La «guerre des monnaies» déclenchée par l’Allemagne

Christine Lagarde l’avait fait remarquer le mois passé, lors du World Economic Forum à Davos: toute guerre se termine mal, y compris la «guerre des monnaies», une expression qui résonne de plus en plus dans les médias depuis que la crise globale et «systémique» a éclaté en 2008.

Lorsque «rien ne va plus» au sein du système économique, les milieux financiers, les entreprises de l’économie «réelle», les représentants de la «classe politique», les syndicats, voire l’ensemble de la société civile se tournent vers leur autorité monétaire afin que celle-ci intervienne en guise de «prêteur de dernier ressort» pour inonder les «marchés» avec la «liquidité» nécessaire et suffisante pour empêcher une dépression.

Ces interventions des banques centrales sont devenues fréquentes en ce qui concerne les États-Unis («assouplissements quantitatifs»), le Royaume-Uni (sauvetages de ses banques), la Suisse (lutte contre le «franc fort») et le Japon (relance des exportations commerciales). Les responsables sur chaque front de cette «guerre des monnaies» jettent sur leurs «adversaires» étrangers la faute d’avoir déclenché la guerre, justifiant ainsi leur besoin de «riposter» avec les mêmes outils mais si possible de manière plus virulente, dans une escalade sans fin (utile).

La Banque centrale européenne, jusqu’à présent, n’est pas vraiment intervenue à ce sujet (malgré de nombreuses critiques), mais pourrait le faire prochainement, si les pressions politiques, notamment du côté français, l’emportaient face à l’intransigeance allemande dont Angela Merkel est l’incarnation institutionnelle, s’opposant mordicus à toute sorte de «dévaluation compétitive».

Or, à bien y regarder, c’est l’attitude allemande qui, dès l’avènement de l’euro en 1999, a déclenché la «guerre mondiale des monnaies». L’Allemagne a «ouvert le feu» contre les autres pays membres de la zone euro, avant de frapper le reste de l’économie globalisée, par une politique de «déflation salariale» afin d’accroître la «compétitivité» des produits allemands et gagner dès lors des positions sur le terrain de la concurrence mondiale (entendez par rapport aux pays asiatiques et à la Chine en particulier).

Face au recul de leurs exportations, les pays «périphériques» au sein de l’Euroland ont été obligés de trouver d’autres issues pour ne pas tomber en récession, avec les résultats que l’on a découverts après la crise grecque (fin 2009) et qui sont à l’origine des problèmes actuels dans l’ensemble de la zone euro.

Plutôt que de miser sur les mesures d’«austérité expansionniste», qui vont entraîner l’Euroland dans une décennie perdue, l’Allemagne doit comprendre que «qui sibi mala curat lugeat semetipsum» («celui qui est à l’origine de son propre problème doit s’en prendre à lui-même»). Ce serait le premier pas pour arrêter la «guerre des monnaies» avant que celle-ci ne suscite des troubles sociaux majeurs en Europe et au-delà.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.