Ne laissons pas les sols se dérober sous nos pieds

Mauvaise gestion de l’eau, notamment des eaux de pluie dans les régions arides, mauvaise attribution de la ressource (par exemple en priorisant le tourisme ou en développant des cultures demandant beaucoup d’irrigation) ; mauvais usage des terres (par exemple par surpâturage) faisant que les sols se dégradent de plus en plus : voilà deux fléaux qui se conditionnent mutuellement.

Le changement climatique ajoute sa dynamique délétère : quand il fait 50°C au Pakistan ou en Irak, les zones humides et même les cours d’eau s’assèchent rapidement. Les images de la mer d’Aral réduite au dixième de ce qu’elle était, de plans d’eau en Irak aujourd’hui totalement desséchés, du lac Tchad qui n’est plus que l’ombre de lui-même jalonnent cette dynamique négative.

Les pays industrialisés ne sont pas à l’abri. La sécheresse y progresse aussi, et les cultures n’y sont pas nécessairement adaptées (comme planter du maïs dans des régions arides). Le compactage du sol par des machines agricoles de plus en plus lourdes, l’usage de pesticides et autres intrants perturbe, voire détruit, la vie biologique des sols, réduits à l’état de seuls supports.

Partout au monde, l’enjeu est de soutenir sa productivité naturelle : c’est la vie du sol, dans sa couche superficielle, qui l’assure – et assure notre subsistance. « Dans les sols agricoles, le taux minimum de matière organique devrait être de 3 à 6%. Mais actuellement, dans près de 40% des terres agricoles mondiales, le taux de matière organique est inférieur à 0,5% » souligne l’activiste Indien Sadhguru, qui a parcouru ce printemps les capitales européennes pour les sensibiliser à cet enjeu-clé (Tribune de Genève, 26 avril 2022).

Un état des lieux sans concessions

Selon « Perspectives territoriales mondiales », le 2e rapport sur l’état des sols établi par le secrétariat de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification (LCD), 40% de terres sont désormais dégradées, impactant la moitié de l’humanité. Voici 5 ans seulement, elles étaient 25% – une progression aussi fulgurante qu’inquiétante. Près de 70% des terres émergées ont été transformées par les usages humains. Le rapport souligne le lien direct entre la dégradation des capacités productives des sols et des écosystèmes, et celle des conditions de vie des populations, conduites à s’entasser dans les bidonvilles, voire à migrer plus loin.

« À l’échelle mondiale, les systèmes alimentaires sont responsables de 80% de la déforestation et de 70% de l’utilisation de l’eau douce. Ils constituent aussi la principale cause de perte de biodiversité terrestre. La santé des sols et la biodiversité sous terre – la source de presque toutes nos calories alimentaires – ont été également largement négligées par la révolution agricole industrielle du siècle dernier « souligne ce document.

Ses auteurs ajoutent : « L’agriculture moderne a modifié la surface de la Terre plus que toute autre activité humaine, de la production de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux et d’autres produits de base jusqu’aux marchés et aux chaînes d’approvisionnement qui relient les producteurs aux consommateurs. Rendre nos systèmes alimentaires durables et résilients contribuerait de manière significative à la réussite des programmes mondiaux concernant les terres, la biodiversité et le climat. (…) Plus de 700 milliards de dollars sont versés en subventions agricoles chaque année, mais seulement 15 % environ de ce montant a un impact positif sur le capital naturel, la biodiversité, la stabilité de l’emploi à long terme ou les moyens de subsistance.»

Oui, les enjeux du climat, de la biodiversité et des sols sont complètement imbriqués. D’ailleurs, les conventions sur les changements climatiques, sur la biodiversité et sur la désertification ont été lancées ensemble, lors du plus grand rassemblement de l’ONU depuis sa création, le “Sommet de la Terre” tenu voici 30 ans (du 4 au 14 juin 1992) à Rio de Janeiro, et sont entrées en vigueur respectivement en 1994, 1993 et 1997.

Les solutions sont à portée de mains, mettons-les en œuvre

Perspectives territoriales mondiales rappelle que «fin 2021, plus de 115 pays avaient pris des engagements quantitatifs territoriaux pour restaurer 1 milliard d’hectares d’exploitations agricoles, de forêts et de pâturages ; cela représente une superficie supérieure à celle des États-Unis ou de la Chine. (…)  La restauration des terres est entendue au sens large comme un continuum de pratiques de gestion durable des terres et de l’eau qui peuvent être mises en œuvre pour conserver ou ‘ré-ensauvager’ les zones naturelles, ‘intensifier’ une production alimentaire respectueuse de la nature dans les paysages ruraux, et ‘verdir’ les zones urbaines, les infrastructures et les chaînes d’approvisionnement. »

En lançant en 2007 le gigantesque projet de Grande muraille verte afin de stopper l’avancée du désert, l’Union Africaine avait vu juste. Mais le long des 7775 km séparant Dakar de Djibouti à travers 11 Etats, seuls 20% des environ 100 millions d’hectares prévus ont été réhabilités. Et encore, il ne suffit pas de planter des arbres, il faut les protéger, les entourer, les insérer dans une gestion durable des sols à travers des pratiques culturales et pastorales appropriées. Indécision et fragilité des administrations, insécurité, implication insuffisante des populations locales, corruption entravent l’avancée de cette vaste entreprise. Mais le signal est donné.

