FMI : et si l’on faisait payer les riches ?

 

Dimanche soir, Christine Lagarde, patronne du fonds monétaire international (FMI), mettait en garde les États-Unis contre le risque d’échec d’accord sur le relèvement du plafond de leur dette, menaçant l’économie mondiale de replonger dans la récession. Jusque-là, il n’y a rien d’extraordinaire, puisque ce sont des craintes largement partagées. En revanche, l’organisation basée à Washington a véritablement créé la surprise la semaine dernière, lors de la publication du dernier numéro de sa revue Fiscal Monitor, intitulé Taxing Times. En effet, on y propose tout bonnement d’accroître la pression fiscale sur les plus hauts revenus, ainsi que sur la fortune, tout en stigmatisant l’optimisation fiscale des multinationales !

Le principe d’augmenter les impôts sur les plus riches a suscité d’autant plus d’étonnement que le FMI se limite généralement à prôner la baisse sévère des dépenses publiques pour réduire les déficits des États. Cependant, précisent les experts, il ne s’agit pas de savoir si les riches doivent payer plus, car cela « relève de positions éthiques sur lesquelles on peut raisonnablement différer », mais seulement d’estimer si l’augmentation d’impôts sur les revenus et les fortunes les plus élevées permettrait d’engranger plus de recettes qu’avec le système actuel. En effet, le risque, c’est de voir ces contribuables diminuer leurs activités ou encore essayer d’échapper à ces nouveaux impôts par tous les moyens, légaux ou illégaux.

Le FMI rappelle d’ailleurs que plusieurs pays développés ont déjà procédé à l’augmentation de leur taux marginal d’imposition maximal (soit le taux d’imposition le plus élevé de la dernière tranche de revenu imposable). Ainsi, depuis 2008, la Grèce, l’Islande, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni l’ont rehaussé en moyenne de 8 points de pourcentage, même si le Royaume-Uni a fait machine arrière en avril 2013, faisant passer ce taux de 50 % à 45 %.

Concrètement, les spécialistes du FMI ont pris comme base le taux d’imposition appliqué en 1980 pour calculer l’impôt supplémentaire qui pourrait être récolté sur les contribuables appartenant au 1 % des revenus les plus élevés. Le montant engrangé pourrait s’élever à l’équivalent de 0,25 % du PIB. Mais si l’on considère uniquement les États-Unis, le gain potentiel atteindrait près de 1,5 %. Ce qui n’a rien d’étonnant si l’on considère que ce pays est devenu, d’une part, de plus en plus inégalitaire et que, de l'autre, l’imposition des revenus les plus élevés a été fortement réduite.

Inégalité que l’on peut également chiffrer, comme l’indique Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, dans son dernier ouvrage, Le prix de l’inégalité* : « Depuis trois décennies, les bas salaires (des 90 % inférieurs) n’ont augmenté que de 15 %, tandis que les salaires des membres du 1 % supérieur se sont accrus de près de 150 % et que dans le 0,1 % supérieur, leur augmentation dépasse 300 %. » Quant à la fiscalité, elle a été massivement allégée en faveur des plus riches : « Le taux d’imposition marginal le plus élevé a été abaissé de 70 % sous Carter à 28 % sous Reagan ; il est remonté à 39,6 % sous Clinton et enfin redescendu à 35 % sous George W. Bush. »

Pour illustrer l’écart de richesse à l’intérieur d’un certain nombre de pays, le FMI a comparé, comme on le voit ci-dessous, d’une part, la fortune détenue par la moitié de la population la plus pauvre (en bleu) et, d’autre part, celle qui est en possession des 10 % les plus aisés (en rouge). Comme on le constate, les États-Unis font ainsi partie des pays les plus inégalitaires, où environ 75 % de la richesse est concentrée dans les mains des 10 % les plus riches.

