Neuf conseillers fédéraux: une réforme à la gestation lente

La réforme du Conseil fédéral obsède depuis longtemps le microcosme politique suisse. Alors qu’on la pensait enterrée, voici qu’une commission du Conseil national ressort l’idée d’augmenter le nombre de conseillers fédéraux de 7 à 9. Le net rejet de l’initiative de l’UDC prônant l’élection du Conseil fédéral par le peuple aurait-elle libéré les esprits ?

Depuis 1848, le fonctionnement du Conseil fédéral laisse à désirer. Déjà à cette époque circulait le reproche selon lequel les départements travaillaient trop en vase clos, dans l’ignorance de ce que préparait le voisin. Soucieux d’éviter les querelles de clocher, le collège était accusé de ne pas posséder une vue d’ensemble sur l’activité de l’Etat.

Le sujet prend une nouvelle dimension à partir des années 1880, alors que l’administration fédérale ne cesse d’enfler… Des tâches migrent des cantons vers la Confédération, de la gestion des chemins de fer à la surveillance des denrées alimentaires,  impliquant un gonflement inévitable de l’appareil bureaucratique fédéral.

La mauvaise humeur croît et les appels à une réforme drastique de la conduite de l’Etat se multiplient, au point qu’en 1901, le conseiller fédéral Forrer doit avertir les Chambres : comment prendre au sérieux leurs attaques contre une présumée « hypertrophie bureaucratique », selon la formule du publiciste Carl Hilty, lorsqu’ils votent des lois qui élargissent mécaniquement les compétences du gouvernement ?

Certains dysfonctionnements observés au Département des affaires étrangères attisent la colère des Chambres. Une commission plaide pour le retour de l’attribution de ce département à un conseiller fédéral « spécialisé » et non au président en exercice. Mais émerge aussi l’idée d’un passage à 9 conseillers fédéraux, pour prendre acte de l’explosion des tâches dévolues à l’exécutif fédéral.

Une cour des comptes envisagée deux ans auparavant est abandonnée: tant le gouvernement que le Parlement la perçoivent comme une concurrence inappropriée… La création d’un Tribunal administratif reçoit en revanche un accueil plus chaleureux.

Le Conseil fédéral demeure toutefois circonspect. Pourquoi changer un système qui a fait ses preuves, laisse entendre le vieux conseiller fédéral Deucher ? En 1910, le Conseil national reprend néanmoins le dossier en main. Un socialiste et un démocrate de la commission en charge du dossier proposent une présidence étirée à 3 ans, 9 conseillers fédéraux mais aussi leur élection par le peuple.

Plus prudents, ses membres conservateurs se contenteraient de renforcer le rôle du chancelier et de doter les conseillers fédéraux de secrétaires particuliers. Les radicaux, majoritaires, s’intéressent maintenant au problème, même contre l’avis de leurs conseillers fédéraux.

Lors d’un congrès du parti, certains exigent, pour décharger le Conseil fédéral, un département des affaires étrangères autonome, un transfert de certaines compétences aux chefs de service, une présidence de 3 ans et, pour certains, 9 conseillers fédéraux, afin de démocratiser l’adminstration : mieux vaut plus de conseillers fédéraux que de fonctionnaires !

Le Vaudois Félix Bonjour, président du parti radical en 1912 et du Conseil national en 1915, s’oppose alors à la hausse du nombre de conseillers fédéraux, mais se ravisera dans les années 1930 : l’augmentation du nombre de partis depuis 1919 et la volonté des régions d’avoir un élu au gouvernement militent désormais, selon lui, pour 9 conseillers fédéraux.

Le Conseil fédéral semble, cete fois, ouvert à la discussion, mais son enthousiasme se refroidit vite. En 1912, son verdict tombe : c’est non ! Seuls l’instauration d’un département des affaires étrangères proprement dit et le Tribunal administratif passeront la rampe, en 1914.

Exit l’idée des 9 conseillers fédéraux ? C’est sans compter la guerre. Du fait de leurs rivalités, les Romands ont perdu un siège en 1913 : à un Vaudois et un Tessinois font face cinq Alémaniques.

Les tensions s’avivent rapidement entre Latins et Alémaniques ; elles deviennent insupportables dès janvier 1916, lorsqu’éclate l’affaire des colonels. En décembre le conseiller national libéral Horace Micheli, correspondant du Journal de Genève, dépose une motion proposant le passage à 9 conseillers fédéraux, afin d’améliorer la représentation des Romands. Le Conseil fédéral s’y oppose : la cohérence de l’action gouvernementale serait diluée et un changement de système en pleine guerre semble inopportun.

Changement de discours l’année suivante après que, en juin, le conseiller fédéral Hoffmann et le chef socialiste Grimm eurent été accusés d’œuvrer à une paix séparée entre la Russie et les puissances centrales. Le Conseil fédéral doit lâcher du lest.

L’affaire n’ira pas plus loin… En décembre 1917 est élu le Genevois Gustave Ador et l’idée fait moins recette chez les Romands : qui occuperait le siège supplémentaire gagné par les « Welsch » ? Un radical ou un conservateur ?

L’idée des 9 conseillers fédéraux ne réapparaîtra qu’avec l’initiative socialiste demandant également l’élection du Conseil fédéral par le peuple, rejetée en 1942, ou alors comme simple hypothèse d’école…

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).