Comment s’applique le nouveau droit successoral ?

Si l’on est quelque peu familier de notre droit successoral, la révision qui est entrée en vigueur au 1er janvier ne va pas poser de gros problèmes pour s’y adapter. En effet, l’essentiel de la réforme porte sur les réserves, et notamment sur la réduction de celle qui est attribuée aux descendants, ramenée au niveau de la réserve qui revient au conjoint survivant, à la moitié de la part légale, soit le quart de la succession, ainsi que la suppression de celle qui était accordée aux parents – père et/ou mère – du défunt. D’autres changements moins importants sont intervenus, notamment dans le cadre de la procédure de divorce, comme j’en avais déjà parlé dans mon billet du 16 septembre de l’année dernière. D’autres constituent souvent des clarifications, voire une codification de la pratique, comme c’est le cas en matière de 3e pilier lié bancaire, que j’avais également traité dans mon billet du 18 août.

Une série de tutoriels très efficaces

Florence Guillaume

Si les modifications au niveau des réserves apparaissent très simples, leurs conséquences sont moins évidentes qu’il n’y paraît lorsqu’elles sont appliquées dans des successions un peu complexes, en particulier lorsque des dispositions testamentaires ont été prises pouvant léser les réserves. Par bonheur, ce besoin est comblé par une série de tutoriels sur le droit successoral proposés par l’Université de Neuchâtel, en libre accès, dont j’avais déjà fait état dans mon billet du 28 juin dernier consacré au legs d’usufruit dans le nouveau droit successoral. Cet ensemble de cours en ligne, proposé par Florence Guillaume, Professeure ordinaire à la Faculté de droit, est un support de cours pour ses étudiants de 2e année, mais qui peut parfaitement être étudié en toute autonomie. Même si cela demande un certain effort, pour ne pas le cacher.

Présentation habile

Ces tutoriels s’avèrent particulièrement précieux par les nombreux exemples détaillés, habilement mis en image dans le cadre de Powerpoint, permettant de suivre pas à pas les raisonnements amenant à la répartition finale des parts et les éventuelles lésions de parts réservataires. Par exemple pour le legs d’usufruit, on peut observer comment le bien est démembré, de manière virtuelle, entre l’usufruit et la nue-propriété, et comment on calcule leur valeur respective. Ce qui permet de déterminer le respect ou non des parts réservataires, comme on le voit dans le slide ci-dessous tiré du cours consacré à cette thématique. En cas de lésions de ces dernières, et en cas d’action en réduction, on voit qu’elle peut se réaliser soit par le versement d’une soulte, soit par une réduction de l’usufruit. Cette mise en pratique, comme l’explique Iago Baumann, assistant de la Professeure Guillaume, qui a participé à la mise à jour de ce support pour l’adapter à la révision de la loi sur les successions, est d’autant plus utile que « si l’on en reste au principe, on risque de passer à côté de l’impact de la modification des réserves dans ce cadre ».

Contenu

Ces tutoriels sont au nombre de six. Le premier couvre la succession légale, dite ab intestat, c’est-à-dire sans testament, avec le système des trois parentèles, la place du conjoint survivant dans la succession, notamment lorsqu’il entre en concours avec d’autres héritiers légaux. Le deuxième cours en ligne porte sur la succession volontaire. On y développe notamment la question des réserves héréditaires, avec moult exemples détaillés. Les deux tutoriels suivants sont consacrés au legs d’usufruit. Le troisième se concentre sur l’explication de cette notion et les calculs de la valeur capitalisée de l’usufruit et de la nue-propriété, ainsi que la manière dont on peut procéder à une réduction en cas de lésion des réserves. Tandis que le quatrième se concentre sur le legs d’usufruit en faveur du conjoint survivant, dans le cadre de l’article 473 du CC, qui vient d’être révisé. Enfin, les deux derniers cours en ligne portent sur la liberté de disposer en cas de mort. Le cinquième cours en ligne présente notamment les questions de rapport d’avancement d’hoirie, et leur sort en cas de répudiation, ou encore la dispense de rapport en cas d’excédent. Quant au sixième tutoriel, il se penche les libéralités sujettes à réduction, avec des exemples très détaillés.

Temps d’étude

Combien de temps faut-il consacrer à cette formation pour en assimiler la matière ? Selon Iago Baumann, il faudrait compter deux heures par tutoriel pour des étudiants dont c’est le support de cours, soit au total environ douze heures. Personnellement, j’y ai consacré plusieurs dizaines d’heures, en devant m’arrêter très souvent pour réfléchir et essayer de refaire les calculs présentés, qui sont parfois difficiles à saisir immédiatement. Par ailleurs, et même pour un journaliste aguerri, il est parfois difficile de trouver un spécialiste suffisamment pointu – et accessoirement disponible – qui puisse lui fournir l’éclaircissement recherché lorsqu’il bloque sur l’un ou l’autre point. D’autant plus que les ouvrages de référence sur le sujet, que l’on peut trouver normalement dans nos bibliothèques universitaires, sont en cours de mise à jour. On peut évidemment se reporter au message du Conseil fédéral sur la réforme publiée en 2018, tout en sachant que certaines des modifications commentées ont été abandonnées lors de leur traitement au Parlement, telle la créance d’assistance pour le concubin ou la concubine, ou été profondément modifiée, comme l’attribution des acquêts au conjoint survivant. Comme je l’ai appris à mes dépens…