Source : FMI / Fiscal Monitor / Taxing Times / octobre 2013

Si les États-Unis pouvaient suivre le chemin tracé par le FMI, en renversant le vapeur pour augmenter l’impôt sur sa population la plus privilégiée, le monde entier applaudirait. Car ce serait un moyen pour contribuer à la réduction plus rapide du déficit budgétaire, sans casser la fragile reprise. Tout en diminuant au passage l’inégalité criante qui s’est développée dans ce pays. Malheureusement, cette solution très simple paraît vouée à l’échec en raison de l’opposition irréductible du parti républicain, majoritaire à la Chambre des représentants, à toute hausse d’impôt. Surtout si elle concerne ses amis les plus riches…

 

*Le prix de l’inégalité, Joseph Stiglitz, Les liens qui dérangent, septembre 2012

Fed: exit Larry Summers

Le passé a fini par rattraper Larry Summers. Comme on l’apprenait ce lundi matin, le grand favori à la succession de Ben Bernanke à la tête de la Réserve fédérale (Fed) au 31 janvier prochain s’est désisté, laissant la route grande ouverte à l’actuelle vice-présidente de la Fed, Janet Yellen. L’ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton a ainsi adressé une lettre au président Obama, dont il a été le principal conseiller économique durant les deux premières années de son premier mandat pour justifier sa décision : « C’est à mon grand regret que j’ai compris que mon éventuel processus de confirmation serait acrimonieux et ne servirait ni l’intérêt de la Réserve fédérale, ni celui du gouvernement ni même ceux de la reprise économique de nation ». Retrait qui a été accepté par le président.

La pression qui s’exerçait sur Larry Summers pour s’opposer à son ambition avait atteint un point culminant ces derniers jours. En effet, une lettre ouverte de soutien à la nomination de Janet Yellen par 200 économistes venait d’être publiée, principalement des proches du parti démocrates, et notamment Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie. Si la lettre mettait en avant les qualités de la vice-présidente, il s’agissait surtout d’empêcher Larry Summers d’accéder à ce poste, en raison de son passé sulfureux. Non seulement son comportement a été considéré comme souvent brutal, mais surtout parce qu’il a été l’un des chantres de la dérégulation et qu’il a par ailleurs entretenu des liens jugés un peu trop étroits avec Wall Street, comme on le constate dans le fabuleux documentaire de Charles Ferguson, Inside Job (1), sur les origines et les responsabilités de chacun dans la crise qui a éclaté en 2008.

Le rôle de Larry Summers apparaît sous un jour particulièrement sombre si l’on en croit le témoignage de Brooksley Born, alors présidente de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) – qui est l’agence fédérale indépendante régulant l’achat et la vente de titres et d’options. Alors que l’administration Clinton se préparait à faire passer une de ses dernières lois, en l’occurrence la loi sur la déréglementation des produits dérivés négociés hors cote, Brooksley Born s’inquiéta des risques significatifs entraînés par la forte extension du marché des produits dérivés. Elle enclencha donc une procédure d’enquête publique, qui souleva une forte opposition des responsables de l’époque, dont celle de Larry Summers, alors secrétaire au Trésor. Il lui aurait alors téléphoné pour lui dire que treize banquiers en colère étaient dans son bureau pour réclamer sa démission! Finalement la dérégulation suivit son cours sur ces produits dangereux, ouvrant grande la porte à la gigantesque crise qui allait éclater en 2008.

La question qu’on peut se poser est de savoir comment une personnalité aussi controversée que Larry Summers a pu non seulement se retrouver le favori d’Obama à la course à la présidence de la Fed, mais aussi comment il a pu être son conseiller économique durant les deux premières années de sa présidence. La réponse, on la trouve de manière détaillée dans le dernier livre du même Charles Ferguson, prolongeant sur papier l’enquête commencée avec Inside Job. Il y brosse un portrait au vitriol de la caste financière américaine, sous le titre L’Amérique des prédateurs (2). Il en ressort que le cas Summers n’est de loin pas le seul. En fait, pour résumer le point de vue de l’auteur, on peut reprendre l’intertitre qu’il consacre à ce thème: « Le gouvernement made in Wall Street de M. Obama ». Suit une longue liste de postes attribués à des responsables issus des entreprises qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à l’ampleur de la crise, comme Goldman Sachs. En revanche, « Obama n’en a pas confié un seul aux détracteurs du système ou aux partisans d’une réforme », dont Nouriel Roubini, Paul Krugman, Joseph Stiglitz, Jeffrey Sachs, Brooksley Born ou le sénateur Carl Levin.

