Après Crédit Suisse, Novartis bientôt rachetée?

Abasourdie, choquée, réduite à des explications qui ne changeraient pas le cours des choses: telle pourrait bien être la Suisse le jour où son peuple – et ses dirigeants – apprenaient que Novartis était rachetée. Le scénario pourrait bien ne pas être si invraisemblable que l’orgueil rhénan pourrait le laisser croire. Regardons-y de plus près alors qu’un autre emblème, Crédit Suisse, devenait « achetable » en quelques jours.

 

Tout d’abord faisons-nous peur en se rappelant à quel point Novartis est un mastodonte. Selon le dernier rapport annuel de l’entreprise, 102’000 équivalents plein temps y sont employés, dont 11’300 personnes en Suisse. Les chiffres fluctuent passablement au gré des vagues de licenciement et d’embauches qui rythment notamment le cours des choses sur le campus des rives du Rhin. Ses produits sont vendus dans plus ou moins 140 pays du globe. Dans son dernier classement “Global Innovation 1000” datant de 2018, PwC liste Novartis à la 12 place mondiale des plus gros dépensiers en recherche et développement (pour 2017 et 2018, moyenne d’environ 8 milliards de dollars pour une cinquantaine de milliards de chiffres d’affaires, soit approximativement 18% des revenus). La capitalisation boursière avoisine les 176 milliards de francs. Pour reprendre l’expression relative aux banques, Novartis serait-elle la pharma too Swiss to flee aux yeux du quidam qui crierait, outré, par une telle trahison?

 

Rien n’est moins sûr. Quatre arguments pointent dans cette direction.

 

  • Réduction des effectifs systématique

Depuis de nombreuses années, et ce de façon systématique, l’entreprise réduit le nombre d’employés en Suisse (2018, 2022 pour ne citer que les dernières restructurations) mais également au niveau mondial. Les économies tant au niveau des salaires que des opérations sont conséquentes. L’innovation est également externalisée dans une certaine mesure afin de réduire les coûts en interne également.

 

  • Réorganisation des aires thérapeutiques et spin-off de Sandoz

Dans le cadre de la transformation active de la société, qui comprend son intention de créer une entité entièrement séparée avec la division Sandoz (numéro un mondial en générique), elle a fusionné ses organisations commerciales oncologie et pharmaceutique et également créé une nouvelle organisation Opérations qui regroupe les activités de production et de services. Ces mesures doivent permettre d’accroître l’agilité opérationnelle et de renforcer les activités sur des marchés clés aussi bien en termes de secteurs (p.ex. oncologie) que de territoires (p.ex. Chine et États-Unis).

 

  • Ouverture d’un bureau nord-américain à New York City

Alors qu’un énorme campus est présent dans l’état du New Jersey et qu’un centre d’innovation biomédicale NIBR a pignon sur rue à Cambridge/Boston, la BigPharma a signé un bail pour un étage entier d’un bâtiment de la fameuse 5ème avenue de New York City. Simple expansion dans un centre d’innovation ou rapprochement avec le siège social d’un concurrent (psst Pfizer!)?

 

  • Ouverture du campus de Bâle au public et aux startups

Depuis plusieurs années, alors que le campus était traditionnellement fermé au public, le campus bâlois accueille désormais les badauds mais également des startups qui louent des étages, voire même des bâtiments entiers. On morcelle les actifs immobiliers afin de s’en délester dans la douceur et on ouvre les portes pour que les gens se réapproprient des aires préalablement inaccessibles.

 

La stratégie “U.S. first” est clairement affichée par l’entreprise qui ne cache plus son rapprochement avec les États-Unis. Après Daniel Vasella, le CEO Joseph Jimenez avait, de part sa nationalité, aidé à arrimer son pays d’origine à la firme suisse; le projet est poursuivi par l’actuel directeur général indo-américain Vasant Narasimhan. Il faut dire que les États-Unis est le plus grand marché du monde pour la pharmaceutique avec une croissance soutenue.

 

Réduire la voilure pour mieux se faire absorber: alors, à quand les noces américaines?

 

 

La Suisse entre le marteau chinois et l’enclume américaine

Le Temps consacrait récemment un paragraphe sur le féroce affrontement entre Washington et Pékin sur le plan technologique. Avec Xavier Comtesse, nous y consacrions également un article dans l’Agefi pour souligner les efforts scientifiques (brevets, nombre de chercheurs, etc.), dépenses militaires (778 milliards de dollars au pays de l’Oncle Sam contre 252.3 milliards au pays de Mao) et dispositions politiques (p.ex. la loi sur la réduction de l’inflation ou Inflation Reduction Act IRA en anglais aux États-Unis et le capitalisme d’État en Chine) des deux puissances. Sur ce thème encore, des chercheurs de l’Institut Jacques Delors ont publié un excellent travail qui traite de cette nouvelle rivalité entre les deux premières économies mondiales.

 

En guise d’introduction, ces derniers écrivent: “Les distorsions de concurrence du capitalisme d’État chinois provoquent de tels déséquilibres systémiques au sein du système libéral d’économie de marché que les États-Unis ont décidé de s’affranchir de certaines règles multilatérales au nom de la sécurité nationale. À leur tour, ils adoptent des mesures coercitives et une stratégie industrielle aux caractéristiques chinoises qui s’appuie sur des subventions massives et des clauses de contenu local. Les annonces agressives se multiplient du côté de Washington et de Pékin. La course au leadership technologique s’accélère en même temps qu’une réorganisation de la mondialisation qui peut aussi bien conduire à la coexistence de blocs rivaux qu’à une escalade de mesures de rétorsion et une fragmentation des chaînes de valeur mondiales.

 

Outre les aides d’État et son régime communiste qui promet la croissance, la République Populaire de Chine a, au tournant du millénaire, mis l’accent sur sa politique expansionniste qui incitait ses entreprises à investir à l’étranger. Mieux connue en anglais en tant que Go Out Policy (ou Going Global Policy), elle a permis à des nombreux acteurs chinois d’acquérir des sociétés internationales, notamment européennes, et ce très activement avec la crise de la dette européenne à la fin des années 2000 (possibilité pour la Chine de racheter la dette sous forme d’obligations et de participer à des projets d’infrastructures). Dès lors, de l’autre côté de nos frontières, la gourmande Chine en plein essor a pris des participations dans des infrastructures clés telles que l’entreprise d’énergie portugaise Energias de Portugal EDP (21% détenus par Three Gorges, 2011), l’aéroport de Heathrow à Londres (10%, 2012), le port du Pirée à Athènes (rachat par Cosco, 2016), etc. En outre, les exemples d’acquisition de fleurons européens par des groupes chinois sont légion: le constructeur automobile suédois Volvo (Zhejiang Geely, 2010), le fabricant de pneus italiens Pirelli (ChemChina, 2015), l’entreprise de robots industriels allemande Kuka (Mideas, 2015), etc.

