Le bureau: manque ou lieu obsolète?

Cette semaine, l’entreprise américaine d’équipement sportif et d’activités en plein air REI annonçait qu’elle mettait en vente son campus – qui allait faire office de nouveaux quartiers généraux – alors même que les employés s’apprêtaient à s’y installer. La raison en est simple: la pandémie de Covid-19 a chamboulé les habitudes des employeurs et employés en un temps record. Les dirigeants de REI ont donc rapidement changé de cap pour s’adapter à la nouvelle donne.

Il est évident que la crise sanitaire actuelle et son cortège de mesures pour garantir la sécurité de tout un chacun accélère le passage au travail à distance et qu’elle a un impact majeur sur l’immobilier commercial. A bon entendeur, notamment de WeWork qui vient d’annoncer un investissement supplémentaire de plus d’un milliard de dollars de la part fonds SoftBank pour faire face à l’impact du Covid-19.

Il est à noter qu’au début de l’été déjà, plusieurs entreprises internationales comme Facebook, Twitter, le groupe PSA, etc. avaient déclaré que des solutions de télétravail avaient ou allaient être mises en place et ce pour une longue durée. Une forme d’agilité digitale qui permettra sans nul doute de créer des opportunités à défaut de n’y voir que des problèmes par rapport à “l’ancien modèle.”

“Office centricity is over” – Tobi Lutke, CEO de Shopify

Dans son édition du weekend dernier, la journaliste Cassie Weber partage ses pensées dans dans la newsletter Quartz. “Si les soudains confinements nationaux ont prouvé quelque chose au monde des affaires, c’est que le travail à large échelle et à distance est bien plus possible que bien des personnes ne l’aient jamais rêvé. Mais alors que les choses commencent à se tasser, beaucoup disent aussi que le bureau leur manque.

Elle cite notamment une récente étude qui a cherché à comprendre comment l’expérience des employés du monde entier en matière de culture d’entreprise avait changé depuis le début de la crise. Il est peut-être surprenant de constater que 37 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles pensaient que la culture sur leur lieu de travail s’était améliorée depuis le début de la pandémie, contre 15 % qui pensaient qu’elle s’était détériorée; près de la moitié ont déclaré se sentir plus liés à leur organisation, contre 18 % qui se sentent moins liés.

Si la culture d’entreprise est un ensemble de choses à travers desquelles les employés “vivent l’entreprise” et les employeurs veulent la présenter (intangibles comme l’ambiance, les valeurs, etc. ou tangibles comme les perks, les types de bureaux, les salaires, etc.), la crise que nous traversons actuellement est une épreuve du feu pour les redéfinir.

Se passera-t-on bientôt de métro pour ne garder que boulot et dodo?

Covid 19: vers plus d’institutions et d’agences gouvernementales?

Puisque l’Histoire nous permet de mieux saisir le présent et, par anticipation, mieux prévoir le futur, Bruce Katz dans ForeignPolicy nous rappelle que “les crises provoquent la création de nouvelles agences et institutions gouvernementales. En prenant les Etats-Unis pour exemple, le pays a créé

  • le Département de la Sécurité Intérieure (Department of Homeland Security) après les attaques du 11 septembre, et
  • le Bureau de la Protection des Finances des Consommateurs (Consumer Financial Protection Bureau) suite à la crise des subprimes de 2008-2009.

[Dans les centres urbains] la pandémie du coronavirus encouragera sûrement les changements institutionnels où de nouvelles compétences émergeront afin de répondre au dévaste économique”. Peut-on dès lors parler d’innovation institutionnelle voire gouvernementale?

Dans un autre registre, l’innovation étatique avait su mettre en place un plan d’action pour combattre d’éventuelles pandémies. En effet, le Plan suisse de pandémie Influenza datant de 2018 refait timidement surface et sa lecture est vivement recommandée (l’exergue liminaire “If you fail to plan, you are planning to fail” attribuée à Benjamin Franklin fait rire jaune au vu de la situation). Sa mise en application demeure toutefois une énigme et on se demande quel grain de sable a enrayé la machine, en termes de préparation, alors qu’on annonce fièrement que “cela fait une semaine […] que la Confédération ravitaille le commerce de détail en masques à raison d’un million de pièces par jour.” Verra-t-on un renforcement majeur de l’Office Fédéral de la Santé Publique qui est sur le devant de la scène? Assurément si l’on prend le pouls de la population qui replace derechef la santé au centre des préoccupations. Quant aux Etats-Unis, y verra-t-on le retour d’une task force dédiée à la gestion des risques de pandémies alors qu’elle a été quasiment dissoute par l’administration Trump en 2018? Il s’agit d’une nécessité que nul ne contestera.

