Les partis sont mortels – pas les valeurs

Encore une année jusqu’aux élections présidentielles françaises. Tout indique que la gauche française est arrivée à la fin d’un cycle. Les retournements sont toujours possibles, mais les miracles peu probables; 2017 risque de ressembler fort à 1969, lorsque le candidat socialiste officiel à la présidentielle, Gaston Deferre, dut se contenter d’un lamentable 5,1%. Hollande ne peut que faire mieux… mais pas beaucoup mieux ! Et il n’est pas le challenger du PS après la démission du Général de Gaulle, mais le président sortant – qui est en échec depuis les premiers mois de son mandat.

Pas de nouveau Mitterrand en vue pour ramasser les miettes d’une gauche de gouvernement en difficulté, pour reconstruire une gauche crédible. C’est là que la crise est plus profonde qu’en 1969. Et même si, comme en 1968, un mouvement social est bien présent, il est, contrairement à l’époque, plus diffus, perclus de doutes et de divisions, aussi mal dans sa peau que l’est la société qu’il conteste. Une vision humaniste forte, un axe structurant montrant une autre voie est peu perceptible. Beaucoup d’intellectuels quant à eux hurlent avec les loups identitaires et de l’exclusion nationale, au lieu de réfléchir à l’inclusion et à la gestion positive des diversités, idolâtrant une Nation qui n’est qu’un produit de l’histoire, destiné à évoluer. Staliniens en 1955, frontistes en 2015…

Les partis sont mortels. Mais pas les besoins humains d’affirmer des valeurs, de construire un récit crédible, de retrouver une orientation qui donne du sens:

D’un côté, une société qui est la première dans l’histoire de l’humanité à proclamer comme valeur ultime l’enrichissement personnel matériel. Qui, tout en parlant de durabilité, est bâtie sur l’obsolescence, qui, tout en invoquant l’égalité de chances, tolère une montée phénoménale des inégalités. Qui, tout en parlant politique, refuse de réguler les abus de l’économie, offrant aux peuples le spectacle d’élites plus attentives à leurs privilèges qu’à leurs devoirs.

De l’autre des forces populistes qui canalisent vers l’étranger, les "autres", le ressentiment populaire devant le blocage de l’ascenseur social et propagent à la fois une conduite autoritaire de l’Etat (au service d’une nomenklatura proche du pouvoir) et un patriotisme agressif. Les exemples sont légion, depuis les partis de la droite dure en Europe, jusqu’aux personnages comme Putine ou Erdogan.

Il doit y avoir une autre façon de gérer le monde, de vivre ensemble. Sans naïveté ni angélisme, mais autour des valeurs fondatrices que sont la liberté, la responsabilité et l’égalité de droits et de chances, redéfinies à l’aune de la mondialisation dont la maîtrise est la clé d’un rééquilibrage global. Et qui, surtout, donne sens à la formidable machine industrielle dont l’humanité s’est dotée et qui souvent tourne à côté des vrais besoins. De plus en plus, aussi, on commence à expliquer l’intégrisme religieux, en particulier l’islamisme, comme une réponse (symétrique à l’extrême-droite européenne et américaine) au désarroi social, à l’absence de sens et de perspectives.

Donner sens et perspectives, de grands leaders ont su le faire : Roosevelt, Kennedy, Churchill, De Gaulle, Gandhi, Mandela – leurs noms évoquent une forte nostalgie auprès des peuples mal dirigés, par des personnes soit avides de leur pouvoir personnel, soit mettant en scène leur impuissance. L’heure est grave, les valeurs humanistes sont en péril. Hollande ayant vidé son parti de toute substance (alors même que son bilan n’est pas aussi nul qu’il le laisse lui-même accroire !), une nouvelle force humaniste, à forte ambition sociale, écologique, morale, devra émerger des cendres de ce qui a implosé, à travers des penseurs comme Edgar Morin, Patrick Viveret, Mathieu Ricard, Pierre Rabhi, pour montrer la voie d’une vie en société qui donne à chacune et à chacun sa dignité et sa place autour de la table commune, qui – enfin – contre la loi du plus fort et du seul argent. Il y a largement assez pour tous. Encore faut-il définir le menu et convier chacun au festin d’une république retrouvée.

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.