 

Ces participations et main-mises sur des entreprises sont des exemples concrets de la volonté tentaculaire de la Chine à s’étendre dans des secteurs qui contribuent à son propre développement. La pays chérit également des secteurs tels que l’intelligence artificielle (IA), les télécommunications 5G, l’informatique quantique, l’agriculture, les transports, etc. où elle investit massivement aussi bien à l’interne qu’à l’externe, directement ou indirectement (p.ex. Huawei et le réseau 5G en Allemagne). En parallèle, les États-Unis renforcent leur capacités en aérospatiale, défense, semi-conducteurs ou encore des techniques de fabrication de pointe pour n’en citer que quelques uns. En outre, la robotique, la biotech et bien d’autres sont des domaines d’importance nationale pour maintenir une dominance à l’échelle du globe. America First ou Make China Great Again: des slogans qui justifient le contournement des règles du libéralisme économique afin de renforcer leurs capacités d’innovation, de production, d’approvisionnement, etc. qui répondent aux enjeux nationaux.

 

“Les bénéfices que tirent les États-Unis de cette intégration économique avec la Chine s’arrêtent là où leur leadership économique mondial est remis en cause par le rapide essor économique de la Chine.”

 

Dans ce contexte géopolitique tendu aux budgets pharaoniques, comment la Suisse se positionne-t-elle?

 

Le Temps relayait déjà la question en 2018 lors de la publication de chiffres relatifs aux investissements chinois en Europe: faut-il y voir une apologie libéralisme, garanti par le maintien d’emplois et d’investissements, ou au contraire y déceler une menace pour nos intérêts stratégiques (transfert de savoir-faire, accès privilégié à des technologies, contrôle d’entreprises, sécurisation de chaînes d’approvisionnement, etc.)? L’annonce du rachat en 2016 de Syngenta par le groupe chinois ChemChina pour 42 milliards de francs n’a pas laissé pas de doutes quant à la volonté de l’Empire du Milieu de garantir son accès à un portefeuille de produits chimiques de premier ordre et de semences protégées par des brevets pour améliorer la production agricole nationale. Un an auparavant, Swissport était cédée au groupe HNA pour renforcer ses activités dans le secteur aérien en forte expansion au niveau national (2.73 milliards de francs). Pour sécuriser des approvisionnements en énergie, on peut encore citer les cas d’Addax (7.24 milliards de dollars par Sinopec en 2009) et de WinGD (CSSC en 2016).

 

Les Etats-Unis ne sont pas en reste au niveau des acquisitions, notamment en ce qui concerne les start-ups helvètes. En 2022, selon le Swiss VC report, 22 jeunes pousses ont été acquises par des entreprises américaines, soit presque un tiers de toutes les ventes de sociétés (type start-ups). Deloitte rapporte également qu’en 2022, le nombre d’acquisitions réalisées par des entreprises étrangères est resté plus ou moins inchangé à un niveau élevé de 58% (98 sur 169), et que pas moins de 65% des acquéreurs de PME suisses étaient des entreprises européennes, les autres venant principalement des États-Unis (23%).

 

Exclue du programme de recherche européen Horizon2020 (plus de 95 milliards d’euros pour la période 2021-2027) suite à sa décision unilatérale d’arrêter les négociations sur l’accord cadre avec l’Union Européenne en 2021, la Suisse tente de se maintenir aux premières places auxquelles elle est habituée dans des classements d’innovation, de compétitivité, de R&D, etc. S’étant forgée vers et par l’extérieur, la Suisse isolée semble continuer dans une voie où elle subit plus qu’elle ne définit sa propre destinée. Trop petite et prônant un dialogue qui n’est plus vue comme une réponse appropriée à des guerres en tout genre, elle joue maladroitement des coudes mais cela ne l’empêche pas d’avoir les pattes engluées, voire piétinées par des ogres qui contrôlent l’ordre mondial, sans parler des ressources (p.ex. gaz, pétrole, terres rares).

 

Le multilatéralisme et le libre-échange ont du plomb dans l’aile, victimes d’une modulation des règles en fonction des intérêts des géants de ce monde. La concurrence devient de moins en moins équitable en considérant d’une part les aides d’états et d’autre par les restrictions aux exportations qui obéissent toutes deux à des considérations géopolitiques. Le drapeau du parti communiste chinois prend un sens bien métaphorique: la faucille prélève les avancées technologiques pour mieux frapper avec le marteau dans la foulée? L’enclume nord américaine met décidément la Suisse à rude épreuve… Au nom de l’ordre mondial et des sécurités nationales, suivez les guides!

 

Batteries: l’ultime charge

Un peu d’histoire

C’est en 1749 que Benjamin Franklin utilise le terme “batterie” pour désigner un ensemble de condensateurs* reliés entre eux qu’il utilise pour ses expériences sur l’électricité. Ces condensateurs sont des panneaux de verre dont chaque surface est recouverte de métal. Toutefois, ce n’est que plusieurs décennies plus tard qu’Alessandro Volta invente la première véritable pile qui prend son nom (“pile voltaïque“). Cette pile est constituée de paires de disques de cuivre et de zinc empilés les uns sur les autres et séparés par une couche de tissu ou de carton imbibée de saumure qui joue le rôle d’électrolyte. De nombreuses améliorations voient ensuite le jour afin de contrecarrer les effets indésirables tels que la corrosion des électrodes, les fuites d’électrolyte, etc. et ainsi augmenter les performances desdites batteries.

 

 

Ce n’est qu’en 1859 que Gaston Planté invente la première batterie rechargeable, le fameux accumulateur au plomb (une des électrodes, l’anode, est en plomb et l’autre, la cathode, est en dioxyde de plomb) contenant de l’acide sulfurique (l’électrolyte). Les réactions chimiques internes qui permettent de produire un courant peuvent être inversées pour changer la direction du courant, ce qui recharge la batterie. C’est une avancée majeure par rapport aux autres batteries qui se vident entièrement une fois toutes les réactions chimiques épuisées. Ce type de batterie est encore utilisée dans les batteries de voitures de nos jours.