Tout cela paraît totalement incompréhensible. Mais, comme le montre brillamment Charles Ferguson, l’emprise du secteur financier sur le monde politique est tellement puissante qu’il est extrêmement difficile de faire changer les règles du jeu. L’auteur espérait qu’Obama profiterait de l’occasion historique de l’éclatement de la crise pour faire le ménage. Mais il n’a quasiment rien fait. Il faut reconnaître que la tâche est d’autant plus ardue que les milieux académiques américains eux-mêmes n’échappent pas au travail de sape des lobbies financiers. Dans Inside Job, Charles Ferguson interroge des professeurs d’économie d’université très influents sur leurs multiples mandats, qui leur assurent de très grasses rémunérations, et comment ils en gèrent les conflits d’intérêt potentiels. Les réponses embarrassées, indignées ou parfois (faussement?) naïves, constituent un véritable morceau d’anthologie. Ce serait presque drôle si ce n’était aussi grave.

(1) Inside Job (DVD), Sony Pictures, 2011

 

(2) L’Amérique des prédateurs, par Charles Ferguson, JC Lattes, 2013

Pourquoi l’automobile n’a pu sauver Detroit de la faillite

La nouvelle de la faillite de Detroit, symbole de l’industrie automobile américaine et de ses trois grands constructeurs, General Motors, Ford et Chrysler a de quoi surprendre. En effet, ces géants ont opéré un redressement spectaculaire après avoir eux-mêmes frôlé la faillite en 2009, en bénéficiant du soutien massif de l’État fédéral. On pouvait imaginer que le retour aux bénéfices de ces gros employeurs et contribuables aurait de quoi assurer de nouvelles recettes fiscales pour aider la ville a assainir ses finances. En fait, comme l’expliquait récemment Finanz und Wirtschaft dans son édition de mercredi dernier, ce paradoxe est facile à expliquer. Tout d’abord, la construction automobile a beaucoup reculé dans la région de Détroit, tandis que les recettes fiscales des trois grands constructeurs américains ont été faibles au cours ce dernières années. Sans doute est-ce dû aux coûts de la restructuration et aux pertes cumulées des années précédentes.

Detroit n’est de fait plus la capitale de l’industrie automobile américaine, même si les trois géants nationaux occupent encore 45 % du marché intérieur, contre 80 % à la fin des années 70.  Les principaux bénéficiaires de ce recul sont les trois constructeur japonais Toyota, Honda et Nissan, ainsi que le Coréen Hyundai/Kia. Or ces entreprises, à l’instar de VW, ne créent pas d’usines dans la région de Detroit, mais plutôt dans les États du Sud, comme l’Alabama, le Kentucky, le Mississipi, la Caroline du Sud ou le Tennessee. Elles seraient en effet très bien accueillies, tandis que le taux de syndicalisation serait modeste. Si Detroit va mal, le marché automobile américain se porte en revanche si bien qu’il pourrait bientôt renouer avec le niveau des ventes d’avant la crise.

Pourquoi l’automobile n’a pu sauver Detroit de la faillite

La nouvelle de la faillite de Detroit, symbole de l’industrie automobile américaine et de ses trois grands constructeurs, General Motors, Ford et Chrysler a de quoi surprendre. En effet, ces géants ont opéré un redressement spectaculaire après avoir eux-mêmes frôlé la faillite en 2009, en bénéficiant du soutien massif de l’État fédéral. On pouvait imaginer que le retour aux bénéfices de ces gros employeurs et contribuables aurait de quoi assurer de nouvelles recettes fiscales pour aider la ville a assainir ses finances. En fait, comme l’expliquait récemment Finanz und Wirtschaft dans son édition de mercredi dernier, ce paradoxe est facile à expliquer. Tout d’abord, la construction automobile a beaucoup reculé dans la région de Détroit, tandis que les recettes fiscales des trois grands constructeurs américains ont été faibles au cours ce dernières années. Sans doute est-ce dû aux coûts de la restructuration et aux pertes cumulées des années précédentes.