Faire ses devoirs

Cet excellent support ne peut malheureusement se suffire à lui-même si l’on ne dispose de quelques notions de droit du mariage, en particulier de ce qui est lié aux différents régimes matrimoniaux et à leur liquidation en cas de décès. En fait, explique Iago Baumann : « Les étudiants à qui sont destinés ces tutoriels ont déjà suivi une telle formation préalable. C’est pourquoi ces cours en ligne sont basés sur le droit successoral au sens strict. ». Mais le droit du mariage ne constitue heureusement pas la partie la plus complexe en matière de succession et il est assez facile d’en connaître les rudiments. Par ailleurs, certains aspects ont été peu développés dans les tutoriels, comme l’impact de l’attribution des acquêts au conjoint survivant lorsqu’un ou plusieurs enfants non communs font partie de l’hoirie. Mais, comme l’indique Leonel Constantino Ferreira, qui est également assistant de la Professeure Guillaume, « cette thématique est traitée dans le cours traditionnel avec les étudiants ». Peut-être faudrait-il retourner sur les bancs de l’Université… Plus sérieusement, pour un cours accessible en ligne gratuitement, il ne faut pas se montrer trop gourmand ! D’autant plus que la matière présentée apporte de toute façon une très grande valeur ajoutée par rapport à ce qui est disponible aujourd’hui sur le marché.

Une réforme en plusieurs étapes

Pour élargir la perspective, Leonel Constantino Ferreira, estime que la réforme entrée en vigueur au 1er janvier est importante, surtout si l’on considère « que la révision de la liberté de disposer ne constitue qu’une première étape, qui sera suivie par une deuxième visant à faciliter la transmission d’entreprise, afin d’éviter que celui ou celle qui veut reprendre la société n’en soit empêché par les prétentions des autres héritiers réservataires. La réduction des réserves des enfants va d’ailleurs dans le sens de cet objectif. »

Que changera le nouveau droit successoral dans la procédure de divorce ?

Pour terminer ma série sur la révision du droit des successions, qui entre en vigueur le 1er janvier de l’année prochaine, je vais me pencher dans ce billet sur la question de la procédure de divorce dans le cadre de la succession. De cette manière, j’aurai passé en revue les principaux articles du projet de révision de la loi sur les successions traités dans le message du Conseil fédéral (CF) du 29 août 2018, repris presque tels quels dans la modification du Code civil (CC) du 18 décembre 2020. Toutefois, la seule véritable innovation que constituait la créance d’assistance pour le concubin ou la concubine survivant(e), longuement détaillée dans le message du CF, a finalement été écartée lors des débats parlementaires et ne figure donc pas dans la révision.

Jusqu’au 31 décembre 2022

Dans la législation actuelle, les époux ne cessent d’être héritiers réservataires et légaux l’un de l’autre qu’une fois le divorce entré en force, comme le fixe l’article 120 du CC, alinéa 2. C’est la même règle qui s’applique pour des partenaires enregistrés pendant une procédure de dissolution. En d’autres termes, cela signifie qu’en cas de décès survenant durant la procédure de divorce, le conjoint survivant conserve ses droits non seulement en tant qu’héritier légal mais également comme réservataire.

Dès le 1er janvier 2023

Dans la loi révisée, le conjoint survivant ne pourra plus se prévaloir de son droit à la réserve si le décès survient durant la procédure de divorce, comme l’établit le nouvel article 472 du CC. Mais il faut que l’une des conditions suivantes soit remplie : 1. la procédure a été introduite sur requête commune ou s’est poursuivie conformément aux dispositions relatives au divorce sur requête commune, ou 2. les conjoints ont vécu séparés durant deux ans au moins. Dans un tel cas, les réserves se calculent comme si le défunt n’avait pas été marié. Les mêmes principes s’appliquent par analogie à la procédure de dissolution du partenariat enregistré.

Conservation du statut d’héritier légal

Le conjoint ou le partenaire survivant ne perdra toutefois pas tous ses droits sur la succession, puisqu’il restera héritier légal jusqu’à ce que le divorce ou la dissolution soit prononcé(e), comme le prescrit le nouvel article 120, alinéa 2 et le nouvel article 31, alinéa 2 de la loi sur le partenariat enregistré. Comme l’explique le CF dans son message, « cela signifie qu’en l’absence de testament excluant le conjoint ou partenaire enregistré survivant, celui-ci conservera son droit à sa part successorale en cas de décès avant l’entrée en force de la décision de divorce ou de dissolution. »

Thématiques à venir

On n’entrera pas plus dans les détails juridiques dans ce billet de blog finalement consacré à l’économie… C’est d’ailleurs dans un souci d’entrer dans la pratique et dans une perspective de gestion de ses finances personnelles que je consacrerai une nouvelle série d’articles liées aux questions successorales. Il s’agira de situations concrètes telle que la transmission de l’hypothèque en cas de décès, le besoin de protection du conjoint survivant, de celui du concubin(e), de ses enfants en cas de famille recomposée, et de la manière de préparer sa succession sans faire éclater (si possible) l’harmonie familiale. J’aborderai également la question du point de vue des héritiers, qui doivent parfois se poser la question de savoir s’il faut accepter (ou refuser) un héritage.

