On le sait, l’Italie compte quelque 60 millions d’entraîneurs de l’équipe nationale de football: après n’importe quel match de l’équipe d’Italie, il y a un foisonnement de discussions, car chaque Italien prétend savoir ce qu’il aurait fallu faire à la place de l’entraîneur officiel de l’équipe de football et critique donc celui-ci pour ses propres choix, peu importe le résultat du match.
Quelque chose d’analogue existe en Suisse, suite à l’éclatement de la première crise systémique du régime de la financiarisation économique (éclatée après la mise en faillite aux États-Unis, le 15 septembre 2008, de la banque d’affaires Lehman Brothers). Il y a, désormais, quelque 8 millions d’économistes en Suisse, étant donné que chaque résident se sent légitimé à s’exprimer sur les causes et les conséquences de cette crise, donc sur les recettes de politique économique à mettre en œuvre pour s’en sortir, comme s’il en avait la capacité certifiée par des études achevées au niveau académique.
Cet état de fait appelle deux commentaires. D’une part, les «sciences économiques» ne jouissent visiblement pas d’un statut scientifique au sein de la population, contrairement à des disciplines d’études comme la chimie, la physique, la biologie, l’ingénierie, voire la médecine. Cela devrait alarmer et interpeler les enseignants–chercheurs en «sciences économiques», tout en les amenant à revoir profondément leurs objets d’études ainsi que la méthodologie de leurs analyses. D’autre part, nul besoin de faire des études complètes en «sciences économiques» afin d’occuper des postes d’économistes, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. Cela devrait interroger l’ensemble des parties prenantes, notamment par égard au risque d’avoir une vision erronée – ou du moins partielle – de la réalité des faits qui induirait probablement aussi des choix problématiques à bien des égards.
En l’état, une conclusion s’impose par elle-même. L’économie est trop importante pour être laissée aux mains des «économistes», surtout de celles et ceux dont la complexité des formules techniques est en réalité inversement proportionnelle à la profondeur de l’analyse «systémique» par rapport aux questions d’ordre économique qui touchent l’ensemble de la société.