En ce début du mois de mai, tandis que nos voisins déconfinent prudemment et que le “retour” de notre système politique est prôné haut et fort par notre Présidente, on assiste toutefois, comme le soulignait Annabelle Timsit dans Quartz, à une reprise de l’activité étatique: “[…] alors que nous sommes collectivement confinés chez nous, l’un des plus grands réarrangements de pouvoir de l’histoire moderne se déroule sous nos yeux – et l’on craint vraiment que nous soyons trop débordés pour y faire quoi que ce soit.

Au cours des dernières semaines, les dirigeants du monde entier ont étendu leurs pouvoirs de manière sans précédent au nom de la lutte contre le nouveau coronavirus.

  • En Thaïlande, le gouvernement peut désormais censurer les médias.
  • En Corée du Sud, les autorités utilisent les enregistrements des téléphones portables, des cartes de crédit et des GPS pour suivre les patients atteints de Covid-19 en temps réel.
  • Aux États-Unis, le ministère de la justice a demandé aux législateurs le pouvoir de demander que les accusés soient détenus indéfiniment sans procès en cas d’urgence.

Dans un récent épisode du podcast Talking Politics, deux experts en théorie politique ont discuté du moment où les pouvoirs d’urgence deviennent tyranniques. Selon eux, l’état d’urgence est justifié si la menace est publique, universelle et existentielle, et si les pouvoirs extraordinaires sont autorisés par le peuple, limités dans le temps et proportionnels. Le Covid-19, que l’on a appelé “le grand égalisateur”, correspond certainement à la première moitié de cette description, mais qu’en est-il de la seconde ?

Il y a très peu de choses dans l’Histoire pour nous convaincre que les États sont désireux de rendre des pouvoirs une fois qu’ils ont été attribués. […] Il convient de noter que peu de déclarations d’urgence adoptées dans le monde pour faire face à la crise du Covid-19 sont assorties d’une clause de temporisation.

Quant aux autres points, qui détermine quelle perte de nos droits personnels est proportionnelle à la menace ? Et qui parle au nom du peuple ?”

Pour reprendre la récente déclaration de la Conseillère Fédérale Sommaruga: “Que la démocratie reprenne ses droits!”, il est impératif que celle-ci ne tombe pas dans l’oubli lorsque l’on assistera à une vague d’ “innovation” d’Etat.

Covid-19: les géants du numérique se renforcent

Tandis que toute l’économie subit l’impact paralysant du coronavirus, les affaires des plus grandes entreprises technologiques se maintiennent, voire prospèrent. Les gens étant invités, voire forcés, à travailler à domicile et à rester à l’écart des autres, la pandémie a renforcé la dépendance aux services des plus grandes entreprises du secteur technologique (les GAFAM par exemple) tout en accélérant les tendances qui leur profitaient déjà.

Pour les entreprises qui gèrent leurs infrastructures sur l’Internet, l’adaptation des besoins informatiques est coûteuse et compliquée. Le cloud computing facilite cette tâche et offre une alternative rapide et scalable. Les entreprises se débarrassaient déjà de leurs propres centres de données pour louer des ordinateurs chez Amazon (Web Services AWS), Microsoft (Azure) et Google (Cloud). Cette évolution devrait s’accélérer car des millions d’employés sont obligés de travailler à domicile, des étudiants de suivre leurs cours depuis chez eux, etc., ce qui met à rude épreuve les infrastructures technologiques des différentes organisations.

  • Utilisation croissante des outils de collaboration et de télétravail

Microsoft a fait une promotion agressive de son nouvel outil de messagerie et de collaboration, Microsoft Teams, qui est en concurrence avec la société indépendante Slack qui avait vraiment démocratisé la messagerie instantanée au travail. Récemment, Microsoft a déclaré que le nombre d’utilisateurs de Teams avait augmenté de 37 % en une semaine, pour atteindre plus de 44 millions d’utilisateurs quotidiens. Chaque jour, il y a eu au moins 900 millions de réunions et de comptes rendus de conférences téléphoniques sur Teams.

