Salaires et (in)stabilité financière

Le débat sur l’initiative populaire «contre les rémunérations abusives» est devenu très vif à travers l’ensemble de la Suisse et contribue ainsi à la réflexion collective sur les tenants et les aboutissants des salaires et autres formes de rétribution des hauts dirigeants d’entreprise.

Ce débat est toutefois très partiel et trop politisé, manquant du recul et de l’analyse nécessaires pour séparer les bons arguments des fausses idées claires en la matière.

Il convient donc de faire remarquer à l’ensemble des parties prenantes, dans chaque entreprise concernée comme au sein de la société civile, certains éléments essentiels tirés d’une analyse économique moderne.

Dans les systèmes économiques contemporains, la presque totalité des activités de production implique plusieurs personnes et des services, qui n’ont aucune dimension physique (mis à part le temps nécessaire pour leur production). Ces caractéristiques sont évidentes lorsqu’il s’agit des fonctions dirigeantes au sein de n’importe quelle entreprise. Dès lors, il est impossible de mesurer l’apport d’une personne isolée à une activité qui ne peut être disséquée ni dans le temps ni dans l’espace (entendez par rapport au processus de production). Prétendre que les rétributions très élevées des «top managers» reflètent leur «productivité», à savoir, leur apport à la chaine de valeur au sein de l’entreprise, est un axiome, qui soustrait les milieux intéressés à l’obligation d’apporter l’«évidence empirique» de cet énoncé dogmatique.

Lorsque l’analyse passe du niveau micro– au plan macroéconomique, un autre élément essentiel doit être considéré à l’égard des très hauts salaires: leur versement exerce une pression à la baisse sur les autres rémunérations versées au sein des entreprises concernées (afin de ne pas mettre ces entreprises «hors marchés» à cause de leur enveloppe salariale trop grande). L’épargne des «top managers» et l’endettement des collaborateurs situés au bas de la hiérarchie d’entreprise induisent l’ensemble du système économique dans des situations d’instabilité au fur et à mesure que les placements financiers des premiers et la sous-consommation des seconds enflent des bulles au sein du pays, voire à travers l’économie «globalisée».

Ces éléments doivent être considérés avant de voter pour ou contre le texte de l’initiative «contre les rémunérations abusives» car il en va de la stabilité économique et de la cohésion sociale en Suisse.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.