Un mensonge répété sans cesse reste un mensonge essentiellement. Toutefois, repetita iuvant («les choses répétées aident»), en particulier lorsqu’il s’agit d’inculquer une idée, voire une idéologie, à un ensemble d’individus afin d’en tirer principalement des bénéfices personnels.
L’explication de la crise économique et financière par la doxa courante impute la cause essentielle de cette crise à l’«État», qui aurait dépensé l’argent de ses contribuables pour satisfaire des intérêts particuliers, au lieu de l’utiliser avec retenue pour le bien commun. La crise serait ainsi attribuée à une mauvaise gestion des finances publiques, appelant dès lors à «moins d’État et plus de marché» dans toute circonstance. Cette vision idéologique, selon laquelle «l’État est toujours le problème et ne représente jamais la solution» (Ronald Reagan), a été popularisée par Margaret Thatcher avec le slogan qu’il n’y a pas d’autre choix («There Is No Alternative», TINA) que le néolibéralisme.
Or, cette vision des choses revient à regarder le doigt du sage quand celui-ci montre la Lune (selon un vieil adage chinois). La théorie des choix publics part, justement, des intérêts privés des politiciens au pouvoir, pour conclure, de manière hâtée, voire simpliste, qu’il faille davantage de marché et moins d’État afin de limiter la «mainmise» des politiciens.
Le hiatus est cependant évident à cet égard et revient à s’en prendre à une institution (l’État) et à la démanteler, parce que (une partie de) ses dirigeants ont un comportement malhonnête ou problématique. Mutatis mutandis, cela reviendrait par exemple à rayer le secteur bancaire d’un système économique, sous prétexte que (une partie de) ses dirigeants se comportent de manière malhonnête ou problématique, ou à éliminer une quelconque faculté universitaire du monde académique, parce que (une partie de) ses enseignants–chercheurs s’intéressent à leur propre carrière au lieu de songer à la compréhension (et donc à la solution) des problèmes du monde contemporain.
La vulgate néolibérale de la crise culpabilise également l’État pour les comportements malhonnêtes ou problématiques (d’une partie) des acteurs de la «haute finance» (Karl Polanyi, The Great Transformation, 1944, pp. 9–10): les réglementations financières seraient dès lors l’un des facteurs majeurs de la crise, parce qu’elles induisent ces acteurs à déstabiliser le système économique par leurs comportements. Dans le sillage de cette idéologie, la crise financière serait également induite par les autorités monétaires qui ont inondé le système économique de «liquidités» surabondantes, amenant les acteurs financiers à octroyer un volume problématique de crédits douteux (pensons, par exemple, aux crédits «subprime»).
Néanmoins, dans un système véritablement libéral, le principe de la responsabilité individuelle demeure essentiel. En clair, si les prix des boissons alcoolisées sont réduits durant les «happy hours» d’un bistrot quelconque, cela n’est pas suffisant pour imputer au propriétaire de ce bistrot la cause des accidents provoqués par des personnes ivres qu’il a servies au sein de son établissement. Plaider le contraire reviendrait à attribuer au système libéral les caractères d’un système dirigiste, que les tenants du néolibéralisme refusent de manière farouche, ignorant la contradiction (désormais évidente) entre les principes du libéralisme et leur application à la société contemporaine, dont les traits ressemblent de plus en plus à ceux d’une société féodale.