 

 

Dans la foulée, Georges Leclanché améliore ce type de batteries et, sur la base de ses travaux, Carl Gassner propose le premier brevet d’une batterie dite sèche (au zinc-carbone) qui remplace l’électrolyte liquide par une pâte. Cela représente de nombreux avantages pour les batteries qui deviennent plus robustes, ne nécessitent pas d’entretien, ne se renversent pas et peuvent être utilisées dans n’importe quelle orientation. Un tournant est pris dans l’assemblage des composants et permet une production de masse.

 

Une nomenclature apparaît pour classifier les types de batteries: elles sont dites “primaires” si elles produisent un courant uniquement jusqu’à ce que leurs réactifs chimiques soient épuisés (pile voltaïque) et comme “secondaires” si les réactions chimiques peuvent être inversées en rechargeant la pile (pile Planté).

 

Au XXe siècle, on assiste à un de multiples développements dans le secteur avec l’apparition des accumulateurs nickel-fer, des piles alcalines, les accumulateurs nickel-hydrogène, etc. Apparaissent les fameuses batteries lithium-ion notamment suite aux observations que le lithium est le métal dont la densité est la plus faible, dont le potentiel électrochimique ainsi que le rapport énergie/poids sont les plus élevés et dont le faible poids atomique mais également la petite taille de ses ions accélèrent sa diffusion. La commercialisation de ce type de batteries par SONY au début des années 90 contribue à démocratiser leur utilisation dans l’électronique moderne. SONY redouble d’efforts pour développer la version lithium-polymère dont l’électrolyte n’est plus un solvant liquide et où les électrodes et les séparateurs sont laminés les uns aux autres. Cette dernière différence permet à la batterie d’être enfermée dans une enveloppe souple plutôt que dans un boîtier métallique rigide, ce qui signifie que ces batteries peuvent être spécifiquement façonnées pour s’adapter à une forme d’appareil particulier.

Les lauréats du prix Nobel de chimie 2019 pour le développement des batteries lithium-ion (de gauche à droite) John Goodenough, Stanley Whittingham et Akira Yoshino. /VCG Photo

 

L’accumulateur fer-air le vent en poupe

ClimateBase Weekly s’est penché sur l’entreprise électrique nord-américaine Xcel qui a récemment annoncé qu’elle allait installer deux énormes batteries fer-air de 10MW en lieu et place de centrales au charbon en voie de fermeture. L’énergie générée via des sources renouvelables et ainsi stockée peut fournir plusieurs jours de consommation. A taille équivalente, c’est beaucoup plus de stockage que les batteries lithium-ion et à un coût bien inférieur (environ $20/kWh versus plus de $100/kWh aujourd’hui pour Li-ion, voire $80/kWh pour les batteries Tesla).

 

On s’éloigne donc des épineux problèmes liés à la production de ces dernières, notamment le minage de quantités colossales de toutes sortes de métaux tels que le lithium, le cobalt, le cuivre et le nickel et de tout ce que cela comporte (excavation faramineuse, transport, traitement, destruction d’écosystèmes, droits humains, etc.). En comptabilisant le transport maritime, le secteur minier serait responsable de 28% des émissions mondiales chaque année. Bien évidemment, tout n’est pas la faute des piles au lithium mais avec une demande croissante, le problème ne peut que s’intensifier.

 

Il semblerait donc que les batteries fer-air constituent une très prometteuse alternative pour un stockage d’énergie à long terme en quantité industrielle. Aussi, le fer est le métal le plus abondant sur Terre, actuellement extrait sur tous les continents, et c’est le seul matériau miné nécessaire au stockage de l’énergie sous la forme des accumulateurs fer-air. On entrevoit donc les bénéfices en termes de simplification des chaînes d’approvisionnement ainsi que de l’économie de combustibles fossiles nécessaires au transport des métaux minés.

 

Une deeptech qui innove et croît

Le projet Xcel précité est le dernier partenariat en date pour la startup Form Energy sise dans l’état états-unien du Massachusetts et qui a obtenu un financement de 450 millions de dollars en octobre de l’année dernière pour produire des batteries fer-air dans sa nouvelle usine. Sa vision est de proposer des solutions de stockage d’énergie à bas coûts et long terme (une centaine d’heures) afin de renforcer le réseau électrique et stocker de l’énergie de sources renouvelables tout au long de l’année.

 

Ce projet permet entre autre à Xcel de poursuivre ses plans de décarbonation car l’objectif des services publics des Etats-Unis est, comme souvent scandé par qui veut bien l’entendre, celui des émissions nettes zéro à l’horizon 2050. Pour l’heure, plusieurs empruntent la voie très critiquée des crédits carbone (se référer au récent scandale qui entache les activités de SouthPole) et misent sur la capture directe du carbone sur leurs générateurs existants.

 

La mobilité continue son électrification

Les accumulateurs fer-air peuvent être la panacée lorsque l’on considère des applications à large échelle mais ils sont trop volumineux pour être intégrés dans les véhicules électriques. Toutefois, des types de batteries alternatives restent un domaine où les projets de R&D foisonnent et où de récents progrès ont été annoncés pour des applications plus petites.

 

Cette semaine, Nissan a annoncé une production des batteries à l’état solide pour ses véhicules d’ici 2028. Ce type de batteries offre une densité énergétique deux fois supérieure en comparaison de celles au lithium et une vitesse de charge trois fois plus rapide. Même si elles nécessitent 35 % de lithium en plus que les batteries classiques, elles ont besoin de beaucoup moins voire pas de cobalt du tout.

 

En janvier, des chercheurs de Corée du Sud ont fait une percée dans les batteries sodium-ion en améliorant considérablement les capacités de stockage. Jusqu’à présent, ces batteries étaient trop grandes et trop lentes pour remplacer celles au lithium.

 

“Seul l’avenir nous dira ce que le futur nous réserve!” pour reprendre la formule…

 

* Pour rappel, un condensateur est un composant électrique qui est constitué de supports conducteurs appelés “électrodes” séparés par un isolant polarisable aussi appelé “diélectrique”. Sa propriété principale est de pouvoir stocker des charges électriques opposées sur ses supports.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La bulle carbone ou la vulnérabilité au changement climatique

En 2011, le groupe de réflexion Carbon Tracker basé à Londres introduisait le concept de bulle de carbone. A l’instar d’une bulle économique, celle-ci fait référence à une potentielle perte, que d’aucuns qualifieraient de massive, de la valeur des investissements dans les énergies fossiles qui découlerait des mesures contraignantes mises en place pour limiter le réchauffement climatique (p.ex. accord lors d’une COP). On parle effectivement de bulle lorsque la valeur d’un actif est artificiellement élevée et dépasse sa valeur intrinsèque.

