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L’émotion est à son comble, un sentiment de révolte nous étreint. Les hommages se succèdent, dans une unanimité qui doit sans doute amuser les victimes du lâche attentat de ce mercredi 7 janvier.
Une date assurément appelée à devenir un symbole : le symbole d’une guerre qui ne veut pas dire son nom, le symbole d’un conflit latent qui gangrène nos démocraties occidentales depuis plusieurs années maintenant.
Peut-être pas le symbole d’un éventuel « choc des civilisations », puisqu’il semblerait qu’il est malvenu d’employer l’expression forgée par Samuel Huttington. Il n’empêche, deux conceptions du monde s’opposent.
Le christianisme, en reconnaissant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, en distinguant ce qui revient à Dieu et ce qui ressortit à la puissance de César, a ouvert la voix au pluralisme démocratique, à la liberté de pensée, à l’humour qui risque parfois de heurter nos semblables dans leurs convictions.
Le romantisme allemand du XIXe siècle hissera même le « Witz », l’ironie, au rang de contribution à la réalisation du Moi, à la fois fortifié à distance du monde et intégré dans le « Un » où il se révèle à lui-même.
L’islam, de son côté, a connu une histoire complètement différente et n’a pas eu l’occasion d’opérer ce clivage, ou n’a pas connu le contexte philosophique et politique qui lui aurait permis de poser le rapport historiquement ambigu ente la religion et l’Etat sur de nouvelles bases.
Qui a raison, qui a tort ? Là n’est pas la question. Mais tant que nous n’aurons pas accepté cette réalité, nous devons admettre qu’islam et christianisme continueront à se regarder avec méfiance : leurs visions de l’individu et de l’Etat sont incompatibles et ne peuvent cohabiter sur le même territoire.
Le rapport entre Eglise (au sens large) et Etat se trouve aux fondements de nos constructions juridico-institutionnelles. Nous avons tendance à l’oublier dans notre univers sécularisé : le renouveau d’un islam militant depuis deux décennies a au moins le mérite de nous rappeler ce « donné » de notre ordre étatique.
La question n’est pas non plus de savoir si nos sociétés multiculturelles sont riches d’un enrichissement réciproque ou contiennent les germes de notre futur déclin. Le multiculturalisme est un fait, qu’on le veuille ou non.
Reste à se demander comment l’organiser lorsque se rencontrent sous son égide des approches du monde potentiellement en rivalité. Pire : comment en chanter les vertus quand chaque partie concernée se sent agressée dans ce qui lui est le plus cher ? La liberté d’expression pour l’occident qui a expédié la religion à la sphère privée, la fidélité au Livre sacré pour l’orient épris d’islam.
Alors, lorsque l’occident se voit ainsi agressé dans ses « valeurs » et sa perception de la politique, comment doit-il réagir ? S’inventer des « martyrs » en se taisant au nom de la tolérance ? Tout miser sur l’appareil répressif ? S’immerger dans la croyance qu’il serait possible de détourner certains individus de leur soif jihadiste ?
Cette dernière option est la plus vaine : la liberté individuelle empêchera toujours l’Etat de barrer la route à quiconque qui se sent séduit par une secte… Pourtant, ne rien faire attisera l’islamophobie, ou ce que l’on appelle telle, et ce n’est guère mieux…
Une autre voie s’ouvre à nous, cependant. On ne prônera jamais le respect entre les peuples et les cultures si chaque « partenaire » ne commence pas par se respecter lui-même.
Récemment, un tribunal de Nantes a accepté qu’une crèche soit retirée d’un bâtiment public. Quelques semaines avant le drame d’hier… Cette anecdote renvoie à des événements plus graves qui se sont produits voici quelques années, en France, en Allemagne, en Italie.
Des juges de ces pays avaient envisagé de renoncer au droit de la famille en vigueur dans leurs juridictions respectives au profit du droit des plaignants, en l’occurrence la charia. Les médias se sont justement insurgés contre cette dérive de notre ordre juridique, mais le problème n’est pas résolu.
Ce genre de démission fait le lit du mépris dans lequel les islamistes purs et durs tiennent les valeurs universelles, ou que nous prétendons telles, qui balisent notre ordre juridique.
Oser reconnaître que représenter la naissance du Christ ou dresser un sapin de Noël, comme ce fut le cas en Allemagne, constitue une atteinte à la liberté d’autrui et que l’aboutissement des droits de l’homme exige le reniement de ses propres traditions ne peut qu’enterrer et la liberté, et les droits de l’homme.
Mon propos sera-t-il considéré comme une injure aux musulmans qui n’ont rien à voir avec les assassins de Charlie Hebdo ? Au contraire !
La tolérance ne peut s’adosser qu’à un respect mutuel des valeurs de l’autre. Des valeurs qui, même proclamées universelles, ne seront jamais appréciées qu’à l’aune du contexte dans lequel elles sont pratiquées, ou non.
La meilleure défense contre la barbarie reste le courage de pratiquer nos traditions, dans la paix et le respect, pas en affichant une pseudo-tolérance qui alimentera un ressentiment, ce cancer de tout corps social. Un ressentiment à la source de mouvements aussi malsains que Pediga en Allemagne.
La liberté n’est pas morte ; pour les occidentaux, elle passe par la Nativité avant que la Renaissance du XVIe siècle ne l’affermisse et qu’elle se parachève dans le retrait du religieux en dehors de la sphère publique.
Mais elle n’est effective que dans la conscience de l’historicité dans laquelle elle s’inscrit !
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