Le mythe du partenariat social en Suisse

Le refus populaire de l’initiative «1:12 – Pour des salaires équitables» a enflammé le débat politique concernant l’initiative «Pour la protection de salaires équitables (Initiative sur les salaires minimums)», qui sera soumise au vote populaire l’année prochaine.

Le Message du Conseil fédéral à ce sujet propose de rejeter l’initiative car elle porte atteinte au partenariat social. Ainsi, «les salaires les plus bas dépendent largement du bon fonctionnement du partenariat social et des CCT [Conventions Collectives de Travail]» (Message, p. 1110).

Or, même en ignorant le fait qu’une bonne moitié des travailleurs dans l’économie suisse ne sont pas coiffés en l’état par une CCT, l’argument qui fait appel au partenariat social (à savoir, l’entente entre les parties contractantes sur le marché du travail) pour refuser l’introduction d’un salaire minimum légal au plan national est fondamentalement invalidé par l’évidence empirique.

À bien regarder, en réalité, les parties contractantes sur le marché du travail ne sont pas sur un pied d’égalité – comme l’impliquerait la «loi» de l’offre et de la demande de travail – étant donné que les travailleurs (ou les syndicats qui les représentent) n’ont visiblement pas la même force de négociation des conditions de travail (dont la rémunération est l’un des éléments principaux) qu’ont les patrons d’une entreprise dans n’importe quelle branche d’activité.

Les facteurs de ce «déséquilibre» des forces opposées sont évidents:

  • D’une part, l’existence d’une «armée de travailleurs de réserve» (pour paraphraser K. Marx) menace les travailleurs les moins qualifiés (ceux qui sont visés directement par l’initiative sur les salaires minimums) car il y aura toujours des chômeurs (résidents en Suisse ou ailleurs) qui ne rechigneront pas à travailler aux conditions imposées par le patronat. Il est d’ailleurs significatif à cet égard de constater que l’objectif du «plein emploi» a disparu de la politique économique menée dans les pays qui se disent «avancés» depuis que l’idéologie néolibérale a pris le dessus sur l’économie sociale de marché.

  • D’autre part, contrairement à l’Allemagne par exemple, les (intérêts des) travailleurs ne sont pas représentés au sein du conseil d’administration des entreprises en Suisse, notamment de celles qui participent, sans le savoir peut-être, à la financiarisation du régime économique actuel.

Le «partenariat social» est donc un leurre, voire une expression creuse qui est utilisée comme alibi politiquement correct par celles et ceux qui ignorent la responsabilité sociale des entreprises en ce qui concerne la stabilité financière de l’ensemble du système économique.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.