 

La notion de “carbone unbrûlable” voyait le jour afin de désigner l’excès de carbone émis au-delà des limites climatiques. Une partie non négligeable de ces réserves de carbone est détenue pour des sociétés cotées en bourse, d’où un risque financier probable dû à une requalification d’actifs dits échoués (stranded assets en anglais) qui détruiraient un part importante de la valeur pour des actionnaires à travers le monde.

 

Dans l’immédiat, les valorisations d’entreprises ont plutôt tendance à se baser sur les flux de trésorerie à court terme, qui sont moins susceptibles d’être affectés par des facteurs liés au climat (qui part à la dérive sur une échelle de temps plus longue). Toutefois, l’exposition variera et certaines sociétés seront mieux placées que d’autres pour résister à la faiblesse de la demande future de combustibles fossiles.

 

Dans la ligne de ce mouvement, la Réserve Fédérale américaine a récemment ordonné aux six plus grandes banques du pays de divulguer la vulnérabilité des actifs de leurs portefeuilles au changement climatique. D’ici fin juillet, elles devront montrer l’impact que le changement climatique pourrait avoir sur leurs opérations.

 

Plus précisément, ces grandes institutions financières devront étudier comment les sécheresses, les incendies de forêt, les ouragans et les vagues de chaleur prévus pourraient avoir un impact sur les biens immobiliers commerciaux et les prêts qu’elles gèrent.

 

L’analyse portera sur deux éléments. Tout d’abord, les banques devront évaluer les “risques physiques” pour les personnes et les biens ainsi que les coûts que ces risques entraîneront. Ensuite, elles devront estimer le “risque de transition”, ou le coût de la mise en œuvre de mesures appropriées pour s’adapter à ces événements climatiques. Cette mesure semble être la première réponse politique à l’inquiétude croissante des économistes quant à une “bulle de carbone” résultant du changement climatique.

 

L’immobilier est un élément central. En effet, le WEF et l’Institut européen des Terrains Urbains (Urban Land Institute Europe ULI en anglais), un réseau mondial d’experts pluridisciplinaires de l’immobilier et de l’aménagement du territoire, a récemment déclaré que “les propriétaires, les investisseurs et les évaluateurs européens n’ont pas pris en compte le coût de la transition vers la neutralité carbone (net zero en anglais), ce qui a entraîné une surévaluation généralisée des bureaux, des commerces et des immeubles résidentiels… si les coûts du risque de transition ne sont pas pris en compte dès maintenant par les propriétaires, alors le secteur pourrait être confronté à une crise majeure.”

 

Un exemple concret concerne les propriétés en bord de mer qui n’ont pas encore été évaluées en fonction de l’élévation imminente du niveau de la mer ou des améliorations nécessaires pour les protéger contre les intempéries. Elles sont déjà surévaluées. Une fois que la réalité du chaos climatique s’installera, ces évaluations ne manqueront pas de s’effondrer, comme c’est déjà le cas en Floride. Dans ce cas précis, la réponse des responsables politiques a été de laisser les contribuables payer la facture.

 

En Suisse, l’Alliance climatique, coalition de plus de 140 ONG actives dans la protection de l’environnement, a épinglé la Banque Nationale Suisse BNS qui continue d’investir dans des entreprises d’énergies fossiles. Dans l’Agefi également, il est rappelé que les risques liés au changement climatique doivent être pris en compte dans la gestion des actifs et que malheureusement, la BNS “n’inclut aucun indicateur de risque climatique dans sa stratégie de placement”.

 

Rester à la pointe signifie notamment innover et prendre les devants avant que le cadre légal ne rattrape les activités et impose des règles contraignantes. La Suisse pourrait s’inspirer de ses concurrents pour rester compétitive en la matière.

 

Sources: Climatebase Weekly, Agefi, Heidi.News

 

 

 

Votre nouvel interlocuteur s’appelle ChatGPT

Une petite révolution dans le monde de l’intelligence artificielle (IA) a vu le jour la semaine dernière. Nombreux auront certainement remarqué une myriade de posts sur Linkedin qui portent aux nues la mise en ligne de ChatGPT, nouvel “outil” de l’internet.

 

En bref, ChatGPT est un projet d’OpenAI, entreprise de recherche en IA dont la “mission est de faire en sorte que l’IA générale profite à l’ensemble de l’humanité.” Dont acte. Plus précisément, ChatGPT est une optimisation de modèles linguistiques pour le dialogue. Les scientifiques ont créé ce modèle qui interagit de manière conversationnelle, comme une version sous stéroïdes d’un chatbot doté de très larges connaissances. Il est parfois décrit comme generative AI du fait qu’il génère des résultats sur la base de commandes, tout en faisant preuve d’une mémoire considérable, une capacité très distinctive par rapport à d’autres modèles.

 

Dans sa version actuelle, ChatGPT indique:

  • pouvoir se souvenir de ce que l’utilisateur a dit plus tôt dans la conversation;
  • permettre à l’utilisateur d’apporter des corrections complémentaires;
  • être formé pour refuser les demandes inappropriées.

 

Humilité oblige, certaines limitations sont également listées, notamment que ChatGPT:

  • peut occasionnellement produire des informations incorrectes;
  • peut occasionnellement produire des instructions nuisibles ou un contenu biaisé;
  • a une connaissance limitée du monde et des événements après 2021.

 

D’un point de vue pratique pour le béotien, on peut considérer ChatGTP est une sorte de super intelligence qui, malgré un QI de 83, peut relire vos dissertations, écrire une lettre de motivation, vous apprendre la grammaire, réparer votre code informatique, écrire des chansons, des articles (même en y insérant des nuances de personnalité), faire des recherches… on voit bien l’étendue des possibilités. On se retrouve pris au jeu de la conversation avec l’ordinateur, ce qui rappellerait presque l’histoire amoureuse dans le film HER.

 

Alors, au revoir Wikipedia, Stackoverflow, Google et autres moyens d’accéder à la connaissance? Pas encore tout à fait, mais les choses pourraient changer. Selon Gianluca Mauro, expert en IA:

  • ChatGPT crache pour l’instant des informations non factuelles. Imaginons que Wikipedia s’y associe et cela aura un tout autre impact.
  • ChatGPT peut encore être trompé par un comportement non-éthique ou des demandes controversées. Question subsidiaire: qui définit le “comportement éthique”?
  • Une créativité sans limite? ChatGPT marque d’une pierre blanche l’évolution de l’interaction homme-machine et son potentiel est amené à croître exponentiellement.

