Bientôt mars 2016. Quelqu’un se rappelle encore de la COP21 ? De ces photos des dirigeants du monde se congratulant après des nuits blanches passées à négocier… un cadeau de Noël pour l’Humanité – de quoi bien passer, rassurés, le cap des Fêtes de fin d’année, mettre un peu de baume sur nos cœurs meurtris par les attentats, sur nos consciences secouées par les drames de la migration forcée et les atrocités des guerres au Proche Orient? Et puis rideau.
Oui la COP 21 a marqué une étape historique. Pour la première fois, les Etats pétroliers aux régimes politiques aussi dissemblables que paradoxalement proches comme l’Arabie Saoudite et le Venezuela ont été mis en minorité. Pour la première fois, les climatosceptiques ont été oubliés dans les «poubelles de l’histoire» dont ils n’auraient jamais dû sortir. Et pour la première fois aussi, les pays émergents ont cessé de confondre droit au développement et droit de polluer.
L’objectif de rester «nettement en-dessous» d’un réchauffement moyen de la température de la surface terrestre de 2°C a été bel et bien inscrit dans un texte juridique, «non contraignant» toutefois – et sachant qu’un écart de 3 à 5°C est ce qui sépare dans l’histoire de la Terre une période de glaciation d’une période chaude… L’Accord de Paris ne fixe pas d’autres objectifs, chaque pays devant balayer devant sa propre porte pour qu’ensemble le résultat permette de rester en-dessous de la barre fatidique des 1,5°C. La partition est donc écrite, et bien écrite. Reste à la mettre en musique.
Et là c’est une autre histoire qui commence, un nouveau parcours du combattant qui s’annonce. Tout d’abord, l’Accord de Paris doit être ratifié par au moins 55 Etats représentant 55% des émissions de gaz à effet de serre, pour simplement exister juridiquement. Ensuite, dès au plus tard 2023, les Etats devront soumettre leurs plans nationaux de réduction des émissions, qui seront ensuite régulièrement révisés à la baisse. Le mécanisme est vertueux, mais attention. La totalisation des contributions nationales présentées fin 2015 amène à un réchauffement de 2,7°C, le double de ce qui est admissible – et à condition que les plans annoncés soient réellement mis en œuvre. Et ceci sans prendre en compte les 4 à 5% de supplément d’émissions de carbone dus à la navigation aérienne et maritime internationale non attribués aux Etats.
La moyenne mondiale des rejets de CO2 rapportée à la population est actuellement de 4,5 tonnes par personne et par an; or, il faut descendre à 1°C pour rester dans les limites acceptables pour les équilibres écologiques. Une division par quatre ou cinq… et un peu plus pour nous Suisses qui, on s’en doute, sommes au-dessus de la moyenne mondiale.
En prenons-nous le chemin ? Le Conseil fédéral annonce une réduction des émissions nationales de 30% d’ici 2025. Il faudrait 300% d’ici 2050. Toute la différence entre la logique scientifique et la logique politique est là, dans ce facteur 10. C’est que l’industrialisation, depuis la révolution industrielle de la fin du 18e siècle, s’est faite à travers les énergies fossiles, et il va falloir changer tout cela : mobilité, agriculture, habitat, utilisation des ressources, passer à autre chose. A une économie circulaire, des bâtiments autonomes voire producteurs d'énergie, une mobilité fondée sur des moyens nettement moins énergivores (transports publics, mobilité douce, autopartage, véhicules électriques photovoltaïques), passer de l’agrobusiness à l’agroécologie… développer massivement les énergies renouvelables. Et sachant aussi que l’essentiel des réserves encore existantes d’énergie fossile – la biomasse du passé – devra rester sous terre et aucunement venir encombrer l’atmosphère.
Et à nouveau, un gouffre s’ouvre entre l’aspect technique et l’aspect sociologique et culturel. Techniquement les options sont définies, connues, largement au point ou en passe de l’être. Socialement, elles sont considérées comme plus conviviales, mieux appropriées à une gestion de proximité et partagée que les modes de faire actuels, bref plus désirables à tous égards. Mais sommes-nous prêts à changer de paradigme, de passer d’une rive, celle de nos mauvaises habitudes, à l’autre, promesse de vertu ? Rien n’est moins sûr. Le prix du pétrole au plus bas incite à continuer à transformer gaz, pétrole et charbon en gaz carbonique accumulé dans l’atmosphère. Les difficultés économiques privilégient le court terme, voire l’immédiat, et au diable les lendemains qui déchantent ! Les élu-e-s politiques ont foi en leur large majorité dans le seul marché, tout en choisissant d’ignorer ce qui le fausse : ces externalités dont on charge les générations à venir, les populations du Sud, l’environnement…
A l’extérieur, dans les négociations internationales, la Suisse se range parmi les nations progressistes et proactives ; elle s’est engagée à Paris avec une belle énergie et beaucoup de créativité. Sur le front intérieur, le ton est fort différent, et il a été donné dès le 3e jour de la nouvelle législature. Le 2 décembre, en effet, le Parlement rejetait tout contreprojet à l’initiative des Verts pour une économie durable. Le jour même où l’UE annonçait son programme de soutien à l’économie circulaire ! Il faut dire que lors des élections du 19 octobre, le climat, l’écologie et le développement durable étaient moins que jamais des thèmes. On dit qu’un pays a les dirigeants qu’il mérite, et c’est d’autant plus vrai quand c’est vraiment lui qui les choisit. Mais la Terre a-t-elle les habitants qu’elle mérite, ou plutôt les habitants de la Terre méritent-ils la Terre qu’ils ont, ça c’est une autre question…