Detroit n’est de fait plus la capitale de l’industrie automobile américaine, même si les trois géants nationaux occupent encore 45 % du marché intérieur, contre 80 % à la fin des années 70.  Les principaux bénéficiaires de ce recul sont les trois constructeur japonais Toyota, Honda et Nissan, ainsi que le Coréen Hyundai/Kia. Or ces entreprises, à l’instar de VW, ne créent pas d’usines dans la région de Detroit, mais plutôt dans les États du Sud, comme l’Alabama, le Kentucky, le Mississipi, la Caroline du Sud ou le Tennessee. Elles seraient en effet très bien accueillies, tandis que le taux de syndicalisation serait modeste. Si Detroit va mal, le marché automobile américain se porte en revanche si bien qu’il pourrait bientôt renouer avec le niveau des ventes d’avant la crise.

Pourquoi l’automobile n’a pu sauver Detroit de la faillite

La nouvelle de la faillite de Detroit, symbole de l’industrie automobile américaine et de ses trois grands constructeurs, General Motors, Ford et Chrysler a de quoi surprendre. En effet, ces géants ont opéré un redressement spectaculaire après avoir eux-mêmes frôlé la faillite en 2009, en bénéficiant du soutien massif de l’État fédéral. On pouvait imaginer que le retour aux bénéfices de ces gros employeurs et contribuables aurait de quoi assurer de nouvelles recettes fiscales pour aider la ville a assainir ses finances. En fait, comme l’expliquait récemment Finanz und Wirtschaft dans son édition de mercredi dernier, ce paradoxe est facile à expliquer. Tout d’abord, la construction automobile a beaucoup reculé dans la région de Détroit, tandis que les recettes fiscales des trois grands constructeurs américains ont été faibles au cours ce dernières années. Sans doute est-ce dû aux coûts de la restructuration et aux pertes cumulées des années précédentes.

Detroit n’est de fait plus la capitale de l’industrie automobile américaine, même si les trois géants nationaux occupent encore 45 % du marché intérieur, contre 80 % à la fin des années 70.  Les principaux bénéficiaires de ce recul sont les trois constructeur japonais Toyota, Honda et Nissan, ainsi que le Coréen Hyundai/Kia. Or ces entreprises, à l’instar de VW, ne créent pas d’usines dans la région de Detroit, mais plutôt dans les États du Sud, comme l’Alabama, le Kentucky, le Mississipi, la Caroline du Sud ou le Tennessee. Elles seraient en effet très bien accueillies, tandis que le taux de syndicalisation serait modeste. Si Detroit va mal, le marché automobile américain se porte en revanche si bien qu’il pourrait bientôt renouer avec le niveau des ventes d’avant la crise.

AVS et 2e pilier : il y a un pilote dans l’avion !

Avec le naufrage de nos autorités face aux coups de butoir américains sur notre système juridique, on pouvait quelque peu désespérer des actions du Conseil fédéral et de sa capacité à anticiper les crises. C’est donc avec un certain soulagement que j’ai pu découvrir les lignes directrices de la réforme Prévoyance vieillesse 2020, présentées en conférence de presse vendredi dernier. Lignes qui confirment les orientées annoncées le 21 novembre 2012 et qui prennent la problématique de la prévoyance dans sa globalité – 1er et 2e pilier – et non plus à coups de mesures isolées, difficilement compréhensibles. Ce projet a le grand mérite de s’attaquer au tabou de la baisse du taux de conversion – trop élevé en regard de l’augmentation de l’espérance de vie et la dégradation du marché des placements –, mais en proposant des mesures pour que les prestations puissent être maintenues.

En deux mots, la réforme comprend les points principaux suivants : élévation de l’âge de la retraite pour les femmes, de 64 à 65 ans, tant pour l’AVS que dans le 2e pilier ; flexibilisation du départ en retraite anticipée pour les personnes à bas ou moyens revenus ayant cotisé à l’AVS à l’âge de 18, 19 ou 20 ans, sans réduction de rentes ou avec une diminution atténuée ; rente partielle possible pour les personnes qui réduisent leur temps de travail à partir de 62 ans ; baisse progressive du taux de conversion – le taux sur le capital accumulé qui définit la rente de vieillesse –, pour tomber de 6,8 % actuellement, à 6,0 % ; départ en retraite anticipée dans le 2e pilier relevé de 58 à 62 ans. Quant à l’AVS, elle bénéficierait du relèvement additionnel de deux points maximum du taux de TVA pour le maintien du niveau des rentes.