 

Les esprits curieux et joueurs trouveront là une fantastique opportunité de tester les limites de ce modèle d’IA. En attendant, je lui ai demandé de m’écrire un article pour ce blog (résultat rendu en quelques secondes):

 

Le Temps est un journal suisse de référence qui couvre les principales actualités nationales et internationales. Si vous êtes à la recherche d’un sujet d’article pour votre blog Carnets de l’innovation dans le journal Le Temps, voici quelques idées :

  1. Vous pourriez écrire sur l’impact de l’innovation technologique sur l’économie suisse. Vous pourriez explorer comment les entreprises suisses utilisent les dernières avancées en matière d’intelligence artificielle, de robotique, de réalité virtuelle, de biotechnologie, etc. pour améliorer leur productivité, leur compétitivité, et leur durabilité.
  2. Vous pourriez également écrire sur les innovations dans les domaines de l’énergie, de l’environnement, de la santé, de l’éducation, etc. en Suisse et comment elles contribuent à la qualité de vie des citoyens suisses. Vous pourriez inclure des exemples de projets innovants menés par des entreprises, des universités, ou des associations locales.
  3. Vous pourriez également écrire sur les défis et les opportunités que l’innovation technologique pose pour la société suisse. Cela pourrait inclure des discussions sur les questions éthiques et morales soulevées par les avancées en matière d’intelligence artificielle, de robotique, de biotechnologie, etc. Vous pourriez également explorer les conséquences économiques, sociales, et politiques de l’innovation technologique sur la société suisse.
  4. Enfin, vous pourriez écrire sur les initiatives et les programmes mis en place par les pouvoirs publics suisses pour favoriser l’innovation technologique. Vous pourriez explorer comment les autorités fédérales, cantonales, ou locales soutiennent les entreprises innovantes, les universités, ou les centres de recherche, afin de stimuler la créativité, l’entrepreneuriat, et la croissance économique en Suisse.

En général, il est important de rester objectif et équilibré dans votre article pour votre blog Carnets de l’innovation dans le journal Le Temps. Il est également important de toujours rester curieux et ouvert d’esprit lorsque vous écrivez sur l’innovation. N’hésitez pas à rechercher des sources fiables et à inclure des opinions différentes dans votre article pour donner une vision équilibrée de l’innovation technologique en Suisse. Aussi, n’hésitez pas à explorer de nouvelles idées et à vous inspirer des innovations les plus intéressantes qui se déroulent autour de vous!

 

A vous de jouer!

 

 

PS: en lui demandant d’écrire un haiku sur lui-même, ChatGPT propose:

 

Je suis un programme informatique

Entraîné pour répondre aux questions

Je ne suis pas humain

 

Une version plus poétique:

 

Dans les étoiles du ciel

Je suis un esprit électronique

Calculant sans cesse

 

Et avec une pointe de cynisme:

 

Je suis un simple code

Exécutant des instructions

Sans âme, sans passion

Un nouveau modèle d’affaire doit s’imposer – ou s’imposera

Selon l’encyclopédie participative Wikipedia, la croissance économique est “un processus fondamental des économies contemporaines, reposant sur le développement des facteurs de production, lié notamment à la révolution industrielle, à l’accès à de nouvelles ressources minérales (mines profondes) et énergétiques (charbon, pétrole, gaz, énergie nucléaire, etc.) ainsi qu’au progrès technique”. Ce concept est tellement ancré dans nos sociétés modernes qu’il est même considéré comme un des objectifs premiers – on pourrait même dire que c’est un principe fondateur – de l’Union Européenne. Soulignons ici la dépendance aux énergies fossiles et aux minerais.

 

“Quand on regarde ce qu’est le système économique vu sous un angle physique, ce sont des flux de transformations qu’on peut compter en euros et en énergie.”

 

Dans un récent entretien avec des étudiants de HEC Paris, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici aborde des thèmes qui s’imposeront d’eux-mêmes dans un monde aux limites physiques claires. Que ceux qui prétendent à des ressources infinies passent leur chemin, il n’est pas nécessaire de rappeler que la Terre est une sphère, et donc que sa finitude est avérée, n’en déplaise aux platistes.

 

“La façon de penser l’avenir économique va devoir passer de la performance à la résilience. Jusqu’à maintenant on s’est doté d’une boîte à outils pour être capable d’optimiser très finement des trajectoires d’entreprises dans un contexte où tous les paramètres – plus de ressources, pas de problème d’environnement, plus de compétences, plus de tout, plus de marché, plus de clients – on va devoir apprendre à piloter les organisations économiques dans un monde dans lequel il y aura des soubresauts et où l’importance ça sera de rester vivant après les soubresauts.”

 

Le constat clairement posé, il ne sert à rien de faire l’autruche et il devient impératif de se pencher sur des questions qui requièrent une refonte de la manière dont l’économie fonctionne, une économie consciente des limites physiques que ce globe nous impose, comme il est, “petit et blue dans ce silence éternel où [il] flotte.

 

Le think tank Shift Project publiait en début d’année un rapport intitulé “Décarboner l’industrie [française] sans la saborder” qui vise à donner une feuille de route pour le président de l’Hexagone tout en imposant une réduction annuelle de 5% des émissions de CO2. Comme il le souligne, cela ne nous sortira pas “le cul des ronces” étant donné la situation actuelle, les dommages déjà occasionnés et la trajectoire prise jusqu’à présent. Toutefois, il est en ligne avec une limitation du réchauffement à 2 degrés, bien que cette élévation de température entraîne une perte massive des coraux ou encore la disparition à grande échelle de forêts, pour ne citer que ces deux événements déplorables. Pour faire simple: on commence par la physique et on regarde comment insérer une logique économique dans ce cadre. Dis autrement, on vérifie qu’on reste sous une limite d’émissions et on considère après si on peut faire de l’argent.

 

“De toute façon, chez nous, la décarbonation c’est comme au patinage artistique, ça fait partie des figures imposées.”

 

La diminution géologique des gisements de pétrole, gaz et charbon au niveau mondial est une donnée de base qui n’est actuellement pas ou peu prise en compte. On continue d’assister à des absurdités mondiales telles que l’attribution des jeux asiatiques d’hiver 2029 à l’Arabie Saoudite, une expansion du métavers (est-ce bien judicieux de bourse délier pour acquérir des objets virtuels?), un bond record du nombre de superyachts commandés en 2021 ou encore des plans pour aller faire de l’agriculture sur la Lune? Toute cette consommation, et même sa planification, résonne comme une ineptie.

