas suffisante pour assurer que le système économique fonctionne de manière ordonnée. Il est impératif, pour ce faire, que toutes les unités de monnaie émises par le système bancaire (formé par la banque centrale et les banques secondaires du même espace monétaire) soient associées à la production d’un revenu afin d’éviter la formation d’un écart inflationniste – entendez l’émission de «monnaie vide» (B. Schmitt, Inflation, chômage et malformations du capital, 1984, p. 223).

L’objectif de l’initiative pour une «monnaie pleine» (Vollgeld) qui devrait être lancée en Suisse prochainement consiste, justement, à empêcher que les banques puissent abuser de leur pouvoir «monétatif», à travers l’octroi de crédits qui font augmenter la masse monétaire (entendez les dépôts bancaires) sans une augmentation équivalente du produit et du revenu national.

La solution proposée par les initiants est, toutefois, trop contraignante car elle revient à attribuer uniquement à la banque centrale la capacité d’émettre des unités de monnaie, qui seraient dès lors distribuées aux agents économiques en fonction de leurs besoins (de production et de consommation). De là, les banques ne seraient que des intermédiaires financiers (à l’instar des sociétés financières non-bancaires existant de nos jours), c’est-à-dire qu’elles ne pourraient prêter (entre elles ou aux autres agents) que les sommes reçues en dépôt par leur clientèle plus ou moins fortunée.

Une réforme monétaire moins radicale consisterait à rendre explicite le véritable objet du crédit bancaire, distinguant les crédits qui produisent un revenu nouveau dans l’ensemble du système économique de ceux qui ne font que transmettre un pouvoir d’achat préexistant. Les crédits du premier type (pour le financement des activités de production) sont à inscrire séparément dans la comptabilité bancaire des crédits qui ne permettent pas d’augmenter le revenu national et qui, de ce fait, n’ont aucune légitimité d’être octroyés ex-nihilo par le secteur bancaire car il en va de la stabilité financière de l’ensemble de l’économie nationale.

Quoi qu’il en soit, l’initiative pour une «monnaie pleine» lance un débat fondamental pour la compréhension de la cause essentielle de la crise financière systémique dont les effets négatifs continuent de sévir dans bien des pays. Elle mérite de ce fait l’attention des décideurs politiques et de l’ensemble des parties prenantes, y compris les banques, qui ont un intérêt certain à la stabilité financière du système économique dont elles tirent leurs profits ainsi que les rémunérations de leurs dirigeants.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.