Faut-il être paranoïaque pour démasquer les escrocs?

Dans les grandes escroqueries, on est souvent étonné de la naïveté dont font preuve les victimes, surtout lorsqu’elles sont elles-mêmes des spécialistes du terrain de jeu sur lequel s’activent les malfrats. C’est ce qu’on découvre dans l’excellent ouvrage* de Christian Chavagneux consacré aux plus belles histoires de l’escroquerie. Outre sa fonction d’éditorialiste au mensuel Alternatives Economiques, l’auteur est chroniqueur à France Inter et sur BFM Business, où l’on peut assister à ses joutes oratoires dans La librairie de l’éco avec son alter ego libéral, l’économiste Jean-Marc Daniel, sur les nouveautés en matière de publications économiques. Il est également l’auteur de différents ouvrages, dont Une brève histoire des crises financières : des tulipes aux subprimes et Les paradis fiscaux.

Vaste panorama

Christian Chavagneux fait preuve d’ambition puisqu’il remonte à l’Antiquité, pour revenir progressivement aux affaires plus récentes, en passant notamment par l’affaire du collier de la reine (Marie-Antoinette), Thérèse Humbert et son fabuleux héritage, Ivar Kreuger, qui a siphonné l’épargne mondiale, Charles Ponzi et sa pyramide éponyme , Michele Sindona, banquier de la mafia et du Vatican, pour terminer sur l’affaire Madoff, dont le protagoniste, Bernie Madoff, vient de décéder en prison.

Clarté et humour

L’une des grandes qualités de cet ouvrage, c’est la clarté des mécanismes utilisés et la fluidité du récit, saupoudré d’une bonne dose d’humour et parsemé de portraits hauts en couleur tant des escrocs que de leurs victimes. Mais comment tombe-t-on dans les filets des arnaqueurs ? : Réponse de l’auteur : « Nous disposons toutes et tous de caractéristiques psychologiques qui nous rendent vulnérables aux techniques de l’arnaque : le goût pour les histoires, des illusions cognitives et, pour les plus aisés, qui sont les premières victimes, une morale élastique. Cependant, tout le monde ne se fait pas plumer. Il faut avoir de la malchance de croiser sur sa route des pervers narcissiques dont la pathologie s’exprime par la fraude ».

L’affaire Madoff

Pour aller un peu plus loin sur cette problématique, qui est d’autant plus intéressante qu’on a plus de chances – statistiquement parlant – d’être un pigeon qu’un escroc, on peut lire avec intérêt le dernier livre** du journaliste et essayiste Malcolm Gladwell, consacré à la capacité de chacun à savoir décrypter rapidement un inconnu. L’auteur revient notamment sur l’affaire Madoff et en particulier sur le lanceur d’alerte Harry Markopolos. Comme on s’en souvient peut-être, c’est l’analyste financier qui avait dévoilé le pot aux roses et dénoncé la pyramide de Ponzi à la SEC dès 2000, soit bien avant que l’arnaque ne soit découverte en fin 2008.

La fraude mise à jour très tardivement

Lorsqu’on lit les déclarations de Markopolos sur la manière dont il avait compris de quoi il retournait, on comprend mal qu’il ait fallu attendre la crise des subprimes et ses funestes conséquences sur les marchés financiers pour que les agissements criminels de Madoff finissent par être découverts. De toute façon, il ne pouvait plus échapper à son destin étant donné les demandes de retraits massifs de la part de ses pigeons consécutives à l’effondrement de Wall Street. La mise au jour si tardive de l’escroquerie paraît d’autant plus surprenante que les messages d’alerte s’étaient multipliés au fil des années, non seulement en raison de la régularité des performances qu’affichait Madoff, mais également par l’absence de transactions sur les marchés leur correspondant. Rappelons qu’il ne s’agissait pas d’une obscure boutique, mais d’une société d’une taille respectable et soi-disant très active dans les échanges boursiers.