  • Les applications de livraison de produits d’épicerie sont très demandées

Depuis plusieurs années déjà, Amazon s’est allié aux détaillants en magasin (brick and mortar) en rachetant par exemple la chaîne nord-américaine Whole Foods. Cependant, désormais réticents à se rendre en magasin, les acheteurs se tournent d’autant plus vers le géant du commerce en ligne pour une plus grande variété de produits, comme les produits d’épicerie et les médicaments en vente libre (rappelons qu’en 2018, Amazon était possédait 49% des parts du commerce de ventre en ligne aux USA). Pour faire face à la demande, le groupe cherche actuellement à recruter 100’000 personnes pour ses centres et ses réseaux de distribution. Après les livres, Amazon chamboule les habitudes d’achat pour les produits d’épicerie.

D’autres applications de livraison de produits d’épicerie, dont Instacart (cherche 300’000 personnes dans les trois prochains mois, soit plus du double de sa base actuelle), Walmart Grocery (cherche 150’000 personnes pour ses centres de distribution) et Shipt, ont commencé à enregistrer un nombre record de téléchargements quotidiens.

  • Augmentation du trafic vers les sites de streaming vidéo et les plateformes de médias sociaux

Les appels vocaux sur le service de messagerie WhatsApp (2 milliards d’utilisateurs au niveau mondial, appartenant au groupe Facebook) ont doublé en volume. L’application Messenger de Facebook (1.3 milliards d’utilisateurs au niveau mondial) a connu une croissance similaire. Les analystes sont optimistes quant aux perspectives de Facebook, car de nombreuses personnes s’y tournent pour obtenir des nouvelles en temps de crise et pour se distraire lorsqu’elles travaillent à la maison (Facebook News, tout comme LinkedIn Newsroom avec notamment un feed spécifique sur le coronavirus).

Les téléchargements de l’application Netflix (167 millions d’utilisateurs au niveau mondial) ont augmenté de 66 % en Italie, de 35% en Espagne et de 9% aux USA où Netflix a été fondé et était déjà largement populaire (Netflix et YouTube ont même réduit leur qualité pour ne pas bloquer le réseau). Aujourd’hui, alors que les salles de cinéma ferment sur ordre du gouvernement, Netflix et YouTube gagnent un nouveau public.

L’utilisation des jeux vidéo et de la diffusion en direct a aussi connu une forte hausse: le week-end du 14 mars a vu une augmentation significative du nombre de spectateurs de la diffusion en direct par rapport au week-end précédent, avec une hausse de 10 % pour Twitch et de 15 % pour YouTube Gaming. Verizon a constaté que les jeux en ligne ont augmenté de 75 % aux heures de pointe en Amérique du Nord, tandis que la diffusion en continu a augmenté de 12 %.

  • Augmentation de l’utilisation des applications

Même Apple, une entreprise qui compte des centaines de magasins fermés dans le monde, semble de plus en plus vouloir sortir de la pandémie en bonne santé. De nombreuses usines d’Apple sont presque revenues à la normale. Les gens consacrent plus de temps et d’argent à ses services numériques. Apple a même annoncé le lancement d’une gamme de nouveaux gadgets.

L’augmentation du temps et de l’argent consacrés aux téléphones est également une bonne nouvelle pour Apple et Google, car ils réduisent la plupart des ventes et des achats d’applications. En deux semaines aux USA, les recettes de l’App Store d’Apple et d’Android ont augmenté de 14 à 20%.

  • Les plus grandes entreprises technologiques pourraient en sortir beaucoup plus fortes

Cela ne veut pas dire que les grandes entreprises technologiques ne doivent pas s’inquiéter. La publicité, le moteur de Google et de Facebook, a tendance à souffrir en période de ralentissement économique. Les actions d’Apple, de Microsoft, d’Amazon, de Facebook et de la société mère de Google, Alphabet, ont perdu collectivement plus d’un trillion de dollars en valeur marchande au cours des dernières semaines. Et Microsoft, Twitter et Apple ont réduit leurs prévisions financières à court terme en raison du ralentissement des dépenses de consommation.

