Banques et fonds propres: le facteur Widmer-Schlumpf

Les propos d’Eveline Widmer-Schlumpf dans la Schweiz am Sonntag, annonçant la nécessité d’une augmentation des fonds propres des grandes banques, ont fait, semble-t-il, chuter de quelque 5 pour cent le cours des actions UBS et Credit Suisse. Si sa déclaration qu’il faudrait relever le ratio de levier dans une fourchette de 6 à 10 pour cent (actuellement, la FINMA exige un ratio minimum de 4,2 pour cent à l’horizon 2015 et ce ratio devra être au moins de 4,5 pour cent dès 2019) est à l’origine de cette dégringolade (pour autant qu’il s’agisse d’une causalité et pas d’une simple corrélation), cela pourrait être expliqué par deux raisons opposées.

L’interprétation des milieux financiers et de leurs partisans tient à la déception des actionnaires des deux grandes banques suisses, qui – au vu des perspectives défavorables pour le versement de dividendes suite à la nécessité de relever les fonds propres de ces banques (par la rétention de leurs bénéfices) – ont vendu leurs actions UBS et Credit Suisse, en en faisant dès lors chuter le cours. Or, une autre interprétation, tout aussi plausible, peut être avancée: la vente des actions qui a provoqué la chute de leurs prix sur les marchés boursiers pourrait avoir été induite par la découverte, par les actionnaires et grâce aux propos de Madame Widmer-Schlumpf, qu’UBS et Credit Suisse sont (encore) trop faiblement dotées en fonds propres par rapport aux risques que ces deux grandes banques abritent dans leurs bilans.

On ne rappellera jamais suffisamment, en effet, qu’une banque n’est pas une entreprise comme les autres. Si une compagnie aérienne (par exemple Swissair) fait faillite, cela peut être malheureux pour son personnel et ses actionnaires, mais n’a pas de conséquences systémiques. D’ailleurs, cela pourrait faire l’affaire d’autres compagnies aériennes dont le volume de transport (passagers et marchandises) pourrait augmenter suite à la faillite de leur concurrent. En revanche, si une (grande) banque était mise en faillite, d’autres banques (grandes ou petites) en seraient affectées de manière négative, étant donné que toutes ces banques sont liées entre elles par des relations de dette–créance à travers l’économie globale.

C’est aussi pour cette raison (au-delà de leur spécificité dans l’octroi de crédits) que les banques doivent être mieux et davantage réglementées que les autres entreprises. En ce qui concerne leurs fonds propres, par exemple, il faudrait que les banques affichent un ratio d’au moins 50 pour cent par rapport aux actifs dans leur bilan et sans aucune pondération par rapport aux risques (qui, en fait, ne peuvent pas être mesurés avec les outils utilisés à cet effet, parce que la probabilité des événements futurs ne peut pas être calculée et le risque systémique leur échappe totalement). Cela peut être facilement comparé aux ratios de fonds propres des entreprises non-financières, qui de manière générale dépassent 50 pour cent même si leurs activités sont beaucoup moins sensibles à la confiance que cela est le cas dans l’industrie bancaire.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.