Haro sur la marchandisation des travailleurs

Le 9 février prochain le peuple suisse est appelé à se prononcer sur le texte de l’initiative populaire «Contre l’immigration de masse». L’idée à l’origine de cette initiative est de limiter l’afflux de travailleurs étrangers en Suisse «en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de la préférence nationale».

Au-delà des aspects juridiques (liés à l’accord de libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne) et humanitaires (la Suisse étant par tradition un pays d’accueil) que chaque votant devra considérer lorsqu’il exprimera son avis sur ladite initiative, celle-ci a le mérite de mettre en lumière un élément souvent ignoré dans le débat politique. Comme l’a fait remarquer Rudolf Strahm lors d’une interview dans la Schweiz am Sonntag, la mobilité géographique des travailleurs est considérée de la même manière que celle des marchandises: leur déplacement obéit à la «loi» de l’offre et de la demande, sans aucune considération des conséquences sociales ou environnementales que cela comporte.

Cette «marchandisation des travailleurs» est le résultat du paradigme dominant en «sciences économiques». Ce qui autrefois était la gestion du personnel (censée s’occuper de personnes) est devenu la gestion des ressources humaines (des ressources parmi d’autres, à exploiter pour la maximisation des profits des entreprises de tout genre).

Au nom de la «compétitivité» de l’économie suisse, le «coût du travail» (entendez le salaire, mis à part celui des «top managers») doit dès lors être «minimisé», oubliant que ce faisant une partie non-négligeable de travailleurs (qui sont également des contribuables et consommateurs) est amenée à restreindre ses dépenses et à faire appel à l’aide sociale (grevant ainsi les finances publiques) pour arriver à la fin des mois.

Il suffirait pourtant de comprendre que «les travailleurs dépensent ce qu’ils gagnent et que les entreprises gagnent ce qu’elles dépensent» (M. Kalecki) pour saisir le problème «systémique» que le paradigme dominant comporte pour l’ensemble de l’économie nationale.

Si l’initiative populaire «Contre l’immigration de masse» en Suisse est acceptée le 9 février prochain, il faudra songer à élaborer un nouveau régime de croissance économique, intégrant les soucis de durabilité et de cohésion sociale pour l’ensemble des parties prenantes, y compris les travailleurs étrangers.

 

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Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.