La Banque d’Angleterre entame le virage

Le 14 mars 2014 a marqué un virage en U pour la doctrine monétaire des banques centrales. Ce jour-là, la Banque d’Angleterre a publié son Quarterly Bulletin 2014 Q1, où trois chercheurs dans sa Direction pour l’analyse monétaire dénoncent quelques fausses vérités concernant la création monétaire.

Première fausse vérité: «les dépôts bancaires financent les crédits que les banques octroient à toute sorte d’agents économiques». Cela n’est pas vrai car, en fait, le sens de la causalité va des prêts aux dépôts (et non pas le contraire). Les banques peuvent octroyer des crédits même si elles ne disposent pas de (suffisamment de) fonds prêtables. C’est à cet égard que les banques ont une spécificité qui leur est propre et, dès lors, doivent être régulées davantage et beaucoup mieux que tout autre acteur de l’industrie financière.

Seconde fausse vérité: «la banque centrale peut contrôler l’encours de la masse monétaire en agissant sur les réserves bancaires, par le biais du multiplicateur de la monnaie centrale». Cela est faux car, en réalité, l’émission de monnaie centrale (comme pour toute unité de monnaie) à bien regarder ne fait que répondre à la demande de ses utilisateurs. La monnaie ne tombe pas du ciel (ou de l’hélicoptère de Milton Friedman), mais est émise à chaque fois qu’un paiement final doit être assuré afin de régler les comptes entre l’acheteur et le vendeur d’un bien, service, ou actif (réel ou financier) quelconque.

Troisième fausse vérité: «l’assouplissement quantitatif permet de sortir de la crise, amenant les banques à octroyer davantage de crédits pour financer les activités de production et induisant ainsi une augmentation du niveau d’emploi». Cela est erroné car, en fait, le crédit bancaire est tributaire des perspectives des banquiers à l’égard de la profitabilité du projet financé par l’emprunt. D’ailleurs, bien des entreprises ne vont pas s’endetter auprès des banques, si elles ne s’attendent pas de réussir à rembourser le principal et à payer les intérêts par les recettes obtenues avec la vente des biens ou services produits grâce au crédit bancaire.

Il est vrai, par contre, que ces trois fausses vérités (ainsi que beaucoup d’autres axiomes de la pensée dominante, en passe de devenir unique malgré la crise qu’elle a provoquée) ont été dénoncées depuis moultes années par les économistes qui refusent de s’aligner sur les intérêts de la «finance de marché». Les efforts de ces économistes sont relayés à présent par la deuxième plus ancienne banque centrale au monde et il est probable que d’autres autorités monétaires suivent ce virage en U de la doctrine économique. Le cas échéant, la crise financière n’aura pas été complètement inutile pour redresser la société contemporaine.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.