Confiance implicite

Pour expliquer, au moins partiellement l’aveuglement dont ont fait preuve les personnes suffisamment informées en position d’agir, Malcom Gladwell met en avant les travaux de Tim Levine, chercheur américain en science de la communication: « (…) Nous ne comportons pas en scientifiques sensés, recueillant avec patience les éléments prouvant le caractère véridique ou mensonger d’une chose avant de parvenir à une conclusion : nous faisons l’inverse. Nous débutons par croire. Et nous arrêtons de croire seulement lorsque nos doutes ou nos craintes atteignent un seuil où nous ne pouvons plus trouver d’explications convaincantes. (…) Du fait de notre confiance implicite, les espions passent inaperçus, les criminels battent le pavé en toute liberté, et des vies sont gâchées. »

Le caractère suspicieux du lanceur d’alerte

Paradoxalement, c’est le comportement de Markopolos qui s’écarte de la norme, avec une méfiance exacerbée qui ressort dans les ouvrages des deux auteurs. Ainsi, toujours selon Tim Levine :  « Si tout le monde à Wall Street se comportait comme Harry Markopolos, il n’y aurait pas de fraude à la place boursière – mais l’air y serait si chargé de soupçons et de paranoïa qu’il n’y aurait pas non plus de Wall Street. »

Un comportement asocial

Il est vrai que le portrait du lanceur d’alerte brossé par Christian Chavagneux n’est guère flatteur sur ses qualités relationnelles, qui vont le discréditer : « Son ego surdimensionné, son caractère obsessionnel et sa paranoïa vont empêcher pendant longtemps la SEC de le prendre au sérieux. » Même son de cloche du côté de Malcom Gladwell, qui décrit par le menu les démarches particulièrement inefficaces de l’analyste pour dénoncer les agissements de l’escroc, preuves à l’appui, pour informer les différentes autorités de régulation de ses soupçons.

Paranoïa

Pour compléter le tableau, les deux auteurs décrivent l’angoisse du personnage qui craint pour sa vie après ses premières tentatives pour dénoncer l’arnaque : il dort en avec un pistolet chargé sous son oreiller, prend de multiples précautions pour protéger son domicile, change de trajet pour rentrer du bureau, ne monte dans sa voiture qu’après avoir vérifié qu’aucune bombe n’y a été placé ! La chute de Madoff ne met finalement pas fin à ses frayeurs. Il craint alors d’avoir la SEC à ses trousses, puisqu’il a mis en évidence des années d’incompétences, voire de complicité criminelle. Au point, de se terrer à domicile…

 

*Les plus belles histoires de l’escroquerie, par Christian Chavagneux, Paris, Seuil, 2020

**Quiproquo, par Malcolm Gladwell, Paris, Editions Kero, 2020

 

 

 

 

 

 

Pierre Novello

Pierre Novello est journaliste économique indépendant et auteur d’ouvrages de vulgarisation dans le domaine de la prévoyance, de l’investissement sur les marchés financiers ou encore pour l’accession à la propriété de son logement. Avant d’embrasser la carrière journalistique en entrant au Journal de Genève et Gazette de Lausanne, il a été formé comme analyste financier pour la gestion de fortune.

Une réponse à “Faut-il être paranoïaque pour démasquer les escrocs?

  1. J’ai appris récemment qu’une grande société financière genevoise que je connais avait mis 700 millions de l’argent de ses clients dans le fond de Madoff. C’est incroyable! Le fondateur de cette grande société financière était un banquier que je connaissais et que je jugeais intelligent. Je me demande comment ça se fait qu’il n’ait rien soupçonné. Probablement, il avait pour habitude de proposer à ses clients des fonds de placement à la mode, ayant un certain prestige dans la haute société. C’était le cas de Madoff. Ca fait plaisir à tout le monde, surtout aux clients, qui le plus souvent sont snobs. Alors on va dans un bon restaurant ensemble et on ne pose pas de questions. Le même banquier était aussi connu pour avoir été un des premiers à faire confiance à Soros.

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