Au-delà des cinq grands protagonistes, les choses ont été plus difficiles. Les outils de communication comme Zoom sont désormais essentiels, mais les entreprises de location de voitures comme Uber and Lyft et les sites de location de propriétés comme Airbnb voient leurs clients disparaître. L’industrie technologique mondiale, qui pèse 3’900 milliards de dollars, en souffrira cette année, mais on à quel point? Difficile de le prédire.

En résumé, lorsque l’économie finira par s’améliorer, les grandes technologies pourraient bénéficier de l’évolution des habitudes de consommation. Et malgré des mois de critiques de la part des législateurs, des régulateurs et des concurrents avant que la pandémie ne frappe durablement les USA et le reste du monde, les plus grandes entreprises finiront probablement l’année plus fortes que jamais.

(source AngelList)

De la digitalisation en ces temps de confinement

Auparavant quelque peu décrié dans nos organisations, qu’elles soient helvètes ou européennes, le télétravail s’est désormais imposé dans un grand nombre de professions. D’aucuns diraient “comme une lettre à la poste”, comparaison anachronique dans ces temps de changement de routines. Les barrières à l’adoption de cette pratique aussi répandue aux Etats-Unis qu’auprès des “nomades digitaux” à travers la planète seront tombées bien rapidement.

Cette nouvelle pratique de masse donne lieu à des réflexions évoquées ci-dessous.

  • Qui est responsable de la transformation digitale dans l’entreprise?
    • CEO
    • CTO
    • groupes “agiles”
    • coronavirus

Sans nul doute, le confinement imposé pour contrer la pandémie aura rendu le plus fier service à la conversion massive des entreprises – employeurs et employés – aux outils digitaux. digitalswitzerland ne pourra que s’en réjouir et continuer ses efforts pour, cette fois-ci, ancrer ces pratiques (nouvelles pour certains) au lieu d’inciter les entreprises à opérer un changement.

  • Internet comme service de première nécessité

Pointée par Ephrat Livni, une des conséquences de la pandémie est le fait qu’Internet devrait être un service public (“public utility”). Alors que des millions de personnes dans le monde entier travaillent à domicile – si elles ont de la chance – et que les étudiants se tournent vers l’apprentissage en ligne, l’importance de l’égalité d’accès à l’internet n’a, selon elle, jamais été aussi claire. Pour rappel, l’ONU a déclaré l’accès à l’Internet un droit humain en 2016.

Reposté par Memes décentralisés sur Instagram, l’Internet est un pierre angulaire du maintien du contact social à distance.

  • Les géants du numérique y gagnent

Conséquence du concept: “the winner takes all” bien connu dans le monde digital, les utilisateurs moutonnent et rejoignent de plus en plus les bastions créés au fil du temps par les GAFA. En effet, l’utilisation d’une plateforme (p.ex. WhatsApp, Microsoft Teams, Facebook Messenger, Instagram, etc.) sera d’autant plus aisée si la majorité des personnes est inscrite cette même plateforme. La conséquence directe est que les utilisateurs délaissent les plus petits compétiteurs qui, ne pouvant rivaliser ni avec le budget (qui dit plus de moyens dit plus de fonctionnalités avancées, plus de “sticky gimmicks“, plus de budget marketing également) ni avec les volumes de données collectés par les géants (le nerf de la guerre), se retrouvent pris dans une spirale menant à leur faillite.

  • La tech au service de l’humain?

Phil Libin, ancien CEO d’Evernote et actuellement CEO d’All Turtles, twittait la semaine dernière: “J’étais à l’instant dans une conférence téléphonique Zoom qui s’est auto-magiquement terminée après 40 minutes car l’organisateur avait un compte gratuit. C’est la plus grande avancée en matière de productivité de meetings que j’ai jamais vue. Je paierais un supplément pour cette fonctionnalité.

Alors que les applications de conférences téléphoniques, de messagerie instantanée et partages de documents dynamiques ont assisté à une explosion de la demande de leurs services, l’humain se les approprient tout en les adaptant leur utilisation afin de garder une certaine humanité. On montrera son visage au lieu de garder sa caméra éteinte, on limitera du temps d’écran à domicile, on détournera des applications pour organiser des événements pour garder le contact malgré la distanciation sociale (skypéro, mix DJ en direct, etc.).

La capacité de concentration aura sûrement atteint sa limite, retournons donc regarder des vidéos de chats!