La science économique ne mérite pas de Prix Nobel

Aujourd’hui le monde connaîtra le(s) lauréat(s) du «prix Nobel» d’économie 2013. En fait, il ne s’agit pas d’un vrai Prix Nobel, étant donné que les membres de l’Académie royale suédoise des sciences (à qui revient la décision de nommer les récipiendaires du Prix de la banque centrale suédoise en la mémoire d’Alfred Nobel) ont toujours refusé de considérer qu’une science sociale, comme l’économie, a «une nature suffisamment “scientifique” pour justifier l’octroi d’un prix de ce type à côté de “sciences exactes” telles que la physique et la chimie» (Lindbeck 1985, p. 38, nous traduisons).

Cette attitude a poussé une majorité grandissante d’économistes à se concentrer sur la «mathématisation» de l’analyse économique, afin de «hisser» la science économique au rang des «sciences exactes» dont la physique représente le sommet parmi les sciences naturelles. Cette trajectoire d’évolution de la science économique a toutefois atteint des niveaux extravagants, parce qu’elle a vidé de tout contenu économique les travaux soi-disant «scientifiques» des économistes mathématiques contemporains.

Cette dérive de la «science» économique est responsable, en dernière analyse, de la crise systémique éclatée en 2008 au plan global. Or, les économistes qui continuent de prolonger celle-ci par leurs contributions à celle-là sont également à l’origine d’un phénomène alarmant pour la pluralité scientifique, nécessaire au progrès des connaissances et à la solution des problèmes contemporains: comme l’a montré une analyse statistique, en France seuls 6 professeurs sur les 120 nommés durant la période 2005–2011 ne sont pas issus du courant dominant (qu’il est coutume d’appeler «mainstream» en langue française). Cette absence de pluralisme doit interpeler ceux qui s’intéressent au bien commun et à la cohésion sociale. Les politiciens et les instances académiques ont les compétences pour empêcher la fin du pluralisme en économie, afin que celle-ci (re)devienne une science qui se préoccupe des questions d’ordre économique au lieu de s’occuper de la résolution de problèmes mathématiques. Dans le cas contraire, l’évidence empirique continuera à montrer de manière implacable que, en économie comme en nature, «seuls les poissons morts suivent le courant [dominant]» (proverbe chinois).

Références

Association française d’économie politique (2013), «Évolution des recrutements des professeurs de sciences économiques depuis 2000: la fin du pluralisme», Paris, septembre.

Lindbeck, Assar (1985), «The prize in economic science in memory of Alfred Nobel», Journal of Economic Literature, Vol. 23, No. 1, pp. 37–56.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.