Ce programme paraît plutôt issu des rangs de la droite, notamment les deux mesures qui font l’objet des polémiques les plus vives : l’élévation de l’âge de la retraite des femmes et la réduction du taux de conversion. Pourtant, le chef du département de l’intérieur, responsable de ce dossier, n’est autre qu’Alain Berset, l’un des deux Conseillers fédéraux socialistes. Aurait-il trahi ses idéaux politiques ? Pas complètement… En effet, si on lit attentivement le rapport qui a été publié, on constate que de nombreuses mesures ont été prises pour aider à compenser les effets négatifs des changements envisagés. Car l’objectif principal affiché par le Conseil fédéral est de maintenir les prestations.

Mais comment faire, par exemple, avec un taux de conversion qui diminuerait 6,8 % à 6 % ? Concrètement, cela signifie qu’un capital vieillesse de 500'000 francs donnerait une rente de 34'000 francs par an au taux actuel (= CHF 500'000 x 6,8 %), contre seulement 30'000 francs au taux de 6 % (= CHF 500'000 x 6 %). Si on se livre à une règle de trois, on constate qu’il faudrait accumuler non pas 500'000 francs, mais 566'666.70 francs (= CHF 34'000 / 6 %) pour maintenir le montant de ces rentes, soit 66'666.70 francs de plus. Où les trouver ? Il n’y a pas de miracle, il faut augmenter les cotisations ! Mais pas n’importe comment. Le Conseil fédéral propose différentes pistes : 1) la diminution de la déduction de coordination, c’est-à-dire l’élargissement du salaire assuré, qui sert de base au calcul des cotisations ; 2) le relèvement des bonifications de vieillesse ; 3) l’avancement du processus d’épargne dans la LPP avant l’âge de 25 ans (actuellement, les affiliés de 18 à 25 ans ne cotisent que pour s’assurer contre le risque décès et invalidité).

Dans ce très bref aperçu, on doit reconnaître qu’il s’agit là d’un projet très ambitieux, qui aura sans doute de la peine à franchir toutes les étapes du processus législatif sans y laisser trop de plumes. On espère cependant qu’il en restera suffisamment pour maintenir un édifice de protection sociale qui mérite qu’on lui consacre l’énergie et le temps nécessaire à sa pérennité.

 

Algorithmator

Alors que les marchés des actions ont repris de belles couleurs depuis trois ans, avec le Dow Jones qui dépasse allégrement les 15’000 points, un certain nombre d’observateurs s'inquiètent de ces performances qu’ils jugent artificielles. Ne seraient-elles pas essentiellement dues à la politique monétaire plus qu’accommodante de la Banque centrale américaine ? Va-t-on vers un nouveau krach dans un proche avenir ? Peut-être, mais pas forcément du fait de cours grossièrement surévalués. La source pourrait venir du trading à haute fréquence, comme en avertissent mes deux confrères Frédéric Lelièvre, chef de la rubrique Économie et finance du journal Le Temps, et François Pilet, responsable de la rubrique économique du Matin Dimanche dans leur ouvrage* paru en ce début d'année.

Dans cette enquête très fouillée, vivante et bien construite, nos deux journalistes parviennent à lever une partie du voile sur ces pratiques mystérieuses, mais qui ont des effets bien concrets. C’est à elles que l’on doit le krach éclair du 6 mai 2010 à la Bourse de New York, entraînant la baisse la plus forte de son histoire en quelques minutes, avant de reprendre très rapidement le terrain perdu. Les responsables, ce sont les logiciels de trading automatisés  – les algorithmes – qui écument la Bourse, au point d’en prendre véritablement le contrôle. Ils sont ainsi à l’origine de 60 % des transactions boursières aux Etats-Unis et de 40 % en Europe.