 

Dans l’interview est aussi abordée la question de la réponse politique à adopter. Dans les démocraties, la pesée des intérêts et la vitesse des avancées sont lentes, quoique préservant au mieux les libertés individuelles. Seulement voilà, la décroissance énergétique subie, parfaitement explicable par la physique (offre) et la mégalomanie énergivore humaine (demande) poussent nos sociétés vers une contraction économique. Cette impasse traditionnelle conduit à des poussées de populisme qui se galvanisent de chocs pour fédérer des soutiens et engranger des votes grâce à des slogans simplifiés qui portent.

 

“Les démocraties sont des régimes un peu myopes et donc on va malheureusement devoir attendre que la situation soit vraiment critique pour que l’on commence à voir émerger quelque chose qui soit des grandes manœuvres.”

 

Plusieurs sujets sont aussi évoqués et des pistes esquissées, notamment au sujet de la formation dans la construction, de covenants bancaires lors de prêts (disposition par laquelle la dette redevient immédiatement exigible si jamais l’entreprise ne respecte plus une disposition écologique contractuelle), de comportements humains face aux crises, la taxe carbone, le devoir d’exemplarité des dirigeants politiques, la planification (et l’action nécessaire qui en découle), l’éco-anxiété (être dans l’action!), le pouvoir de la base de l’électorat, des considérations sur les entreprises où le potentiel de changement est grand (aller dans des grandes entreprises et l’on sera “capturé”).

 

“Il faut vous donner des actions dont le résultat est observable à votre échelle et qui vous permettent de créer un collectif à votre échelle parce que demain matin c’est ça qu’il y aura de l’importance pour vous.”

 

Pour rappel, en 1972 déjà, le Club de Rome publiait un rapport publié sous le nom “Limits to Growth”. Le rapport discute de la possibilité de croissances économique et démographique exponentielles avec des ressources limitées, étudiée par simulation informatique. L’étude a utilisé un modèle pour simuler les conséquences des interactions entre les systèmes terrestres et humains. Le rapport conclut que, sans changements substantiels dans la consommation des ressources, “le résultat le plus probable sera un déclin plutôt soudain et incontrôlable de la population et de la capacité industrielle”. Des années plus tard, aucun changement substantiel n’a été observé par rapport à ces conclusions.

 

Quarante ans après sa publication, soit en 2012, un des auteurs de l’étude écrivit: “La question de savoir si la croissance économique sans impact physique croissant est réalisable reste ouverte. C’est possible en principe, mais cela n’a pas encore été observé dans la pratique. L’ouvrage “Limits to Growth” n’a pas cherché à résoudre cette question, et les auteurs étaient partagés quant à la possibilité de réaliser un découplage total. Ils s’accordent toutefois sur le fait que la société mondiale doit réduire son empreinte écologique par unité de consommation et, surtout, commencer à le faire à temps pour éviter un dépassement global. Ils s’accordent également à dire que la tâche serait grandement simplifiée si la société humaine abandonnait sa fascination pour la croissance.”

 

Abandon. Fascination. Croissance. Des termes qui nous laissent parfois béats, songeurs ou démunis. Dans le mode de l’action, l’innovation et le changement de modes opératoires sont de mise. D’ici-là, remettons les objectifs climatiques à 2050, il paraît que c’est à la mode…

 

L’Europe s’exporte en grande meneuse de la réglementation

La Silicon Valley, la Californie ou les Etats-Unis en général sont souvent cités comme les exemples lorsque l’on parle d’innovation et d’entrepreneuriat. Pour saisir les opportunités qui s’y créent, la Suisse a été pionnière lors de la création du réseau swissnex au tournant des années 2000, d’abord à Boston, puis à San Francisco, avant de s’implanter dans d’autres hubs tels que Bangalore, Shanghaï, Rio de Janeiro et récemment Osaka.

 

Une vingtaine d’années après cette subtile initiative helvétique, l’administration européenne a dernièrement dévoilé son intention d’ouvrir un bureau dans l’épicentre qu’est San Francisco; jusque là, louons le projet. Mais à y regarder de plus prêt, la mégalomanie fonctionnaire de la Commission vise à collaborer avec les entreprises qui sont notamment régulées par les lois européennes liées à la technologie. Pour une vitrine de l’UE, c’est une réussite. Régenter avant d’attirer, on s’assied volontairement sur une branche à moitié sciée. Que l’on ne s’inquiète, l’initiative vise à améliorer les relations entre l’UE et les États-Unis en matière de politiques technologiques, rien que cela.

 

Citons Christian Borggreen, Vice-Président et responsable du bureau Computer & Communications Industry Association (CCIA Europe): “L’Europe met l’accent sur la réglementation des technologies. C’est là que l’Europe veut se démarquer et être un leader.” C’est exquis, on en redemande. Le future directeur du bureau, Gerard de Graaf, poursuit: “La relation entre le régulateur et le régulé est toujours un peu compliquée. Un régulateur est toujours un peu comme un policier.” Les discussions entre avocats risquent d’être délicieuses, pour aboutir, l’espoir fait vivre, sur des résolutions communes aux deux blocs.

 

Dans l’intervalle, souriez, et veuillez accepter les conditions générales d’utilisation.

 

L’innovation remède à la démondialisation?

Sommes-nous vraiment capables d’imaginer un monde “moderne” sans recours aux énergies fossiles? Alors que la plupart des gouvernements se limite à faire de la planification, bon nombre d’acteurs s’activent à la transition écologique à proprement parler. Mais voilà, pour paraphraser “Janco”: “l’un des paradoxes de la transition telle que nous l’imaginons le plus souvent: elle a besoin que le problème à résoudre… soit toujours là!

En effet, si on avait atteint la situation idéale, on ne transiterait plus. La raison d’être de multiples organisations, mouvements, associations, entreprises ou courants d’idées réside dans le fait qu’un problème reste à résoudre. Les solutions proposées permettent petit à petit de tendre vers un but sans jamais l’atteindre tout à fait, au grand damn des personnes lésées (p.ex. combattre la faim et la malnutrition dans le monde => Programme Alimentaire Mondial PAM). C’est un dilemme chaque an renouvelé.

Dans le cas de l’énergie, on s’accordera sur le constat que l’abondance énergétique a permis la mondialisation. Friedman titrait notamment son livreThe World is Flat” pour expliquer cette tendance. Le pétrole fait tourner les vecteurs de la logistique mondiale – camions, bateaux, avions, etc. – afin de transporter les incommensurables quantités de choses (matières, marchandises, produits) dans des chaînes d’approvisionnement se complexifiant grâce à l’essor de l’informatique. Le charbon alimente les usines en tout genre, dont les électriques, qui produisent en masse ce qui est consommé ici et là, pour ainsi dire partout, à n’importe quelle heure sur une Terre qui n’en finit pas d’avoir le tournis. Le gaz participe aussi à la production énergétique et de chaleur industrielle dans un système globalisé qui tente de surmonter les contraintes physiques d’un tel système.