A la COP 15 (15e conférence des Etats parties à la convention) de la LCD tenue en mai dernier à Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire, il a été retenu d’accélérer d’ici 2030 le programme de restauration d’un milliard d’hectares de terres; on y a aussi noté d’»assurer de plus grandes synergies entre les trois conventions de Rio y compris des complémentarités dans la mise en œuvre de ces traités grâce à des solutions fondées sur la nature et à la définition d’objectifs au niveau national. » 

Jusqu’à quand les demi-mesures ?

Toutefois, alors que divers pays auraient souhaité un Protocole sur la lutte contre la sécheresse, la conférence s’est contentée d’»établir un groupe de travail intergouvernemental sur la sécheresse (…) afin d’examiner les options possibles, y compris les instruments politiques mondiaux et les cadres politiques régionaux, pour soutenir le passage d’une gestion réactive à une gestion proactive de la sécheresse.»

Elle a aussi souligné la nécessité « lutter contre la migration forcée et les déplacements provoqués par la désertification et la dégradation des terres en créant des opportunités sociales et économiques qui augmentent la résilience rurale et la stabilité des moyens de subsistance, et en mobilisant des ressources, y compris de la diaspora, pour des projets de restauration des terres. »

A ce jour, 128 États se sont engagés pour un objectif de neutralité en matière de dégradation des terres d’ici 2030. Reste que les politiques agricoles peinent à prioriser les pratiques agro-écologiques, une sylviculture durable et un pâturage régénératif, sans lesquelles rien n’est possible. Précisément, la Côte d’Ivoire a perdu 90% de ses forêts en 60 ans. Perdu signifiant ici par négligence de l’Etat ou délibérément, pour un profit financier à courte vue de quelques-uns. On détruit ainsi ce qui protège le sol et la biodiversité et absorbe du CO2 : le couvert arboré. Alors que l’agroforesterie permettrait de concilier forêt et cultures de qualité, par exemple de cacao. A quelques kilomètres de destructions massives de la forêt, certains montrent la voie, produisant parmi les meilleurs chocolats au monde…

 

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

5 réponses à “Ne laissons pas les sols se dérober sous nos pieds

  1. Merci beaucoup M. Longet encore une fois pour l’exposé de ces problématiques urgentes. On oublie trop souvent que c’est la terre qui nous fait vivre.

  2. On passe trop souvent sous silence la culture locale qui aujourd’hui encore fait que 80% des personnes cuisinent au feu de bois que ce soit en Afrique ou dans de nombreux pays du continent indien.
    Sur le continent africain les arbres n’ont plus la possibilité de grandir, ils sont très vite coupés pour servir à la cuisson des aliments, laissant place à des zones désertiques où le sable prends la place.
    Tant que cette culture ne changera pas, tout effort de plantations sera vain car la demande de bois de cuisson ne cesse d’augmenter avec la population qui n’a aucun moyen de contrôle des naissances (contraception).

  3. Certains s’étonnent de l’insatisfaction face aux politiques. Mais leurs responsabilités seront énormes. Bien sûr, au niveau individuel on peut ne pas gaspiller l’eau, arroser de manière intelligente, choisir des plantes peu gourmandes en eau, limiter les piscines, le bitume… Mais il serait intéressant d’avoir un réseau de “pipes-lines” de tuyauteries sur des kilomètres amenant l’eau depuis les régions où il a beaucoup plu, depuis des réservoirs artificiels voire de multiplier les usines de dessalement de l’eau de mer même en Europe. Si l’on manque de dynamisme, les générations prochaines vont avoir la vie dure

    1. L’eau n’est pas une ressource qui s’épuise comme le pétrole ou le gaz, que vous le gaspillez sous votre douche, piscine ou autre elle ne disparait pas, elle effectue son cycle. Il faut cesser de dire aux gens d’économiser l’eau, celle que vous utilisez à Lausanne ou Genève vient du lac et y retourne après être passé en station d’épuration, elle n’est pas- détruite.

      L’article parle de l’Afrique où la problématique est différente, l’utilisation massive du bois par la population pour la cuisine a fait disparaître une grande partie de la végétation, or si la végétation disparait les pluies se raréfient elles aussi. Il y a ici un problème culturel.

      1. Ce qu’il ne faut pas lire…
        Les molécules d’eau ne sont certes pas détruites, mais fournir de l’eau potable ou du moins provenant du réseau pressurisé aux robinets, ce n’est ni simple, ni gratuit en énergie & francs, le cycle n’est pas instantané et certains réservoirs naturelles d’eau (ex. nappes phréatiques) peuvent s’épuiser à court ou long terme.
        Une station d’épuration, sans parler des aspects chimique, c’est énergivore ; pomper l’eau aussi.
        Ce n’est pas juste pour rigoler que les communes demandent par temps de sécheresse de ne plus laver les vehicules, ni remplir les piscines ou arroser les pelouses, etc. Ou que les WC ont maintenant 2 boutons.
        Si ce n’est pas clair, je propose que pendant 1 semaine vous alliez chercher chaque litre d’eau que vous consommez dans un puits à 1 km.

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