À la différence de leurs vaillants ancêtres qui avaient été considérés comme grandement responsables du krach de 1987 à la Bourse de New York, ces logiciels robots interviennent de manière infiniment plus rapide. Sur la Bourse NYSE Euronext, les clients peuvent ainsi passer leurs ordres « en 37 microsecondes, ou 0,037 milliseconde, soit 6’576 fois plus vite que le clin d’œil », précisent nos auteurs. Mais à quoi sert donc cette course folle ? « La vitesse joue un rôle déterminant pour saisir les ordres avant qu’ils ne soient annulés, comme c’est le cas plus de neuf fois sur dix. Un investisseur trop lent ne parviendra pas à vendre ou acheter le titre au prix auquel il est affiché sur son écran par un HF-trader. Le temps qu’il analyse ce prix et décide d’une action, le cours aura été retiré de ce qu’on appelle le carnet d’ordres. Son ordre a une grande probabilité d’être exécuté à un autre prix, moins favorable. »

Sans entrer dans la technique, mais pour aider à comprendre la problématique, nos deux enquêteurs citent la métaphore d’un de leurs interlocuteurs, que je reproduis à mon tour : « Imaginez-vous, un samedi soir vous décidez d’aller voir le dernier film dont tout le monde parle. Prévoyant, vous partez bien en avance. Vous arrivez au cinéma et prenez place dans la file devant la caisse. Quand arrive votre tour, voilà qu’un inconnu surgit devant vous et prend votre place. Ainsi de suite, avec un deuxième, puis un troisième, jusqu’à ce que la salle soit pleine. À ce moment, l’inconnu se tourne vers vous et vous propose de vous revendre son billet. Plus cher. » Sur les Bourses, mondiales, l’inconnu, on l’aura compris, c’est le trader à haute fréquence.

Face au risque systémique provoqué par les interventions massives et à la vitesse de l’éclair de ces algorithmes, sans parler des tentatives de manipulation du marché, que fait la police ! La police des marchés financiers s’entend. Du côté des Etats-Unis, ce n’est pas très encourageant puisque pratiquement rien n’a été fait jusqu’ici. En Europe, la MIFID, c’est-à-dire la directive sur les marchés d’instruments financiers, est en cours de révision et contient différentes mesures de contrôle du trading à haute fréquence. Mais, selon nos deux auteurs, les lobbies veillent au grain et rien n’est encore joué. Affaire à suivre.

Sur le même sujet, mais de manière beaucoup moins technique mais tout de même très intéressante, l’émission d’Élise Lucet, Cash investigation, donne une clé d’entrée dans cet univers complexe. On y retrouve d’ailleurs quelques-uns des protagonistes mentionnés dans le livre, face à une journaliste pugnace.

*Krach machine – Comment les traders à haute fréquence menacent de faire sauter la Bourse, par Frédéric Lelièvre & François Pilet, Calmann-Lévy, Paris, 2013

 

 

2e pilier et barrière de rösti

Dans l’univers très complexe de la prévoyance professionnelle, l’ouvrage* de Meinrad Pittet et de Claude Chuard comblera sans nul doute toutes les personnes qui y sont confrontées professionnellement – désolé pour la répétition, mais je vois mal quel autre terme utiliser –, en raison d’un contenu très accessible si l’on est quelque peu familier des arcanes du 2e pilier. Car, malgré son titre, ce pavé de 500 pages n’est pas un livre d’histoire suivant une démarche selon toutes les règles de l’art, comme le dit l'éditeur, mais sur la base des connaissances acquises au fil de leur carrière respective d’actuaire. En outre, précise-t-il, « les auteurs critiquent certaines orientations qui ont été prises dans le passé, voire présentent les solutions qui auraient dû, selon eux, être retenues ».

Si ce livre est manifestement destiné à devenir un ouvrage de référence, les prises de positions de son auteur principal, Meinrad Pittet – Suisse romand –, permettent de faire ressortir clairement la véritable barrière de rösti qui sépare les deux grandes régions linguistiques de notre pays dans ce domaine. On savait par exemple que le taux de couverture des caisses de pensions publiques a une très nette tendance à augmenter lorsqu’on les passe en revue d’Est en Ouest. Par exemple, en Appenzell, ce taux dépasse les 100 %, alors qu’à Genève, la fourchette se situe entre 50 et 60 %, justifiant des mesures de recapitalisation. La plus récente illustration en a été la fusion de la CIA et de la CEH à Genève, pour donner naissance à la caisse de prévoyance de l’État de Genève. Selon la législation fédérale, cette nouvelle institution de prévoyance devra augmenter son taux de couverture jusqu’à 80 % au cours de ces 40 prochaines années.

