Visite de nouvel an à Jacky Blot, fameux vigneron du val de Loire (épisode 2)

Ne cherchez pas le label bio sur les étiquettes du domaine de la Taille aux Loups. Non que ces vignes ou ces vins soient bourrés de Round up et autres poisons légaux, mais parce que Jacky Blot, le maitre des lieux, a délibérément choisi de ne pas communiquer là-dessus. « Nous travaillons en bio depuis le début et les 7 hectares que j’ai rachetés en 1988 à Lucette et André n’ont jamais vu un herbicide, explique Jacky. Non seulement nous sommes certifiés en bio, mais nous allons même au-delà des normes requises. Je ne tiens pas particulièrement à l’afficher car ce sont les gens qui mettent des saloperies dans le vin qui devraient l’indiquer sur leurs bouteilles et non ceux qui, comme nous, travaillent normalement. »

Pas de sucres ajoutés ni de levures chimiques

Jacky préfère donc mettre en avant ces choix radicaux qui, dès le début, ont marqué sa différence et sérieusement secoué l’appellation Montlouis. Par exemple le travail de fourmi dans les vignes pour garder les sols vivants ; une taille conduisant à de faibles rendements (35 hectolitres à l’hectare et 25 pour les rouges du domaine de la Butte, à Bourgueil) ; la sélection massale (qui permet de multiplier et de replanter les vignes d’un terroir précis plutôt que d’aller chercher des clones chez le pépiniériste) ; les vendanges manuelles en plusieurs étapes afin de cueillir le raisin juste à maturité ; les tables de tri au bout de chaque rang de vigne pour écarter toute grappe de moindre qualité ; le refus des levures chimiques. Et enfin la vinification et l’élevage en futs (dont 8 % de neufs) qui trahissent le penchant de Jacky pour la culture bourguignonne.

Autres marques de fabrique de la Taille aux Loups : la volonté d’éviter une seconde fermentation (dite malolactique) pour garder aux blancs leur fraicheur et leur typicité, aucune chaptalisation (le fait d’ajouter du sucre pour augmenter le degré d’alcool) afin d’obtenir des vins vraiment secs et purs. On pourrait aussi évoquer le choix assumé d’une large gamme de sélections parcellaires, afin d’exprimer au mieux l’identité de chaque mini terroir avec la géologie, l’ensoleillement et l’expression qui lui sont propres.

20 sur 20 pour le Triple zéro

Après quelques années de tâtonnements, les résultats ont vite été au rendez-vous. Sec et droit, à la fois floral et minéral, tendu et très légèrement salin, le Triple zéro de Jacky Blot (18 euros) est devenu un pétillant naturel de référence qui mériterait un 20 sur 20 dans sa catégorie. Succès également pour les blancs de la Taille aux Loups, d’une belle complexité due à l’élevage en fut, même si le bois reste à mon goût un peu trop présent. Ces vins gardent néanmoins de la fraicheur, de belles notes florales et sur certaines cuvées les arômes de coing propres aux chenins de Loire.

« J’ai pu me permettre de chambouler l’appellation parce que j’étais courtier en vins, et comme je gagnais correctement ma vie, je n’attendais aucun revenu du domaine », reconnait Jacky, conscient que tous les vignerons ne peuvent pas s’offrir ce luxe. Au début, seul Christophe, qui travaille aujourd’hui encore à plein temps sur le domaine, était salarié, et les bénéfices systématiquement réinvestis dans le domaine.

Sauvé par ses clients

Le succès venant, la jalousie, son éternelle compagne, a fini par pointer le bout de son nez. Et puisqu’on parle de nez, en 1996, les cuvées 1995 de la Taille aux Loups ont fini par être déclassés de l’appellation sous d’obscurs prétextes,  le principal grief contre ces vins étant qu’ils sortaient un peu trop souvent en tête des dégustations à l’aveugle. « C’était comme dans Jean de Florette, se rappelle Jacky Blot. Sauf qu’au lieu de nous couper l’eau, on nous coupait nos revenus. Nous faisions à l’époque l’équivalent en francs de près de 200 000 euros de chiffre d’affaire. En perdant l’AOC, notre stock n’en valait plus que 20 000». Et c’est là que le miracle s’accomplit. « J’ai expliqué la situation à nos clients, raconte Jacky, les yeux encore humides lorsqu’il évoque ce souvenir. Et tous ont continué à acheter notre prétendu vin de table au prix du Montlouis. »

Maintenant que son domaine est connu et reconnu, Jacky Blot n’aurait aucun problème pour faire face à ce genre de tour de passe-passe. Il l’a d’ailleurs prouvé lorsqu’en 2014, comme François Chidaine (autre grand nom de l’appellation Montlouis), il a été contraint de vendre en vin de France ses magnifiques Vouvray – que je recommande ! – sans que cela se ressente sur les ventes. Mais en 1996, ce sont bel et bien ses clients qui ont sauvé la Taille aux Loups.

(Suite et fin au prochain post)

Olivier Le Naire

Olivier Le Naire, journaliste et écrivain, ancien rédacteur en chef adjoint du magazine français L’Express, est passionné par l’univers du vin et des spiritueux. Auteur de nombreux livres, dont "Découvrir lez vins bio et nature" publié chez Actes Sud, il est diplômé du fameux Wine & Spirit Education Trust (WSET). Juré de concours vinicoles, il anime aussi les formations de L’Atelier des Dégustateurs.