Par conséquent, une manière simple et rapide pour décarboner la société serait de la démondialiser. CQFD? La pandémie a vraisemblablement engendré une baisse de 5% de émissions de gaz à effet de serre. Transports à l’arrêt, usines au ralenti, restaurants fermés: l’expérience récente a démontré cette relation. Ceci n’est pas une tribune pour discuter si cela est socialement acceptable mais il faut convenir que la relation de cause à effet est pour le moins claire.

Toutefois, considérons deux exemples qui participent activement à la transition écologique: les voitures électrique et les panneaux solaires. La difficulté d’approvisionnement des fabricants automobiles est souvent mise en lumière pour les composants tels que les puces (dont le leader mondial TSMC, basé à Taïwan, n’arrive pas à suivre la cadence et se retrouve dans le viseur des ambitions territoriales de la Chine), le lithium, le cobalt (principalement produit au Congo) ou d’autres métaux car les producteurs ne sont pas tous réunis au même endroit. Pour les bons vieux panneaux photovoltaïques qui ne fleurissent que trop lentement sur nos toits (la faute à trop de règlements?), 95% sont produits en Chine et sont transportés par ces vaisseaux des mers qui bloquent même parfois des canaux.

Comment localiser physiquement une économie qui s’est exponentiellement développée et structurée de façon globale? En Suisse, même si Meyer Burger a maintenu une activité de production de panneaux solaires, comment produire des centaines de milliers de modules alors que le pays est bien connu pour ne pas disposer de matières premières (fer, cuivre, nickel, etc.)?

Jancovici poursuit dans son post: “Il s’avère donc que pour gérer la décarbonation par des voies essentiellement ‘technologiques’ nous avons besoin de la mondialisation… qui est carbonée. Le fait de prendre les problèmes avant tout sous l’angle économique ne permet pas de voir cette incohérence. Une autre manière de dire la même chose est que les baisses de coûts et les hausses de volume obtenues dans une économie mondialisée ne sont pas du tout garanties dans une économie dé-mondialisée, loin s’en faut.

Démondialisation. Décarbonisation. Et pourtant: dépendance. Quand sera-t-on dépassé par les événements?

Immobilier, énergie et administration

Le voici le voilà: le troisième volet et dernier rapport (6ème) du GIEC est sorti et se penche sur les aspects économiques pour limiter le réchauffement à 1.5°C à la fin du siècle. Un pic d’émissions repoussé de 2020 à 2025 (demain!) avant qu’elles ne redescendent d’ici 2030. “Il faut une synergie de moyens.” comme le commente Prof. Dominique Bourg dans la Matinale. Frugalité et efficacité énergétiques, innovations technologiques, décisions politiques: rien ne sera assez pour tenter d’inverser le cours des choses.

 

Penchons sur un cas très concret qui démontre tout le paradoxe actuel au niveau local dans le domaine du bâtiment. Un ami m’a récemment transmis un courriel pour me faire part de son désarroi par rapport à la situation kafkaïenne que déplore Marc Muller depuis un certain temps, à savoir notamment le manque de cohérence politique, une administration pléthorique et les forces inertielles des énergies fossiles dans notre société.

 

Au niveau national, selon l’Office Fédéral de la Statistique, les énergies fossiles (mazout et gaz) chauffent près de deux bâtiments sur trois. Le nombre de pompes à chaleur augmente fortement depuis 2000 pour équiper aujourd’hui près d’un bâtiment sur cinq. La crise ukrainienne ne fait qu’accélérer une situation qui est amenée à se tendre au vu des perturbations climatiques déjà en vigueur.

 

Dans le cas qui nous intéresse, le propriétaire (dans une PPE de cinq appartements avec jardins) a mandaté un bureau d’étude en systèmes de chauffage et installations (pompes à chaleur, solaires, etc.) afin d’étudier les différentes pistes pour s’affranchir des énergies fossiles. Les résultats sont édifiants:

 

  • Il serait quasi impossible de faire poser des panneaux solaires en toiture, étant donné que le bâtiment est classé.” Alors que Bâle-Ville passait une loi contraignante l’an dernier (imposer l’installation de panneaux solaires sur tous les toits, privés ou publics, nouveaux ou classés), les administrations de la majeure partie des cantons ne semblent pas vouloir bouger d’un iota pour adapter leurs réglementations. On fait donc l’impasse sur la pose des panneaux colorés tels que ceux de Solaxess? Quand mettra-t-on sur l’efficacité énergétique sur un pied d’égalité avec l’intégration dans le paysage (sans même parler d’habitabilité)?  La Confédération a même mis en ligne un outil pour calculer la quantité d’électricité ou de chaleur qu’il est possible de produire sur un toit. A quand une facilitation des procédures pour la pose de panneaux photovoltaïques ou solaires thermiques? La protection du patrimoine doit se faire un bon intelligence et non pas au nom d’un idéal pâlit au vu de l’impératif climatique.

 

  • La pompe à chaleur air-eau déconseillée car “trop bruyante et inesthétique, ce qui ne manquerait pas d’entraîner des plaintes de la part du voisinage.” De plus, “la géothermie serait très compliquée à mettre en place” puisque des forages devraient se faire sur des parcelles privées et que les coûts associés aux travaux extérieurs seraient rédhibitoires. Et malheureusement, le chauffage n’étant pas au sol (basse température), l’efficacité de tels systèmes ne serait pas optimale. Ne considère-t-on donc même pas de trouver des solutions pour bâtiments d’un certain âge qui sont légion en Suisse (à défaut de raser et reconstruire)? Ne capitaliserait-t-on pas également sur des projets prometteurs tels qu’EnergieÔ (géothermie sur la Côte)?

 

  • Il est suggéré de “prévoir un raccordement au gaz, avec une chaudière à condensation. Cependant, ce projet serait plus onéreux, du fait qu’il faudrait raccorder la chaufferie au gaz.” On oublie: énergie fossile. Certains cantons ont déjà banni ce genre d’installations (p.ex. Fribourg, Glaris).

 

  • L’option la moins onéreuse reste le remplacement de la chaudière actuelle par un modèle à mazout avec à condensation, qui permettrait d’effectuer des réglages plus précis et de ce fait de réaliser des économies sur la consommation de mazout.” On oublie: énergie fossile. Rappelons aussi que les cantons de Zurich, Bâle-Ville et Glaris ont banni ce type d’installations via votation populaire (d’autres s’y préparent).