En tant que spécialiste des caisses de pensions publiques, Meinrad Pittet, assène un jugement peu nuancé sur la qualité des avis exprimés sur ces questions : « En discutant de la problématique du financement des IPDP (institutions de prévoyance de droit public), il est frappant de constater les préjugés ou les opinions toutes faites qui ont cours et qui perturbent les esprits et la réflexion. En dehors de la capitalisation intégrale, pas de salut possible disent les uns (1er préjugé) ; les IPDP qui n’appliquent pas le système de la capitalisation ne sont pas financées soutiennent avec aplomb les autres (2e préjugé) ; une institution de prévoyance présente une situation financière satisfaisante dès lors que son degré de couverture est de 100 % au moins pense le législateur (3e préjugé). Ces certitudes « psychorigides » ont contribué certainement à fragiliser la portée finale des nouvelles dispositions légales ». S’ensuit une longue démonstration de la faiblesse d’un système par capitalisation pure quant les marchés financiers n’offrent plus une rentabilité suffisante et l’avantage d’un système financier mixte, c’est-à-dire par exemple « une IPDP qui est financée à raison de 75 % en capitalisation et à 25 % en répartition des dépenses ».

Ces certitudes « psychorigides » semblent partagées par Ernst Welti, le directeur de la Caisse de pensions de la Ville de Zurich (PKZH) – dans une interview accordée au Temps du 29 avril dernier –, reflétant un véritable fossé culturel. Cette caisse, qui bénéficie aujourd’hui d’un taux de couverture de 113 %, vient de loin puisqu’en 1940 elle n’était couverte qu’à hauteur de 55 %. C’est d’ailleurs à partir de ces années-là que l’écart avec les caisses romandes a commencé à se creuser explique le directeur de la PKZH : « À cette époque déjà, les caisses publiques romandes et de Berne ainsi que la caisse de pensions de la Confédération (Publica) estimaient que les caisses publiques n’avaient pas besoin d’un taux de couverture de 100 %, mais de 80 % ou même de 66 %. Cette philosophie a perduré. Otto Stich, alors ministre des Finances, était aussi de cet avis à l’égard de la Caisse de pensions de la Confédération. Il s’appuyait sur la pérennité de l’employeur pour argumenter contre un financement à 100 %. La ville de Zurich a toujours défendu la thèse opposée (…).» Mais, justement, demande encore notre confrère, l’employeur n’est-il pas pérenne ? : « Il l’est, mais avec un taux de couverture de 100 %, la distribution entre les générations est équilibrée et il n’est nul besoin d’en appeler au contribuable ou à la dette. »

 

*La prévoyance professionnelle suisse depuis ses origines, par Meinrad Pittet et Claude Chuard, Éditions Slatkine, 2013, Genève

 

 

 

Chypre, «pieds et poings liés»

Décidément, les leçons de l’Histoire semblent difficiles à assimiler, même au plus haut niveau de responsabilité, comme vient de le montrer le résultat de la négociation entre le gouvernement chypriote, l’Union européenne et le FMI de taxer les comptes auprès des banques de l’Île, en échange d’un plan de sauvetage. Comme le rappelaient de nombreux observateurs, une telle démarche est de nature à déstabiliser tout le système bancaire au Sud de l’Europe, en provocant d’éventuelles paniques au sein des populations pour retirer leur épargne avant qu’une partie n’en soit éventuellement confisquée.

Après le refus du parlement chypriote, un plan B serait actuellement en discussion, d'après une information donnée par la RTS (radio) ce matin pour exonérer les montants inférieurs à 100'000 euros. Mais il paraît difficile à l’Île – enfin sa partie ouest – de s’en sortir toute seule, à moins que la Russie ne vienne à son secours. Certains se demandent si elle ne pourrait pas suivre le chemin d’une autre petite île, l’Islande, qui avait laissé son système bancaire partir en faillite, en refusant d’honorer ses dettes à l’égard des créanciers étrangers. Oui, mais… il y a une grosse différence sur le plan monétaire entre les deux pays, comme le rappelait avec justesse l’économiste Charles Wyplosz hier matin sur les ondes de la RTS (radio) : l’Islande a sa propre monnaie et a donc pu dévaluer massivement sa devise en toute liberté, alors que Chypre est « pieds et poings liés » avec l’Union monétaire européenne.