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce qui change pour la prévoyance liée dans le nouveau droit successoral ?

Dans le cadre de ma série sur les principaux points de la révision du droit des successions, qui entre en vigueur dès le premier janvier 2023, j’aborde dans ce billet la manière dont le traitement de la prévoyance liée en cas de décès est modifié et précisé. On rappellera que l’on peut souscrire une assurance vie ou un compte de prévoyance auprès d’une fondation bancaire si l’on veut profiter des avantages fiscaux qui lui sont liés.

Prise compte dans le calcul des réserves

Ces deux formes de prévoyance liée sont exclues de la masse successorale et continueront de l’être, comme le précise le message du Conseil fédéral du 29 août 2018. Mais, ce qui change est consacré par la révision des articles 476 et 529 du Code civil : « (…) les prétentions du pilier 3a seront toutefois réunies à la masse de calculs des réserves (uniquement pour leur valeur de rachat en matière de pilier 3a assurance) et par conséquent susceptibles d’être réduites, indépendamment de la forme de prévoyance individuelle liée choisie. Ce qui signifie que les héritiers réservataires qui ne touchent pas leurs réserves pourront agir en réduction contre les bénéficiaires du pilier 3a pour la partie manquante. » En fait, cette pratique ne serait pas vraiment nouvelle, comme me l’a expliqué un planificateur financier professionnel, puisque les héritiers réservataires peuvent déjà intenter une action en réduction à l’encontre de bénéficiaires d’un produit de 3e pilier lié, à condition qu’il ait été financé par des acquêts. Mais, de toute façon, ce qui compte c’est de savoir quelle sera la nouvelle norme juridique et comment elle sera appliquée dès le 1er janvier. Dans cette perspective, on peut reprendre le message du CF qui présente l’exemple d’un compte de prévoyance en cas de décès, avec différentes variantes familiales. Les mêmes raisonnements s’appliqueraient pour une assurance mixte souscrite en 3e pilier lié, mais sur la base de la valeur de rachat.

Couple marié avec un enfant

Premier cas présenté par le CF, celui d’un couple marié avec un enfant. L’un des conjoints – que je suppose être le mari pour rendre l’exemple plus lisible – décède en laissant une succession de 20’000 francs, ainsi qu’un troisième pilier bancaire lié de 100’000 francs. Ce dernier a été constitué par ses biens propres, dont son épouse est l’unique bénéficiaire. Pour savoir si la réserve de l’enfant est lésée ou non, il faut tout d’abord déterminer le montant de la masse de calcul des réserves. Pour y parvenir, on doit additionner le capital du 3e pilier lié (3a) versé à la veuve aux 20’000 francs issus de la succession, soit 120’000 francs

Comme la réserve de la veuve et de l’enfant s’élève à un quart de la masse de calcul des réserves, elle se monte donc à 30’000 francs :

Comme la masse successorale n’est que de 20’000 francs, elle est entièrement attribuée à l’enfant. Mais elle s’avère insuffisante pour couvrir sa part réservataire, de 10’000 francs. L’enfant peut peut donc intenter une action en réduction contre sa mère, qui devra lui verser la somme manquante de 10’000 francs. Au total, elle conservera 90’000 francs, tandis que l’enfant obtiendra les 30’000 francs correspondant à sa part réservataire, comme on le voit ci-dessous :

 

 

Couple en concubinage

 Le CF reprend le même exemple, en modifiant un seul paramètre, à savoir que le couple n’était pas marié, mais vivait en concubinage. Dans ce cas, si la compagne pouvait toujours bénéficier du versement du capital de 3e pilier lié, elle n’avait droit à aucune part réservataire, alors que celle de l’enfant se montait dans ce cas de figure à la moitié de la masse de calcul des réserves, soit 60’000 francs (=  CHF 120’000 / 2). Si l’enfant lui intente une action en réduction, la concubine devra lui verser 40’000 francs, de manière qu’il obtienne le montant correspondant à sa part réservataire, comme on le voit dans le graphique ci-dessous.

 

Célibataire avec enfants

Dans ce dernier cas de figure, le CF imagine que le défunt était célibataire, en laissant deux enfants, que je suppose être un fils et une fille pour faciliter l’exposé. La succession est toujours de 20’000 francs, et le 3e pilier lié bancaire de 100’000 francs. Mais cette fois, le défunt avait institué son fils seul bénéficiaire de ce capital. La réserve de sa fille est évidemment lésée puisque chaque enfant a droit à un quart de la masse de calcul des réserves, soit 30’000 francs (= CHF 120’000 / 4). Sa fille recevra la totalité de la masse successorale, à laquelle s’ajoutera le versement de 10’000 francs de son frère, qui recevra au final 90’000 francs, comme on le voit ci-dessous.