Investir dans la coopération au développement c’est investir dans notre avenir

Comme le rappelle excellemment Catherine Schümperli Younossian dans son ouvrage de référence La politique suisse de solidarité internationale, l’engagement de la Suisse pour la coopération dans les pays du Sud est le fruit de la rencontre d’acteurs de la société civile et de l’implication des pouvoirs publics. L’action de la société civile remonte au 19e siècle, avec les missions des Eglises et les premières œuvres d’entraide. La propagation de la foi s’accompagnait d’un service aux populations en matière de scolarisation, de soins, et de productions locales permettant d’améliorer les conditions de vie.

 

La coopération comme engagement des Etats industrialisés est contemporaine de la décolonisation de l’après-guerre, époque marquée par la place croissante prise par les organisations internationales, et parmi elles en tout premier l’ONU. En 1970, l’Assemblée générale de Nations Unies décida que les pays industrialisés alloueraient 0,7% de leur PNB à l’aide publique au développement http://www.oecd.org/fr/cad/stats/45539389.pdf

 

Pour la Suisse, qui n’a rejoint l’ONU qu’en 2002 (suite à un échec mémorable devant le peuple d’une première demande d’adhésion, en 1986 https://www.admin.ch/ch/f/pore/va/19860316/ ), l’origine de l’engagement étatique était quelque peu différente. Après la 2e guerre mondiale qui avait vu notre pays réussir à se mettre une nouvelle fois à l’abri à travers sa traditionnelle politique de neutralité, il s’agissait de renouer avec le camp des vainqueurs. Ce fut l’intuition du conseiller fédéral Max Petitpierre que de coupler au terme de neutralité celui de solidarité. Cette nouvelle acception de la maxime d’Etat suisse pouvait s’appuyer sur une longue tradition de la société civile, dont l’engagement d’Henry Dunant reste la figure emblématique.

 

Peu à peu l’implication de l’Etat s’est précisée, tout d’abord au niveau de la Confédération, qui ajoute au soutien des œuvres d’entraide le développement de sa propre agence de coopération, la DDC, à la qualité unanimement reconnue. L’article 54 de la Constitution fédérale inscrit la coopération comme un des piliers de notre politique étrangère: la Suisse «contribue notamment à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu'à promouvoir le respect des droits de l'homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles».

 

 Portant loin dans le monde l’action et l’image de la Suisse, la coopération fut inscrite dans une loi exemplaire en 1976, dans un esprit consensuel prometteur https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19760056/index.html. Toutefois, sur les 3,191 milliards alloués en 2014 à l’aide publique au développement, APD, seuls 53% ou 1,7 milliard vont directement à cette tâche. Quelque 14% sont destinés à l’aide humanitaire et un autre 14% contribue aux dépenses de l’asile – chaque fois 460 millions. Quant aux investissements directs de l’économie suisse dans les pays en développement, ils étaient de 6,9 milliards en 2013, soit le quadruple de la coopération sur le terrain. On sait qu’ils ne sont pas nécessairement alignés sur les objectifs de celle-ci…

 

Les cantons ne sont pas restés indifférents à cette cause, et s’impliquent de manière différenciée, l’effort le plus important étant tout naturellement assumé par celui qui héberge, au nom de la Suisse, l’écrasante majorité des organisations intergouvernementales et aussi non-gouvernementales internationales : le canton de Genève. Qui a ainsi associé à son rôle de plate-forme d’accueil et d’échanges celui d’un engagement soutenu des pouvoirs publics, y compris de pratiquement toutes les communes, aux actions de solidarité internationale déployées par les ONG d’orientations et de dimensions diverses. Et à l’instar de la Confédération, une loi et un article constitutionnel (depuis 2012 https://www.ge.ch/legislation/rsg/f/s/rsg_a2_00.html) consacrent cet effort. Genève se réfère également au chiffre de 0,7% (ici du budget de fonctionnement) comme cible à atteindre https://www.ge.ch/legislation/rsg/f/rsg_d1_06.html .

 

Toutefois, malgré l’excellence de sa contribution, la Suisse ne parvient toujours pas à respecter l’engagement du 0,7% auquel elle avait pourtant souscrit à de plusieurs reprises. Il a fallu une pétition http://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/aide-suisse-au-developpement-politiciens-et-artistes-se-reunissent-a-berne-pour-soutenir-les-pays-les-plus-pauvres?id=1488231 de plus de 200'000 signatures déposée sous l’égide d’Alliance Sud en 2008 http://www.alliancesud.ch/fr/publications/dossiers/10 pour que le Parlement, trois ans plus tard, accepte de passer des 0,4% d’alors à 0,5% pour 2015 http://www.alliancesud.ch/fr/le-parlement-augmente-laide-au-developpement.

 

Cet objectif à peine atteint, voici que le Conseil fédéral croit judicieux de proposer une coupe préventive de 115 millions sur les crédits de coopération de 2016. Cela n’a nullement suffi, vu que la commission des finances du conseil national réclame désormais bien davantage : revenir à 0,4% ! 200'000 signatures passées à la trappe, les promesses oubliées. Les crédits militaires, eux, augmentent au-delà de ce que le Conseil fédéral avait proposé. Serait-ce cela l’appréciation des risques que court notre pays, et la réponse, moins de coopération et davantage de défense ? Plus il y a de migrants sur les routes périlleuses d’un exil forcé, plus on dépend des autres pour son économie (un franc sur deux est gagné dans le commerce extérieur) et pour ses ressources… moins on veut le savoir, semble-t-il. Incohérence majeure qui ne sévit malheureusement pas que dans ce domaine.

 

Cela ne doit pas être le dernier mot du Parlement, ce n’est pas la Suisse dans laquelle nous nous reconnaissons. Ne laissons pas démanteler un pan entier de notre politique étrangère et de notre crédibilité et soutenons l’Appel contre la faim et la pauvreté des ONG de développement suisses : http://www.appel-pauvrete.ch/ Car la position de la commission des finances n’a été prise qu’à une voix d’écart. De quoi permettre aux uns et aux autres de réfléchir encore. Couper dans l’aide aux plus démunis de la planète est indigne d’un pays parmi les plus riches du monde; aider les populations à vivre au pays, à assurer leurs droits économiques, sociaux et culturels est le meilleur investissement que nous puissions faire pour notre avenir.

 

 

 

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.