Mais pourquoi laisser filer sa devise constitue-t-il un tel avantage ? Parce que cela permet d’abaisser sa valeur pour tous ses possesseurs en même temps et dans la même proportion. Ainsi, si votre monnaie est par exemple dépréciée d'un quart sur le marché des changes, tous les dépôts libellés dans cette devise, toutes les dettes, tous les salaires se réduiront dans la même mesure vis-à-vis des autres monnaies . Pour bien comprendre cet atout de la flexibilité des taux change, reprenons cette image proposée par Milton Friedman en 1953 et cité par Paul Krugman dans son dernier essai, Sortez-nous de cette crise… maintenant !* :

« Aussi étrange que cela paraisse les arguments en faveur de taux de change flottants sont quasiment identiques à ceux qui préconisent le changement d’heure en été. N’est-il pas absurde d’avancer sa montre en été quand on pourrait arriver exactement au même résultat en demandant à chaque individu de modifier ses habitudes ? Il suffirait que tout le monde accepte d’arriver au bureau une heure plus tôt, de prendre son déjeuner une heure plus tôt, etc. Il est évidemment beaucoup plus simple d’intervenir sur l’horloge qui tient lieu de référence collective que de demander individuellement à chacun de modifier son comportement par rapport à l’horloge, même en supposant que tout le monde y soit disposé. C’est exactement la même chose pour le marché des changes. Il est bien plus simple de permettre le changement d’un seul cours, celui du change avec l’extérieur, que de compter sur la modification de la multitude de cours qui, ensemble, constituent la structure intérieure des prix ». Lumineux, non ?

* Sortez-nous de cette crise… maintenant !, Paul Krugman, Flammarion, 2012

 

 

 

Initiative Minder: éloge de la simplicité

C'est avec surprise que j'ai découvert ce soir un communiqué de presse d'Ethos, qui m'a donné l'impression dans un premier temps de se féliciter du succès de l'initiative Minder. J'étais d'autant plus étonné que j'avais souvenir d'un Dominique Biedermann très combatif sur le plateau d'Infrarouge il y a quelques semaines, se confrontant parfois avec rugosité avec Thomas Minder lui-même, et appelant à rejeter son initiative. Le retournement de veste me paraissait un peu rapide…

C'est en lisant plus avant le communiqué de presse que j'ai commencé à comprendre : en fait, Ethos «se félicite du fait que les actionnaires des sociétés suisses cotées disposeront de droits en matière de rémunérations des instances dirigeantes. L'initiative Minder comme le contre-projet poursuivait le même but. Ethos s'engage dorénavant pour l'introduction des dispositions centrales du contre-projet dans la loi d'application.» Suit une liste de 6 points, par exemple l'introduction d'un vote contraignant par l'assemblée générale d'un règlement de rémunération exhaustif.

Cette réaction reflète à mon sens assez bien la confusion du débat, et peut-être par ricochet le succès de l'initiative. Tout d'abord, le conseil fédéral présentait un contre-projet indirect, concoté par le parlement – sans recommandation de vote de la part de ce dernier – sous la forme d'une loi d'application. Or, ce sont des objets de nature différente : l'initiative est un texte général, qui doit ensuite être assorti d'une loi d'application. Ce contre-projet avait aussi ceci de particulier qu'il était automatiquement accepté si le peuple rejetait l'initiative.

Par son caractère plus général, l'initiative bénéficiait sans doute d'un avantage non négligeable: celui de la simplicité, alors que les tenants du contre-projet multipliaient les explications techniques pour montrer sa supériorité, qui prévoyait tous les cas de figure. Dans un domaine aussi complexe que le droit des société anonyme, les adversaires de l'initiative partaient donc avec un très lourd handicap en matière de communication. D'autant plus que l'objectif à atteindre est quant à lui très simple : réduire les salaires abusifs des grands patrons. Quand les solutions sont trop techniques, devenant finalement inaudibles, ce sont les facteurs émotionnels qui vont prendre le dessus. Et qui donc symbolisait mieux que quiconque ce combat de longue haleine pour faire triompher cette cause, sinon le Robin des bois de Schaffhouse?