 

De nombreux propriétaires se reconnaîtront le dilemme dans lequel cet ami se retrouve actuellement. Comme toute la population suisse ne pourrait se chauffer au bois, comment procéder? D’autres solutions existent aussi (biogas, hydrogène, raccord à un réseau de récupération de chaleur d’une usine d’incinération, triple vitrage, isolation, etc.), comment les mettre en place de façon incitative et cohérente?

 

“Malheureusement, les solutions envisageables ne permettent pas de sortir de l’énergie fossile avec un budget raisonnable.”

 

La messe est dite. Le Temps publiait un petit manuel de sobriété énergétique dont tout le monde devrait s’inspirer. Attendons, attendons, ça va bien finir par chauffer.

 

Captage du carbone atmosphérique: la grande inspiration

“L’appel à une sortie de crise sanitaire climato-compatible n’a pas été entendu.”

C’est par cette affirmation, découlant notamment des conclusions du dernier rapport du GIEC, que commence le dernier blog post de Sylvestre Huet, journaliste scientifique indépendant. Les preuves sont irréfutables, comme le démontrent les deux graphiques ci-dessous:

 

Émissions de CO2 dues à la combustion d’énergie et aux processus industriels, 1900-2021

Les émissions mondiales de CO2 provenant de la combustion d’énergie et des processus industriels ont rebondi en 2021 pour atteindre le niveau annuel le plus élevé jamais enregistré (+6% par rapport à 2020 alors que celle-ci enregistrait une baisse de plus de 5% en comparaison à 2019). A noter qu’une baisse équivalente – et par an – pendant trente ans serait nécessaire pour respecter l’accord de Paris sur le climat selon une interview de Jancovici (“Il nous faudrait un Covid tous les ans.“).

 

Variation annuelle des émissions de CO2 dues à la combustion d’énergie et aux processus industriels, 1900-2021

 

La guerre en Ukraine rajoute une pression supplémentaire sur le prix du gaz qui avait déjà commencé à exploser. Conséquence: un report de la production d’électricité vers du charbon, encore plus émissif en CO2, notamment aux Etats-Unis et en Europe.

 

Pour rajouter une énième “première” ou “record” (selon), l’Antarctique est également passée en mode printemps à la vitesse grand V avec des températures enregistrées de +38°C par rapport à la moyenne…

 

 

Alors malgré ces nouvelles alarmistes, intéressons-nous aujourd’hui à une technologie en plein essor, à savoir le captage direct de CO2 atmosphérique. La société suisse Climeworks faisait notamment la une de WIRED avec l’inauguration de son usine Orca en Islande. Les chiffres ne font cependant pas encore rêver: une belle dépense énergétique pour retirer l’équivalent de 4’000 tones de CO2 présent dans l’air, soit l’équivalent de moins de 1’000 voitures par an. Une broutille, mais l’entreprise promet évidemment des progrès futurs, pendant que les journalistes du monde entier prennent l’avion pour aller voir cette première usine.

 

Moins médiatisée mais innovante à souhait, l’américaine Verdox annonçait un tour de financement de $80mio pour développer son système de capture électrochimique pour éliminer le CO2 de l’atmosphère ainsi que des sources d’émissions industrielles. Affaire à suivre.

 

Récemment, The Conversation publiait un entretien de l’un des pères du mouvement de captage de CO2 atmosphérique, le Prof. Klaus Lackner, Directeur du Centre pour les Emissions Négatives de l’Université de l’Etat de l’Arizona.

 

“Il y a tellement de CO2 dans l’atmosphère aujourd’hui que la plupart des scénarios montrent que l’arrêt des émissions ne suffira pas à stabiliser le climat – l’humanité devra également éliminer le CO2 présent dans l’air.”

 

Comme il le souligne, toutes les émissions ne proviennent pas de sources importantes telles que les centrales électriques ou les usines (où le CO2 peut être directement capté à la sortie). L’autre moitié des émissions, celles des voitures, des avions, de l’agriculture, des systèmes de chauffage, etc. doit aussi être prise en compte. Cela signifie qu’il faut extraire le CO2 de l’air et cela n’est pas chose facile car les molécule sont très diluées dans l’air bien que leur concentration augmente depuis de nombreuses années. Cependant, comme ce gaz se mélange rapidement dans l’air, peu importe depuis où on le retire.

 

Ce qui est une bonne nouvelle: on peut l’extraire près de là où on compte le stocker. Par contre, il est nécessaire de réfléchir à une solution à long terme pour éviter de cacher cela au chat pendant seulement quelques dizaines d’années et laisser un cadeau empoisonné aux prochaines générations (si le gaz venait à se désorber des roches dans cinquante ans p.ex.).

 

National Academy of Sciences

 

Les défis de la recherche se portent principalement sur deux gros postes énergivores, à savoir le fonctionnement des ventilateurs (pour aspirer l’air) ainsi que le chauffage pour extraire le CO2. De plus, quid du stockage? L’attention se porte sur une forme de séquestration sous forme de roche. En effet, le CO2 est un acide et certaines roches sont basiques. Lorsque le CO2 réagit avec des minéraux riches en calcium, il forme des carbonates solides. En minéralisant le CO2 de cette manière, il est possible de le stocker de façon permanente et en quantité quasi illimitée. Il faut également considérer d’utiliser le CO2 pour “boucler la boucle” du cycle carbone, ce qui signifie que le CO2 est capturé et réutilisé à nouveau pour éviter de produire davantage de “nouveau” CO2 (comme p.ex. produire des carburant synthétiques).

 

Prof. Lackner aborde aussi brièvement les dynamiques du marché:

 

“Ce dont vous avez vraiment besoin, c’est d’un cadre réglementaire qui stipule que nous exigeons que le CO2 soit éliminé, et alors le marché passera de la capture de kilotonnes de CO2 aujourd’hui à la capture de gigatonnes de CO2.”

 

Il suggère entre l’autre l’idée de compensation 1:1 entre ce qui est extrait et ce qui est séquestré: pourquoi ne pas s’assurer que la balance soit respectée? Si tout le carbone est certifié dès qu’il sort du sol, il est plus difficile de tricher et chaque entreprise extractrice est tenue de rendre des comptes. Autre signal encourageant est que certaines entreprises telles que Microsoft ou Stripe sont disposées à acheter des crédits carbone et des certificats pour éliminer le CO2 à des prix assez élevés (ou serait-ce du greenwashing pure et simple?).

 

D’ici-là, polluons! Nous savons si bien le faire.