Selon la majorité des économistes, les Etats-Unis vont tomber dans une «falaise fiscale» au début de l’année prochaine si le Sénat et la Chambre des représentants (qui forment le Congrès américain) n’arrivent pas à se mettre d’accord avant le 31 décembre pour réduire les dépenses publiques et, de là, diminuer la dette du gouvernement fédéral états-unien. Les médias et les principales agences de notation contribuent depuis bien des mois à alimenter la psychose collective à cet égard, peignant le diable sur la muraille pour condamner toute dépense publique qui ne serait pas financée entièrement par des recettes fiscales que l’Etat doit encaisser à la même période.
Cette vision est partielle et comporte un vice conceptuel dirimant pour la croissance et la soutenabilité du système économique dans son ensemble.
La partialité de cette vision est évidente, lorsque l’on considère l’opposition des Républicains à toute diminution des dépenses publiques dans le domaine militaire, ainsi que leur soutien aux subventions versées à l’industrie pétrolière aux Etats-Unis. Le vice conceptuel dans la vision dominante réside dans l’absence de distinction entre les dépenses qui forment un revenu et celles qui ne font que transférer un revenu préexistant au sein de l’économie. A l’instar de l’investissement privé, l’investissement public produit un revenu qui est nouveau dans l’ensemble de l’économie, dans la mesure où il est financé par une avance bancaire, qui n’a pas besoin d’une épargne préalable pour être octroyée. Il en va autrement pour les dépenses de consommation, qui nécessitent toutes d’un revenu (gagné ou emprunté) pour être effectuées.
La relance économique aux Etats-Unis, comme en Europe, restera un mirage aussi longtemps que la dépense publique sera l’otage des lobbies qui soutiennent les mesures d’austérité, malgré la récession qui s’aggrave et la réduction des dépenses privées (des ménages et entreprises). En réalité, le secteur public, des deux côtés de l’Atlantique, doit accroître ses dépenses pour réaliser des investissements dans les infrastructures de transport et de communication, dans les énergies renouvelables, ainsi que dans la formation et la recherche scientifique (pour ne mentionner que des domaines stratégiques et cruciaux pour le développement économique).
Etant donné que ces dépenses bénéficient à plusieurs générations, l’équité fiscale impose de les financer par l’endettement de l’Etat et non par l’impôt, afin d’en imputer le financement à chaque génération fiscale en fonction des bénéfices que celle-ci retire des investissements correspondants. Pour les dépenses publiques qui doivent être financées par l’impôt, il faut en revanche augmenter la charge fiscale sur les revenus et les patrimoines élevés, qui, aux Etats-Unis comme en Europe, ont souvent profité d’une fiscalité atténuée, n’ayant aucune justification d’un point de vue macroéconomique et qui est contraire à l’éthique sociale.
Plutôt que la prétendue «falaise fiscale», c’est donc un véritable précipice idéologique qui risque d’entraîner l’économie états-unienne et globale dans une nouvelle grande dépression.